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École de la confiance, l'esprit de la loi : valeurs, relations sociales, symboles, mais pour quels enjeux sociétaux ?

Paru dans Scolaire le lundi 04 mars 2019.

Développer davantage l'enseignement et la sensibilisation au développement durable, aux questions d'égalité homme femmes, de genre et d'orientation sexuelle, renforcer la reconnaissance de l'identité des élèves transgenres et de tous les modèles familiaux, agir pour la protection des élèves à l'école en s'attaquant aux questions de la violence... : nombre d'amendements relatifs à la transmission des valeurs et à l'encadrement des relations sociales à l'École ont été déposés dans l'hémicycle à l'occasion des longs débats qui ont précédé, du 11 au 15 février, le vote, en première lecture, du projet de loi "pour une école de la confiance" (lire ici). Quasiment aucun n'a été voté. Le projet de loi accentue, en revanche, la présence et le rôle des symboles de la République en introduisant des drapeaux tricolores dans toutes les classes du primaire et du secondaire des établissements publics et privés sous contrat.

Issue d'un amendement, alors que le Gouvernement ne souhaitait pas, au départ, ajouter aux drapeaux qui sont déjà sur tous les frontons des écoles, la mesure qui introduit désormais la présence du drapeau de manière obligatoire dans toutes les classes, compte parmi celles qui ont suscité le plus de frictions dans l'hémicycle.

Une présence accrue des symboles de la République à l'École

Sur les questions relatives à la transmission des valeurs, la place des symboles de la République dans l'École est en effet un sujet qui continue de diviser, même si de tous bords, tous disent se reconnaître dans ces symboles, drapeau tricolore, Marseillaise ou encore Déclaration des Droits de l'Homme. Les opposants se disent notamment sceptiques concernant la portée de nouvelles mesures visant à multiplier ces signes pour réactiver le lien d'appartenance à la République. Ils les jugent en outre coûteuses, leur préférant un travail autour de projets davantage pédagogiques. "Une vision étroite qui consiste à se donner bonne conscience", selon la députée Michèle Victory (Socialistes et apparentés), et "un manque d'ambition quant au sens même de la pédagogie et de ses objectifs". Pour elle, il faut plutôt "travailler à des projets qui permettent à tous ces jeunes de se réapproprier ces signes, de les faire leurs, de comprendre qu’ils sont des vecteurs de leur liberté".

Jean-Michel Blanquer s'était pourtant déclaré d'abord défavorable à l'instauration de ces drapeaux dans toutes les classes, de la même manière qu'il avait émis des avis défavorables à l'accrochage dans les classes des textes de la Marseillaise et de la Déclaration des Droits de l'Homme, ou encore à l'instauration d'une fréquence imposée pour la pratique du chant de la Marseillaise. Aux motifs que les drapeaux sont déjà présents sur les frontons des écoles, la présence de la Déclaration demandée dans l'établissement, le chant de l'hymne inscrit dans les programmes, et au nom de la liberté pédagogique dont dispose l'enseignant pour dispenser ces programmes et aménager sa classe. L'acquisition d'une "véritable connaissance de ces éléments" dépendait surtout selon lui, d'une présence "dans les programmes et dans la formation continue des professeurs, et tout simplement du fait que les inspecteurs de l'éducation nationale s'assurent de l'effectivité de ces apprentissages". Il a rappelé également avoir mis l'accent, dès son arrivée au ministère, "sur l'effectivité" de l'enseignement de la Marseillaise au travers des "repères annuels", qui "remédient depuis un an et demi à la 'faille' qui laissait le choix de l'année pour l'apprendre en cycle 2" puisque ces "repères", indiquent "clairement" "où La Marseillaise doit être apprise : le refrain en CE1, et le premier couplet en CE2".

Malgré ces déclarations, l'Assemblée adoptait l'introduction des drapeaux suite à une modification opérée par le Gouvernement sur l'amendement déposé en ce sens par Éric Ciotti (Les Républicains, LR), y ajoutant même le drapeau européen et les paroles du refrain de l'hymne national.

