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Chaque enfant a la bosse des maths (Roland Charnay)

Paru dans Scolaire le lundi 19 mars 2018.

"La conquête d’une culture mathématique solide par chacun est une exigence pour notre société. Pour favoriser la réussite, il faut s’appuyer sur les capacités de réflexion et d’abstraction des enfants. Il faut cultiver le plaisir de résoudre une énigme, de surmonter une difficulté, de comprendre ses erreurs, de créer du sens, de raisonner, d’argumenter." Ainsi s’exprime Roland Charnay, agrégé de mathématiques qui a consacré sa carrière à la formation des enseignants et à la recherche sur l’enseignement des mathématiques à l’école et au collège, dans son ouvrage, "Réussir en maths à l’école c’est possible !" . Il poursuit : "La satisfaction d’avoir compris et appris doit être la principale source de motivation. Pour cela, il faut se défaire de l’obsession de la réussite immédiate, accepter la diversité des cheminements et valoriser autant le progrès que le résultat lui-même. Chaque enfant a, à sa façon, la bosse des maths ! Il appartient à l’école de la développer, de la rendre vivace, fertile et efficiente."

L’auteur rappelle que jusqu’à la fin des années 50, la formule "savoir lire, écrire et compter" traduit, de manière lapidaire, une scolarité qui se limite à l’école primaire pour la majorité des élèves, prolongée jusqu’à 14 ans par la classe de fin d’études. On y parle plus volontiers de calcul (parfois d’arithmétique) que de mathématiques, marquant par là l’orientation d’abord pratique et utilitaire de cet enseignement. À la fin des années 60, tous les élèves doivent être scolarisés au collège. Les finalités de l’école primaire changent. Il s’agit désormais de former les esprits, de préparer les élèves à leurs études ultérieures et à un monde en évolution rapide. Par ailleurs, la mobilité ou les reconversions professionnelles auxquelles chacun doit être préparé s’accompagnent de formations qui nécessitent des connaissances mathématiques plus larges et plus approfondies. Dans ce sens, les mathématiques "utiles" ne se limitent plus à celles qui seront immédiatement utilisées. Elles doivent également fournir la base de compléments ou d’approfondissements ultérieurs : calcul (maîtrise des moyens modernes de calcul que sont les calculatrices scientifiques, les ordinateurs), algèbre (langage et calcul algébrique, connaissances sur les fonctions), statistiques (moyenne, médiane, écart-type, représentations…), géométrie (représentations dans le plan et dans l’espace).

PISA et TIMSS

Or, souligne Roland Charnay, pour les mathématiques, les plus récentes données de ces deux enquêtes que sont PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) et TIMSS (Trends in international mathematics and science study) font apparaître des résultats mitigés, voire alarmants pour la France. En particulier, plus que d’autres, les élèves français de 15 ans ont beaucoup de mal à formuler des situations de façon mathématique, ce qui pèse sur leurs résultats globaux.

Pour l’auteur, face à cette situation, il y a trois tentations qu’il qualifie de "risquées".

La tentation nostalgique qui conduit à vouloir revenir à l’école du passé. L’étude internationale PIAAC (Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes, résultats publiés en 2013) évalue les compétences des adultes âgés de 16 à 65 ans dans 24 pays. La France s’y trouve en fin de classement mais cela est imputable en grande partie aux 45-65 ans tandis que les plus jeunes obtiennent des scores plus proches de la moyenne des pays observés. Ce sont justement les 45-65 ans qui ont fréquenté cette école du passé.

Autre tentation : celle de l’ailleurs alors que la France n’est ni la Finlande, ni Singapour. Vouloir transposer une méthode d’enseignement qui semble réussir dans un environnement précis sans se soucier de savoir si d’autres facteurs ne sont pas à l’origine de ce succès est pour le moins hasardeux. Il existe également une spécificité française : pas de correspondance parfaite entre l’écriture des nombres en chiffres et leur verbalisation. Par exemple, pour les nombres inférieurs à 100, qui sont ceux qu’on étudie au début de l’école élémentaire, un élève qui entend soixante-dix-sept va l’écrire 60 17. Plus tard dans la scolarité, ce même phénomène peut se reproduire : un élève qui entend mille-quatre-vingts peut l’écrire 1 4 20. La plupart des autres langues n’occasionnent pas de telles difficultés. En anglais, le caractère décimal apparaît dès le nombre 13 (thirteen) alors qu’en français, il faut attendre le nombre 17 (dix-sept). En anglais toujours, le nom de chaque dizaine est formé de la même manière (twenty pour 20, seventy pour 70, eigthy pour 80). En France, on trouve de nombreuses irrégularités, notamment pour les nombres de soixante à soixante-dix-neuf et de quatre-vingts à quatre-vingt-dix-neuf. Dans d’autres langues, entre autre asiatiques, la correspondance est au contraire parfaite. Transcrit en français, cela donnerait dix-un pour 11, deux-dix pour 20 (comme nous disons deux-cents pour 200), huit-dix pour 80, sept-dix-sept pour 77 (comme nous disons sept-cent-sept pour 707). On voit l’avantage qu’ont les élèves de ces pays pour l’apprentissage du système de numération, mais également pour le calcul où, par exemple, dix plus quatre donne immédiatement dix-quatre (au lieu de quatorze chez nous) et où trente plus cinquante, qui donne quatre-vingts chez nous, est obtenu chez eux plus facilement comme trois-dix plus cinq-dix font huit-dix. Toujours dans cette tentation de l’ailleurs, il faut bien retenir que les pays qui réussissent le mieux sont ceux qui ont investi massivement dans la formation de leurs enseignants et dans la recherche et qui ont défini des orientations sur le long terme qui ne sont pas sans cesse remises en cause.

