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Laïcité et sorties scolaires : les Français pour l'interdiction du port de signes religieux, la LDH condamne les incidents en Bourgogne-Franche Comté, mais juridiquement, la question n'est pas tranchée (P. Juston au colloque du SGEN à Toulouse)

Paru dans Scolaire le lundi 14 octobre 2019.

Les deux tiers des Français sont très (37 %) ou plutôt (29 %) "favorables à l’interdiction du port de signes religieux ostensibles aux parents d’élèves accompagnant bénévolement les enfants lors d’une sortie scolaire", selon un sondage IFOP-Fiducial réalisé pour Sud Radio et publié ce 14 octobre. Près de 20 % des 1013 personnes interrogées y sont "plutôt opposés" et 16 % "très opposés". C'est chez les femmes, les moins de 35 ans, en région parisienne et parmi les électeurs de gauche ou écologistes que les oppositions sont les plus fortes.

L'affiche de la FCPE suscite colère ou rejet chez 22 et 25 % des personnes interrogées, indifférence (34 %), satisfaction (14 %), enthousiasme  (5 %). Pour 69 % des personnes interrogées, "avec cette affiche, la FCPE flatte le communautarisme" et elle "représente une atteinte au principe de laïcité" (65 %), mais pour 55 % d'entre elles, elle "envoie un message de tolérance et d’inclusion à l’égard des parents d’élèves". Rappelons que la polémique est partie de l'une des affiches de la campagne de la FCPE pour l'élection des parents d'élèves. Jean-Michel Blanquer avait estimé qu'elle constituait un encouragement au port du voile et considérait qu'il s'agissait d'une erreur (voir ToutEduc ici et ici).

La polémique a rebondi vendredi 11 octobre, quand un conseiller RN de Bourgogne-Franche-Comté a interpellé une mère voilée qui accompagnait un groupe d'enfants découvrant les instances de la République. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) "condamne avec la plus grande fermeté" ces faits, "révélateurs d’un climat de haine croissante à l’égard de nos concitoyens de confession musulmane". Elle "s’inquiète vivement des derniers discours de l’Exécutif d’appel à la vigilance et au repérage des 'signaux faibles' qui alimentent une suspicion généralisée envers les musulmans" et "elle dénonce l’insistance de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse, à considérer que les mères voilées ne seraient pas les bienvenues dans les sorties scolaires".

Ni autorisés, ni interdits

La question de l'état du droit sur cette question faisait justement la veille, 10 octobre, l'objet d'une table ronde consacrée au fait religieux et à la laïcité à l'occasion du colloque du SGEN-CFDT, organisé à Toulouse sur le thème "Climat scolaire, pauvreté, mixité sociale et culturelle". Pour Pierre Juston, doctorant en droit public à l'université Toulouse 1 Capitole, spécialisé sur les questions de laïcité, de liberté de conscience ainsi que de gestion du fait religieux, "la question des accompagnateurs [portant des signes qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, ndlr] n'est pas réglée du tout. Ce sont des affirmations mensongères, des erreurs que de dire qu'ils sont interdits d'un point de vue légal, et des erreurs aussi de dire qu'ils sont autorisés toujours d'un point de vue légal. Ce n'est ni l'un ni l'autre."  Pierre Juston souligne en effet que "la problématique n'est toujours pas résolue". Certes, il y a eu deux décisions de tribunaux administratifs sur cette question, de Nice (9 juin 2015) et Montreuil (22 novembre 2011) "différentes", rappelle-t-il. Mais pour autant, commente-t-il, elles ne sont "pas forcément contradictoires du fait de différences de lieux, de contextes". Surtout, poursuit-il, "le Conseil d'État n'a pas tranché", rappelant alors que ce dernier avait réalisé sur cette question "une étude" (du 23 décembre 2013) et non publié un avis, et qu'il ne faisait donc que "décrire le droit en vigueur".

Soulignons, pour éclairer les propos du chercheur, qu'en effet, pour deux situations de refus d'établissements d'accepter une accompagnatrice voilée, le tribunal de Montreuil avait débouté la plainte de la maman alors que celui de Nice avait annulé la décision de l'établissement. Néanmoins, le second tribunal s'était prononcé sur une "erreur de droit", donc de forme. L'établissement, en effet, n'avait pas fondé sa décision en se prévalant d'une disposition légale ou réglementaire précise (qui pourrait être par exemple l'inscription de ce devoir de neutralité des parents dans le règlement intérieur), ou de considérations liées à l'ordre public ou au bon fonctionnement du service, dispositions ou considérations que prévoient les textes. Cette décision ne dit donc pas que les accompagnatrices voilées sont autorisées, ni qu'on ne peut les interdire puisque cette interdiction de participation peut être intégrée dans un texte particulier ou motivée par un risque de perturbation de l'ordre public ou du bon fonctionnement du service.

"Une erreur fondamentale de la FCPE"

Concernant cette problématique des sorties scolaires, Pierre Juston a également précisé, alors que c'est la question "des mamans accompagnatrices voilées" qui est soulevée à l'occasion de cette actualité, que le "problème juridique" ne concerne pas que les femmes voilées mais tous les accompagnateurs en sorties scolaires. Concernant la campagne d'affichage incriminée, le chercheur juge que la FCPE a fait "une erreur fondamentale". Pour lui, l'action est "paternaliste, post-colonialiste et extrêmement clientéliste" et il estime fort dommage qu'elle vienne d'une association "qui s'est fondée sur la laïcité". Le chercheur défend d'ailleurs une position personnelle sur le statut à conférer aux accompagnateurs. "On a voulu protéger les enfants d'eux-mêmes en imposant aux usagers [les élèves le sont, ndlr] la neutralité. Pourquoi, quand il s'agit d'une mission pédagogique et que les adultes sont responsables a minima d'un devoir de service public, la sécurité des enfants par exemple, les accompagnateurs ne seraient-ils pas soumis à cette règle de neutralité ? Le temps de l'accompagnement est un temps pédagogique. Si un parent doit gérer deux enfants qui se battent, il fait une mission de service public. Il doit donc être neutre politiquement, philosophiquement, religieusement."

