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"A quoi sert l'école ?" Les principaux arguments échangés par A. Coffinier et P. Meirieu (1ère partie)

Paru dans Scolaire le dimanche 17 février 2019.

ToutEduc a organisé (avec le soutien de Paris Sciences et Lettres), mercredi 13 février, un débat entre Anne Coffinier et Philippe Meirieu, figures emblématiques pour l'une du mouvement des écoles "indépendantes", pour le second des "pédagogues". La vidéo de la première partie de leur débat, qualifié de "serein et constructif", est en accès libre sur le site (ici). La vidéo de la seconde partie le sera très rapidement.

Voici une présentation rapide des principaux arguments échangés avant les interventions de la salle.

Philippe Meirieu, citant Marcel Gauchet, estime que nous sommes sortis d'une "société holistique" où les individus n'étaient pas maîtres de leur destin, et que nous assistons au triomphe de l'individu qui revendique d'être "libre de ses choix" et "capable d'organiser sa propre vie". Dès lors, il faut permettre à nos sociétés de construire "de manière collective et démocratique" l'intérêt collectif, "voire le bien commun". Il faut donc à la fois permettre à l'individu d'oser penser par lui-même et "garantir de l'avenir au commun". L'Ecole doit de plus résister aux dérives de la société, en prendre le contre pied et "jouer un rôle thermostatique".

Anne Coffinier constate qu'il y a "beaucoup de points communs" entre sa démarche et celle de P. Meirieu. On ne peut pas faire école sans "une approche politique", "une certaine forme d'anthropologie, voire de téléologie". Il n'y a "pas d'école neutre". Et si l'école est émancipatrice, de quoi l'est-elle ? Il s'agit de "s'extirper du vide", "de l'ère du soupçon". Il faut certes "s'occuper du bien commun, du vivre ensemble, construire du commun" mais sans être pour autant "obsédé" par l'idée d'une école "creuset de la nation" alors que "nous sommes tous profondément différents". Une même école peut-elle d'ailleurs être efficace avec des horizons familiaux aussi différents ? Anne Coffinier revendique une approche "plus humble" et se veut "réaliste". Pour "faire éclore tous les talents", il faut "des écoles variées". La société a besoin de ces différences, de talents disruptifs, de profils créatifs. Elle défend "un pluralisme contractualiste". A défaut de se mettre d'accord sur les finalités, "essayons au moins de bâtir de petites républiques ouvertes".

Philippe Meirieu rappelle que ses premiers travaux ont porté sur la pédagogie différenciée. Il ajoute qu'une école qui forme "au respect de l'autre", pour reprendre la formule chère au ministre de l'Education nationale doit d'abord permettre "de rencontrer l'autre".

Le pédagogue évoque de plus "le curriculum caché" de l'école qui valorise davantage la débrouillardise que la véritable intelligence. "Le bon élève est celui qui sait s'ennuyer poliment." Il importe d'en débusquer les contre-valeurs, l'Ecole annonce "liberté, égalité, fraternité", mais ce qu'elle fait, par exemple quand elle limite les enseignements généraux dans l'enseignement professionnel, va à l'encontre de ce qu'elle dit.

Anne Coffinier doute qu'une institution centralisée comme l'école publique soit capable de reconnaître l'hétérogénéité des besoins, d'autant qu'elle est "minée par la sectorisation" et la concurrence de l'école privée sous contrat. Elle ajoute que l'école comme "creuset national" ne fonctionne pas, ce dont témoignent d'ailleurs les terroristes qui en ont été les élèves.

Elle conteste que les écoles hors contrat participent à "la balkanisation" du pays, et favorisent "l'entre soi". Elle en veut pour preuve la diversité de ces 1 401 établissements, qui sont majoritairement a-confessionnels. Parmi les établissements créés l'an dernier, seuls 8 % sont catholiques, 2 % juifs, 2 % musulmans, 1 % protestant. 

Philippe Meirieu reprend la parole pour préciser qu'il "milite pour l'école commune", l'école publique étant "un outil" pour sa réalisation. Il ne défend pas le statu quo de l'école publique, qui est souvent une école de la ségrégation. Il évoque d'ailleurs une école Jeanne d'Arc à Décines davantage ouverte que le lycée du Parc à Lyon. Mais il s'oppose à des écoles qui sont, de fait, "contrôlées par les familles". Pour lui, l’éducation d’un sujet dans une démocratie requiert l’apprentissage de la rupture symbolique entre l’univers domestique et l’espace public, ce qui implique que l’école se construise comme un univers différent de celui de la famille, fondé sur la rationalité plutôt que sur l’affectivité. Il s’interroge sur le caractère "familialiste" des "école indépendantes" et il estime que ce familialisme est dangereux, tant sur le pan de la construction de la personne que sur le plan sociétal.

Pour Anne Coffinier à l'inverse, "il est temps de s'extirper" d'une école régie sur des principes idéologiques. Et elle conteste que les écoles indépendantes soient "des écoles domestiques", même si elle reconnaît que "ça peut être un danger". Ces écoles "introduisent l'enfant à la vie de la Cité" et constituent "un corps intermédiaire", elles permettent à un "petit citoyen" de se constituer dans "une mini cité". Elle rappelle pour la dénoncer la formule de Vincent Peillon qui voulait "arracher les enfants aux déterminismes familiaux". Elle défend au contraire une approche qui correspond aux "intérêts des enfants", lesquels "ne doivent pas être enfermés dans le seul horizon de leur famille", il faut leur permettre "de voir autre chose sans les rendre hostiles et étrangers à leur ancrage, à leur milieu d'origine". Quant à l'Etat, s'il ne peut se désintéresser de l'éducation, qui n'est pas "un domaine régalien", ce ne peut être que "dans le respect de la famille".

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