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Comment évolue la taxe d'apprentissage ? Quelles conséquences pour les lycées professionnels ? Une analyse de N A Lakhsassi

Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 30 novembre 2018.

C’est l’article sur l’orientation de la loi du 5 septembre 2018 "pour la liberté de choisir son avenir professionnel" qui a surtout retenu l’attention des commentateurs. Les dispositions relatives au financement de l’apprentissage et de la voie professionnelle, très complexes, méritaient pourtant un éclairage. Nasr Allah Lakhsassi, enseignant au Lycée professionnel de Philadelaphe de Gerde à Pessac (Gironde) et ancien trésorier du SNUEP-FSU en propose une analyse précise. 

ToutEduc : Vous écrivez que le service statistique de l’éducation nationale "a décidé de ne plus publier" les statistiques relatives à la taxe d’apprentissage et vous vous interrogez sur les causes de ce choix. Mais est-ce à ce point complexe ? Sur un euro que le salarié voit sur son bulletin de salaire retenu au titre de la taxe d’apprentissage, quelle est, aujourd’hui, la part qui va à l’apprentissage, quelle est la part qui va aux sections d’apprentissage des lycées professionnels, quelle est la part qui va à la voie professionnelle ?

Nasr Allah Lakhsassi : Depuis la loi du 5 mars 2014, la taxe d’apprentissage (TA) représente 0,68% de la masse salariale (MS). Elle se subdivise en trois fractions :

- La fraction régionale pour l’apprentissage (51% de la TA) revient au Trésor Public et est gérée par les conseils régionaux pour le financement de l’apprentissage. Elle transite par le Compte d’affectation spéciale – Financement de la modernisation et du développement de l’apprentissage (CAS FNDMA) - pour alimenter les ressources régionales pour l’apprentissage.

- Le Quota (26% de la TA) est transmis au Centre de formation des apprentis (CFA).

- Le "Hors Quota" ou "Barème" (23% de la taxe TA) transite par les OCTA pour financer, en partie seulement, les formations initiales technologiques et professionnelles hors apprentissage (donc les lycées professionnels, ndlr) en fonction des niveaux de formation : 65% pour la catégorie A (niveaux V, IV et III)) et 35% pour la catégorie B (niveaux II et I). Mais il est important de noter que cette part n’a cessé de baisser, l’étude permet d’avoir une traçabilité de cette évolution.

ToutEduc : Et demain, avec la loi de 2018 ? 

Nasr Allah Lakhsassi : La loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel" supprime la compétence apprentissage des régions et la part régionale de la taxe d’apprentissage. L’article 37 de la loi du 5 septembre 2018 fixe la nouvelle répartition de la TA :

- une part de 87 %, destinée au financement de l’apprentissage (anciennement part quota) ;

- une part de 13 %, destinée à financer les formations initiales technologiques ou professionnelles (hors apprentissage) et les organismes spécialisés dans l’orientation, ou l’insertion. Cela correspond à l’ancienne part barème ou hors quota.

ToutEduc : Vous nous proposez un document d’une quarantaine de pages pour expliquer comment fonctionne la taxe d’apprentissage, et vous en faites tout l’historique. Pourquoi fallait-il remonter à la loi Falloux ? 

Nasr Allah Lakhsassi : Il est tout à fait naturel de revenir à l’origine de la Taxe d’apprentissage pour montrer qu’il s’agit d’un impôt créé en 1925 pour développer la formation professionnelle initiale. Le retour à l’histoire permet de clarifier quelques concepts. Le mot "Apprentissage" n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui, car il s’agissait de l’apprentissage scolaire.

Il est à signaler que les centres de formation d’apprentis (CFA) ont été créés en 1961. Quant aux Lycées d’enseignement professionnels (LEP), ils ont vu le jour après la transformation des Centres d’apprentissage (CA) en collèges d’enseignement technique (CET) en 1963, puis ces derniers en LEP en 1976. Connaitre ces réalités historiques, c’est comprendre que la Taxe d’apprentissage a été créée pour tout l’enseignement professionnel scolaire.