La tentation scientiste

Troisième tentation : la tentation scientiste doit également être soumise à une vigilance critique. Roland Charnay l’affirme : il serait coupable de ne pas prendre en compte les apports de la science ou plutôt des sciences. Mais à condition de croiser ces apports : ceux issus de l’épistémologie (relatifs à l’organisation et au fonctionnement du savoir mathématique), de la psychologie (neurosciences, études sur la mémoire, sur l’attention, sur la conceptualisation, sur les aspects affectifs…) ou encore de la pédagogie et de la didactique… Mais il serait tout aussi aventureux de vouloir déduire un enseignement des mathématiques des résultats apportés par un seul de ces domaines car l’approche des phénomènes d’enseignement et d’apprentissage ne peut être que complexe.

L’auteur insiste sur ce point : l’enseignement des mathématiques part souvent de la présentation ou de la définition des concepts ou des méthodes pour aboutir, après les avoir étudiés, à leur application dans des problèmes. Il fonctionne ainsi à rebours de l’activité "mathématisante" qui, elle, part toujours du questionnement, du problème, pour parvenir à une mise en forme et à un approfondissement des concepts ou des méthodes et leur utilisation pour résoudre de nouveaux problèmes. Pour faire entrer les élèves dans la culture mathématique, il est nécessaire que l’école confronte les élèves à cette démarche, qu’elle organise des moments où les élèves sont chercheurs, où ils sont associés à l’élaboration de connaissances nouvelles et des moments où ils s’entraînent méthodiquement, progressivement pour en avoir une bonne maîtrise.

Un questionnement au départ

Une connaissance nouvelle doit avoir de l’intérêt pour les élèves. Cet intérêt peut provenir du besoin ou de la curiosité. Dans tous les cas, au départ, il y a un questionnement, un problème dans lequel ils peuvent s’engager, souvent avec d’autres, et sans toujours pouvoir le résoudre complètement. Le débat avec les camarades de la classe ou l’épreuve de la réalité permet de savoir si on aboutit à une solution correcte.

Pour être identifié et reconnu, un nouveau savoir doit être explicité par l’enseignant. C’est lui qui apporte le vocabulaire correct et les symboles qu’il faut connaître. C’est lui qui peut montrer comment s’articulent les représentations figurées, les expressions verbales et des désignations symboliques. C’est lui encore qui peut indiquer aux élèves ce qu’il faut retenir, ce qui doit être mémorisé ou automatisé.

Maîtriser un nouveau savoir, l’apprivoiser, est exigeant. Progressif, gradué, différencié, l’entraînement permet à la fois l’ancrage des connaissances, leur mémorisation et leur investissement dans de nouveaux problèmes. À ce moment de l’apprentissage, les hésitations et les erreurs sont des supports essentiels pour revenir sur des failles de compréhension. C’est aussi là qu’il faut prendre en compte le fait que chacun n’apprend ni à la même vitesse ni en empruntant les mêmes chemins de la compréhension. Ainsi, alors que les uns ont besoin longtemps de s’appuyer sur le figuré, d’autres sont rapidement à l’aise avec le symbolique.

Le bonheur du eurêka

Pour développer le plaisir des mathématiques, on pense souvent au jeu. Il existe effectivement de nombreux jeux où pour gagner, il faut mobiliser des connaissances mathématiques. Mais le plaisir des mathématiques réside aussi dans le "eurêka" du défi surmonté, le "haha" de la compréhension ou de la découverte.

Autre point sur lequel l’auteur insiste : souvent, le cursus scolaire et universitaire des professeurs des écoles les a éloignés des mathématiques pour lesquelles ils n’éprouvent pas une appétence particulière. Parfois même, ils ont eu une relation difficile avec cette discipline. Leur bonne volonté n’est pas en cause. Ce sont les formations initiale et continue qui ne sont toujours pas à hauteur des enjeux. Il s’agit, par exemple, de rendre les enseignants capables d’établir une progression en la resituant dans le long terme des apprentissages, de choisir parmi les nombreuses ressources proposées, de les adapter au contexte particulier de leur classe, d’organiser des situations d’apprentissage avec des modalités adaptées, de comprendre et d’exploiter les réponses des élèves ainsi que leurs erreurs et leurs difficultés, d’évaluer leur état de savoir, de gérer les aspects relationnels et affectifs inhérents à toute activité collective. Il s’agit aussi de les rendre capables de travailler en équipe pour définir des projets ou d’assurer un bon suivi des élèves ou encore de dialoguer avec les parents. Et, selon Roland Charnay, l’inventaire n’est sans doute pas complet… Pour lui, si on n’investit pas massivement dans la formation de ceux qu’il appelle les professionnels des apprentissages scolaires, à savoir les enseignants, on ne créera qu’aigreurs et désillusions.

"Réussir en maths à l’école c’est possible !", Hatier, 128 p., 7,60 €

Arnold Bac

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