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Recrutement des enseignants : la masterisation responsable de la pénurie d'enseignants en France ? (Étude, Mélina Hillion, PSE)

Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 14 août 2019.

Réforme de la masterisation = baisse de candidats à la profession d'enseignant ? C'est en tout cas une corrélation que fait Mélina Hillion, sur le site de la Fondation Jean Jaurès, au regard d'une étude qu'elle mène actuellement dans le cadre de son doctorat qu'elle effectue à l'École d'économie de Paris (Paris School of Economics, PSE) et au Centre de recherche en économie et statistique (CREST) sur la qualité, l'attractivité et la diversité du recrutement des enseignants en France. La chercheuse, qui est aussi chargée d'études à la DARES, fait le constat, pour le métier d'enseignant en France, dans un article publié le 16 juillet 2019 sur le site de la Fondation Jean Jaurès, d'une "attractivité en déclin". Son étude s'intéresse notamment aux effets, sur le recrutement des enseignants du primaire public, de la masterisation introduite en 2011. Les premiers résultats montrent que la réforme a été suivie d'une baisse drastique de candidats aux concours externes, 50 puis 40 % de candidats en moins. Ce n'est pas tant l'élevation du niveau attendu mais plutôt les modalités de mises en œuvre de la réforme qui peuvent avoir eu des effets négatifs sur l'attractivité de la profession, la réforme ayant visiblement péché sur la question des salaires ou encore sur l'organisation et la rémunération de la formation initiale.

Cette étude s'est en effet intéressée à l'évolution du nombre de candidats avant et après la masterisation, en prenant en compte des phénomènes importants par ailleurs (nombre de postes d'enseignants, spécificités des 25 académies de l'Hexagone...) et s'est attachée à comparer cette évolution avec celle des candidats aux concours des Instituts régionaux d'administration (IRA). Un "groupe de référence intéressant", selon Mélina Hillion, car les concours présentent de "nombreuses similitudes" avec les concours des professeurs des écoles mais eux "sont recrutés au niveau licence tout au long de la période étudiée". Pour mener cette étude, la chercheuse s'est également appuyée sur les fichiers de recrutement et de gestion des enseignants du ministère de l'Éducation nationale et son service statistique (DEPP), ainsi que sur les données de l'Enquête emploi de l'INSEE.

Un master qui mène à une profession nettement moins rémunérée que d'autres à même niveau de diplôme

Depuis 2011 en France, en effet, les enseignants en France doivent être titulaires d'un master. Et depuis, la France présente de sérieuses difficultés de recrutement dans l'enseignement primaire et secondaire. Un tableau des variations du nombre de candidats (présents aux épreuves écrites) aux concours externes de professeurs des écoles montre ainsi une chute très importante dès l'année de la réforme, de l'ordre de 50 % de candidats en moins (alors que le nombre de candidats avait connu soit des progressions, soit des stagnations, hormis un début de diminution amorcé en 2010). Et en 2015, le nombre de candidats présents aux épreuves écrites restait 40 % plus faible que 10 ans auparavant.

En cause dans cette baisse conséquente : le niveau attendu, la rémunération de la formation initiale, et une faible revalorisation des salaires en début de carrière et nulle après 5 ans d'ancienneté. "Certains candidats peuvent avoir renoncé à poursuivre leurs études de master parce qu'ils estimaient leur niveau trop bas ou le coût d'opportunité trop élevé, tandis que d'autres peuvent avoir opté pour des emplois plus rémunérateurs", écrit ainsi la chercheuse, en soulignant néanmoins que ces hypothèses "mériteraient d'être examinées de manière empirique".

En effet, au-delà du niveau de formation qui peut avoir eu des effets rédhibitoires, celle-ci constate que l'écart salarial est particulièrement important entre les enseignants et les autres professions à même niveau de diplôme, et "considérablement plus élevé pour les titulaires d'un master que pour ceux d'une licence". La réforme n'a en effet été suivie que d'une légère augmentation des salaires en début de carrière (5 % d'augmentation la première année, 3 % les deux années suivantes, 1 % après quatre et cinq ans d'ancienneté, puis aucune augmentation au-delà de cinq ans d'ancienneté), et ce, dans un contexte de "stagnation des salaires dans la fonction publique en général".