Interrogé également sur les problématiques liées aux repas à la cantine, le chercheur a avancé une solution "simple", "a minima", celle du "choix" : "proposer un repas carné et un repas non carné", même si celui-ci soulève les difficultés financières que cela peut induire pour de petites communes. "Pas pour faire plaisir aux végétariens", commente-t-il, "mais parce que cela permet de régler tous les problèmes sans se focaliser sur l'aspect religieux. L'idée là, c'est juste d'axer sur le caractère équilibré du repas."

Savoirs vs croyance : apprendre aux enfants qu'ils ont "deux casquettes"

La table ronde a par ailleurs été l'occasion de donner des pistes ou des réponses à d'autres questions relatives à la laïcité, mais également à l'enseignement du fait religieux qui fait "cheville au corps" avec la question de la laïcité, note de son côté l'inspecteur de l'éducation nationale, Georges Bringuier, qui participait également à la table ronde. Lien qui peut parfois susciter des difficultés pour les enseignants dans certaines situations. Comment répondre ainsi, par exemple, à un enfant qui argue que l'Homme descend d'Adam et Ève alors que l'École est "le monde du rationnel, des savoirs que l'on enseigne", et que par ailleurs la loi de 1905 garantit la liberté de conscience pour tous et que l'enfant, dès lors, "a le droit de croire", y compris que la Terre est plate. Georges Bringuier souligne alors le problème de "confusion" que cela peut poser entre "ce qui tient de l'ordre du savoir et ce qui tient de l'ordre de la croyance".

Cette confusion peut être aussi induite dans l'enseignement, poursuit l'IEN. Il évoque à ce titre un test qui avait été proposé il y a quelques années en fin de 3e pour mesurer les connaissances acquises en enseignement du fait religieux. Quatre images extraites d'oeuvres, que les élèves devaient lier à des mots, montraient le Christ sur une croix, un bébé dans une crèche, un homme qui sortant d'un tombeau et enfin, un homme montant au ciel. "Au-delà du fait que ce test évaluait des capacités de déduction et non des connaissances puisqu'il fallait relier ces images à crucifixion, nativité, résurrection, ascension, ce test mélange ce qui relève du fait religieux, la nativité et la crucifixion, de ce qui relève du langage symbolique de la religion, la résurrection et l'ascension, explique l'IEN. "Là on crée la confusion !"

Pour Pierre Juston, il existe une "clé d'entrée" néanmoins pour un jeune public "très réceptif" dès le primaire : lui expliquer qu'il a deux "casquettes". "Chaque individu se sépare au moins en deux", explique-t-il. "Et un enfant le fait lui-même très bien quand il grandit, en différenciant ce qu'il va faire quand il est en public, avec ses parents, dans sa chambre... où il n'aura pas la même attitude, le même vocabulaire... Il faut arriver à expliquer à l'enfant qu'il a une casquette d'individu qui le droit de s'exprimer, d'exister et une casquette où il n'a pas le choix, car il ne vit pas seul mais dans une société, un État de droit : sa casquette de citoyen."

Pourquoi ne pas tendre vers un enseignement du fait spirituel, non circonscrit au seul fait religieux ?

Pour le chercheur, il reste par ailleurs un travail "colossal" de pédagogie à faire pour expliquer la laïcité. Expliquer, par exemple, que la laïcité "n'est pas contre les religions même si elle s'est construite en France en s'opposant à l'une d'elle". Et ce travail, estime-t-il, doit être mené "pour toute personne qui travaille dans le service public d'éducation", enseignants, administratifs, agents des cantines..., car "tous les acteurs de l'école participent à cet enseignement laïc du fait religieux". Celui-ci a aussi rappelé que la loi de 2004, même si elle s'est faite dans un contexte d'affaires liées au voile, ne concerne pas que les convictions religieuses, mais aussi les convictions philosophiques.

Georges Bringuier regrette de son côté que la laïcité soit trop souvent "convoquée pour répondre à des situations de tensions, voire après des attentats, comme si c'était un remède miracle". Or, dans ce contexte, celle-ci "peut apparaître comme réductrice des libertés", alors qu'il faudrait plutôt "montrer que c'est la liberté". "On éduque trop souvent à la laïcité pour répondre à des événements tragiques. Or celle-ci mériterait d'être réenchantée !"

Pierre Juston interroge par ailleurs la pertinence d'un enseignement qui soit dédié exclusivement au fait religieux. "Pourquoi s'y cantonner ? Et pourquoi ne pas enseigner plutôt les grands humanismes ? Il y a peut-être une spiritualité agnostique, athée... Il faut essayer d'ouvrir ce champ, car ce qu'on veut étudier, c'est le fait spirituel", estime-t-il. Celui-ci a d'ailleurs souligné à deux reprises qu' "actuellement, la quatrième religion en Angleterre, c'est le jediisme" (mouvement basé sur les enseignements philosophiques et spirituels des Jedi, personnages imaginaires issus des films Star Wars).

Camille Pons (pour le compte-rendu de la table ronde sur la laïcité et le fait religieux)

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