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40 ans de l'AFAE : les politiques de l’éducation analysées à l’aune de l’idéologie et du pragmatisme

Paru dans Scolaire le lundi 19 mars 2018.

"Politique(s) de l’éducation : de l’idéologie au pragmatisme" : c’est le titre du colloque qui a rassemblé, pendant trois jours, quelque 200 personnes exerçant des fonctions de responsabilité à tous les échelons du système éducatif. La réflexion a notamment porté sur le fondement des politiques éducatives hier et aujourd’hui, sur l’articulation entre l’affichage politique et la réalité des classes, sur l’origine des décisions et des changements.

Les relations entre le projet éducatif de la nation et la sphère des politiques deviennent de plus en plus complexes, analyse en effet l’AFAE (Acteurs français de l’éducation) en préambule du colloque qui s’est déroulé du 16 au 18 mars à Lyon pour son 40e anniversaire. Le reflux des grandes idéologies, le brouillage des lignes politiques quand il s’agit de l’école, la multiplicité des lieux de décision modifient notamment la donne. On voit apparaître le souhait d’approches plus pragmatiques, fondées sur l’observation et l’analyse des résultats. Mais qu’en est-il vraiment de l’alliance entre la recherche et l’action politique ?

Touteduc a demandé leurs points de vue à deux intervenants du colloque. Alain Boissinot défend résolument l’évolution vers le pragmatisme invoqué et prône davantage d’autonomie à l’échelle locale. Marc Bablet énonce des écueils à une vision toute scientifique et pose des conditions au pragmatisme.

Alain Boissinot : Il faut aller dans le sens d’une plus grande déconcentration

Alain Boissinot préside le Conseil scientifique de l’AFAE. Inspecteur général, il a notamment été responsable de la Dgesco, recteur à Bordeaux et Versailles et président du Conseil supérieur des programmes, dont il a démissionné en 2014.

ToutEduc : Se dirige-t-on vraiment vers davantage de pragmatisme pour mener les politiques éducatives ?

Alain Boissinot : Les grilles de lecture idéologique n’ont plus la valeur qu’on leur prêtait. C’est vrai pour l’éducation nationale mais aussi pour d’autres secteurs, pour plusieurs raisons. D’un côté parce que le débat est débordé par l’international. Ce qui se passe à l’échelle européenne ou mondiale a davantage d’impact et les comparaisons internationales se sont mises à jouer un grand rôle. De l’autre côté parce que d’autres échelons, comme les collectivités et les établissements, revendiquent davantage d’autonomie.

Le rythme des évolutions est de plus en plus déconnecté du rythme des alternances politiques. On sait bien que ce n’est pas telle réforme, à telle rentrée qui change les choses.

ToutEduc : Le pragmatisme s’imposerait donc ?

Alain Boissinot : On peut raisonner de manière plus pragmatique, plus concrète, à partir des données dont on dispose. C’est vrai pour différents sujets. Par exemple, pour la lecture, faut-il aborder la question de façon polémique ou bien se mettre d’accord sur des méthodes de travail. Pour les mathématiques, c’est pareil. Le débat se cristallise autour des quatre opérations. Faut-il les apprendre très tôt ou bien plus tard, de manière plus graduée ? Or le rapport Villani Torossian indique que les deux positions ne sont pas incompatibles. Ce qui compte, ce sont les mécanismes logiques qui s’enclenchent derrière une opération. On peut se mettre d’accord au lieu de se perdre dans un faux débat.

ToutEduc : Mais certains sujets, comme la réforme du collège, ne font pas consensus, avec en toile de fond des enjeux de société…

Alain Boissinot : On connaît la contradiction depuis la réforme Haby. On veut l’égalité avec la possibilité de faire les mêmes études, mais si on est de bonne foi, on voit bien que les collégiens doivent pouvoir emprunter différentes voies. On a un collège unique mais des différences individuelles. C’est pour cela qu’il faut un collège commun plutôt qu’unique. L’égalité ne suppose pas forcément l’uniformité. Arrêtons de nous étriper autour de conflits idéologiques. Au départ, la réforme du collège était intelligente avec, notamment, davantage de marges de manœuvre aux établissements. Mais elle a déraillé en obligeant tous les établissements à faire pareil, comme une toise au nom de l’égalité. Désormais, le nouveau ministre lâche du lest.

ToutEduc : Sur la réforme des rythmes, il y a consensus scientifique, mais la décision politique ne le suit plus…

Alain Boissinot : On ne peut pas imposer nationalement la même chose à un petit village de la Drôme et à une grande ville des Hauts de Seine. Cette idée jacobine n’est plus possible dans la France de 2018. Il faut l’accepter, tout en gardant des principes. On a tendance à confondre les objectifs et les façons de faire.

ToutEduc : Justement, comment résoudre l’équation ?

Alain Boissinot : Il faut aller dans le sens d’une plus grande déconcentration, avec davantage de marges de manœuvre pour les établissements si on veut que le système vive et se transforme. Il faut que les décisions se prennent au niveau des collectivités territoriales, notamment les régions. Avec des garde fous : l’Etat garde les programmes et se donne les moyens de les évaluer, de dire ce qui ne va pas et ce qui est éventuellement dangereux.

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Marc Bablet : "La science ne peut pas trancher toutes les questions"

Marc Bablet est chef du bureau de l’éducation prioritaire à la Dgesco.

ToutEduc : Comment l’Education nationale utilise-t-elle ses propres évaluations pour faire évoluer le système ?

Marc Bablet : Quand on regarde différents pays, les pratiques d’évaluations sont extrêmement diverses. Dans la tradition française il y a, en classe, des évaluations standardisées qui servent à aider l’enseignant à analyser les besoins de ses élèves. Cela fonctionne à certaines conditions : il faut que ce soit bien travaillé et bien discuté. A l’échelle du système, il existe des évaluations pour différents usages. Souvent, il s’agit de regarder si des objectifs sont atteints.

ToutEduc : Mais aident-elles réellement à atteindre des objectifs ?

Marc Bablet :  C’est l’un des problèmes des évaluations du système. Nous disent-elles quelque chose des raisons de ce qu’on observe ? Par exemple, l’école française est inégalitaire. C’est un fait bien établi. Mais c’est autre chose de dire par quel mécanisme elle l’est. Quel est le lien avec les programmes, les pratiques des enseignants… ? Il faut donc compléter les évaluations par des recherches sur les mécanismes.

ToutEduc : Cette information existe…

Marc Bablet : Oui, il y a une masse d’informations, avec des angles de vue différents. Ces entrées plurielles sont nécessaires parce que les réponses sont plurielles. Selon les périodes les réponses sont apportées plutôt sous forme de dispositifs ou plutôt de manière systémique.

ToutEduc : Mais le politique peut-il vraiment se calquer sur ces éléments scientifiques?

Marc Bablet : Les politiques sont porteurs d’intérêts divergents. Par exemple, pour le CP à 12 élèves, on évoque actuellement une rivalité entre ces classes de taille réduite et les classes rurales. Comment arbitre-t-on ? Le politique va le faire, mais pas seulement en s’appuyant sur des éléments rationnels. Dans l’histoire du système, il y a des décisions plus ou moins cohérentes, soutenues par des logiques différentes.

La science ne peut pas trancher toutes les questions. Il faut garder la possibilité d’ouvrir des débats. Mais surtout il y a besoin d’accompagnement dans les procédures en classe, au quotidien. La qualité des enseignements constitue le cœur de la qualité des apprentissages.

Propos recueillis par Muriel Florin

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