ToutEduc : La taxe d’apprentissage n’est pas le seul mode de financement de l’apprentissage qui reçoit également une partie de la taxe sur les produits pétroliers… Que représente-t-elle aujourd’hui ? Par qui est-elle distribuée aux CFA, et selon quels critères ? 

Nasr Allah Lakhsassi : Au-delà de la TA, le financement de l’apprentissage mérite un travail particulier car il bénéficie de beaucoup de moyens publics : exonérations de cotisations sociales patronales sur le salaire versé à leurs apprentis ; crédit d’impôt sur les sociétés ; exonération d’impôt sur le revenu des apprentis et des gratifications versées aux stagiaires ; primes employeurs ; aides aux recrutements d’un apprenti supplémentaire …

Donc la TA n’est pas la seule ressource. En plus, la loi du 5 mars 2014 a affecté une part de la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) pour renforcer les ressources régionales consacrées à l’apprentissage. Cette dernière taxe évolue chaque année et transite par le Compte d’affectation spéciale – Financement de la modernisation et du développement de l’apprentissage, son montant en 2016 est de 146 millions d’euros. Mais pour le moment nous n’avons pas plus de précision sur son utilisation dans les années à venir.

ToutEduc : Et pour la taxe d'apprentissage elle-même, par qui est-elle prélevée et distribuée ? Qu’en sera-t-il demain ?

Nasr Allah Lakhsassi :Actuellement la TA est collectée et distribuée par les "organismes collecteurs de la TA" (OCTA). Mais la loi du 5 septembre 2018 confie la collecte de 87 % de la TA aux URSSAF. Et le solde, qui représente les 13 % sera géré par les entreprises. Il sera donc consacré aux formations professionnalisantes hors CFA, contre 23 % actuellement. Mais pas seulement car le texte de loi permet aux employeurs d’imputer sur cette fraction de la taxe d’apprentissage :

- les dépenses réellement exposées afin de favoriser le développement des formations initiales technologiques et professionnelles, hors apprentissage, et l’insertion professionnelle, dont les frais de premier équipement, de renouvellement de matériel existant et d’équipement complémentaire

- les subventions versées au centre de formation d’apprentis sous forme d’équipements et de matériels conformes aux besoins des formations dispensées.

Il va revenir à chaque établissement scolaire l’obligation d’aller chercher quelques centaines d’euros auprès des entreprises, ce qui rendra la tâche très difficile car la liste des établissements habilités à percevoir les 13 % de la TA est longue (voir le document) et va du niveau V jusqu’aux écoles d’ingénieurs, enseignement public et secteur privé ! Mission quasiment impossible pour les LP car les enseignants consacrent déjà beaucoup de temps et d’énergie à aider et à soutenir des jeunes en grandes difficultés tandis que les directeurs délégués à la formation seront très fortement sollicités pour mettre en place les unités de formation par alternance (UFA).

ToutEduc : Votre document est très précis techniquement, mais c’est aussi un texte militant. Vous expliquez par exemple que le financement de la voie professionnelle varie selon les régions de 284€ à Paris à 107 à Nancy-Metz et 68 dans les DOM et vous vous exclamez "Ce sont les plus fragiles qui touchent le moins de TA : la honte !". Est-ce que vous ne craignez pas que votre parti pris n’affaiblisse votre analyse, qui serait perçue comme partiale ?

Nasr Allah Lakhsassi : J’ai consacré tout un chapitre à l’évolution de la répartition de la Taxe d’apprentissage et je démontre, en me fondant sur des documents officiels, que cette répartition est injuste.

Je pars d’une analyse scientifique pour arriver à des conclusions sociales et politiques. C’est loin d’être partial car tout est argumenté. Et il s’agit de financements destinés à l’éducation et à la formation. Il n’est pas possible d’accepter autant de dérives dans la gestion de la TA en France. Il est grand temps que ce sujet soit clairement mis sur la table. Il subsiste encore trop de zones d’ombre telles celles que vous mettiez en évidence au début de cet entretien. J’espère que cette analyse permettra d’ouvrir un débat de fond.

Le document est téléchargeable ici

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