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Educatec-Educatice - Sciences cognitives et éducation : S. Morel dénonce les dangers d'une approche techniciste, J-L. Berthier ceux de l'immobilisme

Paru dans Scolaire le mardi 27 novembre 2018.

"Oui, les neurosciences, si on en fait bon usage, donnent des outils pour penser l'apprentissage. Mais elles privilégient une approche techniciste alors qu'il faut appréhender l'éducation d'une manière globale. Le danger dans cette science, actuellement, c'est qu'elle vient oblitérer les autres dimensions." Ce jugement a été émis par le sociologue Stanislas Morel (Laboratoire Éducation, cultures, politiques, université de Saint-Étienne), qui était invité à débattre autour du thème "Neurosciences en éducation : quels apports de la science ?", à l'occasion du salon Educatec-Educatice le mercredi 21 novembre 2018. "Certes, le cerveau est plastique", avait-il déclaré en amont face à deux spécialistes des neurosciences. "Mais on sait que la prise en compte des facteurs socio-économiques et environnementaux, ou encore l'âge, sont importants. Or, c'est la rencontre, la collaboration entre cognitivistes et sociologues qui reste la manière la plus fine de prendre en compte ces facteurs. Et nous avons besoin d'aller sur le terrain car les études sur le cerveau faites en labo ne donnent pas nécessairement les mêmes résultats sur le terrain", observe encore l'enseignant-chercheur qui prétend ne pas émettre de réserves sur l'intérêt de ces recherches mais regrette le caractère "hégémonique" et "prescriptif" actuel des neurosciences. "Ne nous emballons pas", avertit-il, "mais voyons d'abord les limites dans lesquelles on peut traduire ces travaux dans la classe !"

Enfin, autre critique, une approche qui met selon lui l'accent sur la performance dans l'apprentissage, alors qu'il faut aussi "s'attacher à la manière dont l'élève se sent". Pour appuyer sa position, celui-ci a pris exemple de la lecture, dont les prescriptions actuelles s'inspirent des résultats des neurosciences. "L'apprentissage de la lecture se joue à l'école, mais pas que !", a-t-il rappelé. "Elle se joue sur plusieurs scènes, dans la famille, pas seulement en apprenant à lire mais en développant le goût pour la lecture... C'est une activité extrêmement plurielle. Le danger, c'est de la réduire justement à une approche techniciste !"

500 cogni-classes dans lesquelles des enseignants testent des pratiques

Pour Jean-Luc Berthier, enseignant spécialiste des sciences cognitives de l’apprentissage, le danger "reposerait plutôt sur l'idée de ne pas changer" et des "rester statique". "On propose, on ne prescrit pas. Et ce, sur la base de ce que la science a confirmé même si on a encore besoin de valider." Celui-ci évoque à ce titre les 500 cogni'classes en France (et un peu à l'étranger) dans lesquelles des enseignants "tentent d'implanter de petites pratiques" en ce sens. Ces cogni'classes consistent à mettre en place plusieurs modalités issues des "pistes d'application des sciences cognitives" à l'apprentissage. Ces pistes ont trait aux domaines suivants : mémorisation, compréhension, attention, implication active, évaluation.

Jean-Luc Berthier regrette aussi, alors que les neurosciences ont dégagé des "stratégies intéressantes" en matière de mémorisation, que peu d'enseignants les connaissent et les appliquent. "À la question, comment faire mémoriser le mieux possible un texte, la plupart répondent 'il faut lire et relire'. Or les travaux montrent qu'essayer de se forcer à récupérer le texte, seul dans son coin, activité difficile, est aussi très utile. Et qu'il faut donc alterner des moments de lecture et des moments de tests."

Pour Irène Altarelli, chercheuse en psychologie du développement et en neurosciences cognitives à Paris Descartes, si les neurosciences cognitives sont devenues "prépondérantes", "cela vient d'ailleurs" et non des chercheurs eux-mêmes. Elle indique que son laboratoire, le LaPsyDÉ (laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant), loin de faire des prescriptions, entretient "un échange bilatéral avec les enseignants". "On se nourrit des observations faites en classe qui sont parfois même le point de départ de nos travaux."

Camille Pons

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