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Université d'automne du SNUIPP : les écueils de certaines pédagogies voulues pourtant non sexistes et non hétéronormatives (Gaël Pasquier, Paris-Est Créteil)

Paru dans Scolaire le mercredi 24 octobre 2018.

Viser l'égalité des sexes comme un objectif à construire dans le cadre d'un enseignement en adoptant des stratégies d'habillage et d'accompagnement des activités centrées sur l'idée que l'on va faire face à des stéréotypes sexistes n'est pas exempt d'écueils. C'est l'un des constats de Gaël Pasquier qui a mené une recherche autour des pratiques d'une vingtaine d'enseignants du primaire, de tous niveaux, qui avaient choisi d' "inverser les perspectives" et placé l'égalité des sexes "comme un objectif à construire". Ce sociologue (Paris-Est Créteil) intervenait à l'occasion de la 18e édition de l'Université d'automne du SNUIPP, qui s'est tenue à Port-Leucate, dans l'Aude, du 19 au 21 octobre (lire ici). Pour voir ce que produisait le travail de ces enseignants, le chercheur a centré ses observations autour de la façon dont ils abordaient  l'enseignement de la danse dont ces enseignants avaient fait justement le choix pour remettre en cause les stéréotypes de sexes.

Les observations issues de cette recherche montrent que ces pratiques aboutissent parfois "à faire revenir par la fenêtre" les inégalités que l' "on a l'impression de chasser par la porte". Gaël Pasquier donne à ce titre plusieurs exemples de stratégies utilisées pour contourner les résistances de garçons : l'utilisation d'un "habillage" autour du langage notamment (on utilise chorégraphie, spectacle ou expression corporelle plutôt que danse par exemple), ou encore des stratégies qui laissent le choix aux garçons.

Parmi les exemples cités, le chercheur évoque le repli progressif d'un enseignant, face à deux garçons qui refusaient catégoriquement de participer : en choisissant d'octroyer à ces garçons un rôle différent, celui d'observateur, l'enseignant a créé ainsi "une position spécifique pour eux" qui n'était pas ouverte aux autres, observe Gaël Pasquier.

Partir des élèves expose au risque d'introduire des activités que ces derniers assimilent à leurs genres

Autre cas de figure, pour contourner une "mauvaise volonté ostentatoire" de plusieurs garçons, un enseignant finit par lâcher sa séance en proposant des danses qu'ils savent pratiquer, la tecktonik et le hip-hop. Dans ce cas, l'enseignant part "de la représentation de ces élèves". Or, analyse le chercheur, le hip-hop est "assimilé à du masculin et à un univers très macho" et offre par ailleurs des cadres de pratiques "très différenciés entre les filles et les garçons", de même que la gestuelle de la tecktonik est assimilée à des gestes brutaux, donc très masculins. Les filles, "par dépit", ont opté pour du RnB. Résultat, c'est la logique de valorisation de leur univers qui l'emporte pour aboutir à des danses qui valorisent le masculin et à une danse qui représente davantage la femme.

Dans ces deux exemples, conclut le chercheur, en cédant aux propositions aux garçons et en comptant sur "l'endurance" des filles pour faire avancer les garçons, l'enseignant a rejoint finalement une "perception classique" : "les filles sont plus souvent perçues comme membres d'une catégorie alors que les garçons sont plus souvent perçus comme des individus." Et l'ensemble de ces stratégies conduit finalement ces mêmes enseignants à un "oubli total de ce qui permet aux stéréotypes de fonctionner" et à réinstaller des rapports de pouvoir entre filles et garçons. Deux raisons peuvent expliquer ces écueils : la "non expertise" des enseignants dans certains savoirs ; quand un enseignant est "moins au clair dans ses objectifs d'apprentissage, il devient davantage sensible aux propositions des élèves et au final tient moins la séance".

Mêmes dérives en observant les stratégies des enseignants dans leur rapport aux parents

Le chercheur a observé le même type de dérives dans le rapport des enseignants aux familles, dès lors qu'ils partent également du postulat qu'ils vont faire face à des stéréotypes. Les enseignants font en effet des distinctions a priori et désignent explicitement comme réfractaires, les enfants de milieu populaire et ceux supposés de religion musulmane, alors, qu'a contrario, les enfants favorisés sont totalement "dédouanés de ce soupçon".

Cette "manière dont les enseignants parlent des familles, qui renvoie à une forme de naturalisation des inégalités - chez eux, ce n'est pas inné, il va falloir leur apprendre - est à questionner", estime le chercheur. Notamment parce que "ces pratiques contribuent à exhiber le sexisme des classes populaires et à inhiber celui des classes moyennes et supérieures". Or, aujourd'hui, souligne-t-il encore, les violences faites aux femmes sont "extrêmement bien réparties dans toutes les classes". De même, certaines formes de domination dans les classes supérieures se sont reconfigurées mais n'ont pas réglé les inégalités de sexes.

Mettre en place d'autres stratégies en associant le "collectif", garçons et filles

Pour avancer sur l'égalité des sexes à l'École, le chercheur évoque l'idée de travailler notamment à inverser une pratique inconsciente devenue standard à l'école, qui consiste à interroger plus souvent les garçons en classe que les filles. Ce travail peut se faire de deux manières : soit les enseignants s'auto-corrigent en s'appuyant sur un tableau dans lequel ils listent les garçons et les filles qu'ils interrogent, soit ils délèguent cette observation à l'ensemble de la classe en organisant, au cycle 3, des débats qui permettent de faire le point sur les prises de paroles des garçons et des filles et les temps donnés à ces prises de parole. En n'étant pas le seul garant de cette stratégie d'égalité de traitement mais en le déléguant à un collectif, l'enseignant se heurtera à moins d'oppositions.

Pour Gaël Pasquier, ces questionnements et nouvelles stratégies sont d'autant plus importants à mettre en œuvre que l'école justement a "un curriculum caché" puisqu'on y apprend les inégalités de sexes dès le plus jeune âge : parce qu'on n'interroge pas les garçons et les filles de la même manière, de par les répartitions qui s'opèrent dans les cours de récréation, ou encore au travers des savoirs scolaires "qui concernent les points de vue des hommes alors que ceux des femmes restent secondaires".

Camille Pons

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