Statu quo sur les questions d'égalité et d'éducation sexuelle

Alors que cet amendement, qui ne fait pas consensus, est voté, d'autres questions relatives à de grands enjeux sociétaux n'ont pas trouvé leur place dans cette loi. Ainsi n'a pas été voté un amendement qui visait à installer, dans les futures INSPE (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation), un référent pour les questions liées à l'égalité entre les filles et les garçons sur le modèle des chargés de mission égalité existant dans les universités, en lien avec les référents égalité des établissements. Or, Marie-Pierre Rixain (La République En Marche, LREM) évoquait à ce titre un constat fait par le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes : à ce jour, seulement une école sur deux aurait formé tous ces élèves à ses questions et sur des volumes observant des écarts allant de 2 à 57 heures annuelles !

De même, la majorité a rejeté l'amendement présenté par Elsa Faucillon (Groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine, GDR) qui visait à inscrire l'éducation à l'égalité des sexes et à la lutte contre les discriminations sexuelles et genrées dans les séances annuelles d'information et d'éducation à la sexualité et à la vie affective. Si l'article du code de l'éducation qui précise qu' "une information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple", doit être "dispensée à tous les stades de la scolarité", et "permet, par exemple, de lutter contre l'homophobie", "l'évocation de la vie sexuelle et de la division genrée excède le cadre de l'information civique." La députée rappelait dans son argumentaire "la dégradation des relations entre garçons et filles" et "l'importance prise par le numérique, qui fait que les enfants sont confrontés à cette question même si les parents ne souhaitent pas l’aborder à la maison". Des constats qui montrent, selon elle, que cette question "relève bien des missions de l'école".

Un petit pas pour la reconnaissance des familles homoparentales

A noter d'ailleurs la "frilosité" à l'égard d'avancées sociales pour lesquelles d'autres pays et territoires ont choisi d'autres voies, à l'instar du Québec ou de la communauté autonome de Madrid. Ainsi, l'Assemblée n'a pas adopté l'amendement soutenu par Raphaël Gérard (LREM) pour "instaurer un cadre bienveillant et inclusif pour les enfants transgenres à l'école en facilitant l'usage du pronom et du prénom choisis par les élèves au regard de leur identité de genre". Le député soulignait pourtant qu' "en dépit de la bienveillance prônée par les textes officiels", des rectorats "sanctionnent encore pour faute professionnelle des personnels ayant eu à cœur de respecter l'intérêt supérieur de l'enfant en utilisant le prénom choisi par l'élève".

En revanche, l'Assemblée a adopté, malgré la réticence du ministre et des avis très tranchés, une mesure visant à faciliter la reconnaissance des familles homoparentales. Soutenue par la députée Jennifer De Temmerman (La République En Marche, LREM), celle-ci modifie les mentions "père" et "mère" en "parent 1" et "parent 2" ou "responsable 1" et "responsable 2" dans les dossiers institutionnels (inscriptions, bourses, etc.). Pour la députée, c'est un moyen de sortir de la confrontation, par les familles, à "des modèles sociaux et familiaux un peu dépassés". La position du ministère a suscité une réaction vive de Xavier Breton (LR) qui dénonce "l'embarras du Gouvernement" sur ces sujets. "On n'ose pas répondre et on évacue les problèmes !", a-t-il déclaré.

Plusieurs mesures de reconnaissance en faveur des territoires ultra-marins

Si le texte ne fait assurément pas la part belle à des avancées possibles en matière de lutte contre les inégalités et discriminations, ont été adoptées des mesures en direction des territoires ultra-marins qui vont dans le sens d'un traitement davantage égalitaire de tous les territoires français. La mesure la plus importante consacre la création d'un rectorat à Mayotte pour répondre à ses besoins spécifiques : ce territoire a notamment le taux d'encadrement le plus faible de l'outre-mer, un taux de scolarisation des enfants de moins de 3 ans extrêmement faible (3,5 %), des budgets inférieurs de 60 % au budget moyen des collectivités de même importance, qui ne permettent pas "de faire face aux besoins urgents de construction d'écoles".

D'autres amendements relèvent davantage de reconnaissances symboliques : une modification du code de l'éducation pour préciser explicitement la présence de "l'outre-mer" dans les enseignements "destinés à faire connaître la diversité et la richesse des cultures représentées en France", ou encore la nécessité de faire représenter ces territoires sur les cartes de France, soit 3 millions de Français qui apparaîtront enfin sur ces cartes.