Les effets d'une formation initiale moins rémunérée durant quelques années

Le coût d'une formation plus longue a-t-il eu des effets aussi ? La chercheuse rappelle qu'entre 1989 et jusqu'en 2010, les enseignants du primaire et la plupart des enseignants du secondaire étaient recrutés au niveau licence, recevaient une formation d'un an mêlant deux tiers du temps d'apprentissage théorique en IUFM et un tiers du temps de pratique en établissement scolaire, année qui était rémunérée à temps plein. Depuis 2012, les candidats doivent suivre un master, mais entre 2011 et 2013, les lauréats du concours enseignaient à temps plein dès la rentrée scolaire qui suivaient leur recrutement, et recevaient en parallèle une formation théorique, mais sur un tiers temps supplémentaire qui n'était alors pas rémunéré. C'était d'ailleurs l'un des objectifs de la réforme, note Mélina Hillion : "réduire la dépense publique en ne rémunérant plus la formation initiale".

Cet effet financier sur le nombre de candidatures semble réel puisque un assouplissement de la réforme en 2014 semble avoir influé sur cette baisse. Depuis 2014, où les candidats sont autorisés à passer le concours dès la première année de master et où la formation initiale (deuxième année de master MEEF) passe à deux périodes équivalentes d'apprentissage théorique et d'enseignement mais rémunérées à nouveau à temps plein, la baisse des candidats se fait moins sévère (40 % de moins entre 2014 et 2017 alors que la diminution du nombre de candidats était de l'ordre de 50 % entre 2011 et 2013). Ils sont aussi plus nombreux à s'inscrire dès le M1 (53,7 %) qu'entre 2011 et 2013 (42 %).

Baisse du niveau au concours mais pas des compétences observées en inspection

Alors que c'était l'un des objectifs de la réforme, la chercheuse note aussi une diminution "significative" des notes des enseignants aux épreuves écrites des concours après l'introduction de la réforme. La Cour des comptes expliquait d'ailleurs dans son rapport de mars 2018 que les jurys de sélection avaient renoncé à pourvoir tous les postes ouverts au concours lorsque le niveau des candidats était jugé trop bas. Baisse qui n'est pas constatée en revanche au niveau des évaluations d'inspection pédagogique.

"L'augmentation du niveau des diplômes des enseignants n'est pas un problème en soi", conclut néanmoins la doctorante, même si, alors que "certains acteurs et observateurs du système éducatif considèrent que la hausse du niveau de qualification des enseignants permet d'assurer l'excellence de la profession", "aucune étude n'a jamais démontré de lien de causalité entre le niveau du diplôme et la qualité de l'enseignement". Celle-ci s'interroge sur l'opportunité qu'il pourrait y avoir à réintroduire le recrutement au niveau de la licence (recommandé d'ailleurs par la Cour des Comptes). Pour elle, cette réforme "montre avant tout un manque de réflexion sur le contexte et les modalités de sa mise en œuvre", "sur la rémunération, les conditions de travail et, plus généralement, sur les facteurs d'attractivité de la profession".

En 2018, en France, il manquait 586 enseignants pour les écoles primaires des académies de Créteil et Versailles (et 599 en 2017). Pour combler le manque d'enseignants dans ces deux académies, le ministère a été obligé de programmer un second concours. La crise de la vocation s'étend au secondaire. En septembre 2018, il manquait 103 professeurs de français, 115 professeurs de mathématiques et 124 professeurs d'allemand.

Aujourd'hui, le niveau master est requis pour enseigner dans un nombre croissant de pays européens (en 2013, 12 l'exigeaient pour l'enseignement primaire et 16 pour le secondaire, selon des données 2014 de la Commission européenne).

Camille Pons

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