Le développement durable ne trouve toujours pas place égale avec le sport et la culture

En matière d'enseignement et de sensibilisation, pas d'avancée non plus du côté sur les questions liées à l'environnement : ainsi n'est pas adopté un amendement qui visait à rendre obligatoire l'affichage de la Charte de l'environnement dans chaque établissement, une demande légitime, selon Jennifer De Temmerman puisque "la Charte de l'environnement appartient au bloc constitutionnel depuis 2009" et que de son côté, en revanche, "l'affichage de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans les établissements scolaires est obligatoire depuis la loi Peillon de 2013".

Elle estime également nécessaire de placer l'éducation au développement durable "au même niveau que les enseignements sportifs et culturels", parce qu' "il repose sur trois piliers : social, économique et environnemental", et au regard de rapports "alarmants" qui ont été faits à ce sujet, comme celui du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat).

Les décisions concernant la violence repoussées après la remise du rapport sur la protection de l'école

Sur les questions de la violence et de l'absentéisme, le ministre n'a pas jugé opportun de discuter et légiférer sur des solutions tant qu'il ne connaîtrait pas les conclusions et préconisations du rapport confié à Stéphane Testé, Agnès Le Brun, et Béatrice Gille, sur la protection de l'école. Report critiqué par des députés, qui ont souligné d'ailleurs à d'autres reprises un paradoxe dans le calendrier : vouloir faire adopter un projet de loi sur l'École avant que des rapports, tout comme le grand débat national, n'aient fait remonter des observations et préconisations en lien avec l'école. Parmi les mesures proposées, figurait le rétablissement du contrat de responsabilité parentale voulu par les Républicains. Mesure inscrite dans la loi du 28 septembre 2010 et abrogée sous l'ancienne mandature, elle donnait la possibilité de suspendre le versement des allocations familiales en cas de récidive de comportement irrespectueux. Pour légitimer cette mesure qu'il jugeait "efficace", "concrète et pragmatique" pour lutter contre la violence et l'absentéisme, l'un des défenseurs de ce contrat, Éric Ciotti (LR), indiquait que, de septembre 2011 à avril 2012 lorsqu'il a été mis en œuvre, les inspecteurs d'académie avaient fait 79 000 signalements "pour à peine 600 suspensions d'allocations familiales". Soit, concluait-il, 78 000 enfants qui "sont retournés sur le chemin de l'école".

La députée Nadia Essayan (Mouvement Démocrate et apparentés), ancienne administratrice de la Caisse d'allocations familiales, estime de son côté que "les dispositifs à adopter sur le terrain ne peuvent être que complexes" et qu' "un accompagnement est nécessaire". En ce sens, elle soutient l'idée des "cités éducatives", "parce qu'elles établiront des relations entre l'école, le collège, le lycée et toutes les associations à l'œuvre sur le terrain, qui pourront entourer les familles et les aider à être plus proches de leurs jeunes, en vue de parer à ce type de situation".

Si l'Assemblée n'a pas adopté le rétablissement du dit contrat, Jean-Michel Blanquer a néanmoins déclaré que "les mesures [qu'il prendra] auront une double dimension : le soutien à la parentalité et la sanction".

Harcèlement : mention de sanctions dans la loi mais leurs natures seront fixées par décret

Concernant les problématiques de violence, à noter l'adoption d'un amendement concernant la question du harcèlement, issu de la contraction et de la modification de deux amendements. Il prévoit que "les sanctions disciplinaires applicables en cas de faits de harcèlement scolaire, notamment des stages de sensibilisation, sont fixées par décret en Conseil d'État". Au départ, les porteurs voulaient rendre obligatoires ces stages pour les élèves concernés et compléter en ce sens le code pénal. Option à laquelle s'est opposée la majorité, estimant que "ces actions ne nécessitent pas une évolution législative" et qu'elles relèvent du "domaine réglementaire", le code pénal assurant par ailleurs "déjà, et de manière beaucoup plus dure", "la condamnation du harcèlement".

L'Assemblée n'a pas souhaité en revanche inscrire dans la loi l'obligation de formation des élèves qui relève déjà d'une circulaire, ainsi que celle des enseignants, proposée par Canopé.

Le détail des comptes-rendus des débats ici

Camille Pons

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