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Le colloque d'Amiens, en mars 68, a-t-il ouvert la voie à la rénovation pédagogique ? (Colloque)

Paru dans Scolaire le dimanche 11 mars 2018.

"Pourquoi ne peut-on pas faire des problèmes pédagogiques des causes politiques, alors que cela a pu se faire pour le handicap ?" C'est avec cette interrogation qu'Antoine Prost a conclu le colloque qui était consacré à Amiens, ces 8 et 9 mars, au "colloque d'Amiens" qui, en mars 1968, avait vocation d' "étudier les problèmes de l'école nouvelle, de la formation des maîtres et de la recherche en éducation", comme l'avait déclaré à l'époque André Lichnerowicz, président de l'AEERS, l'association organisatrice.

C'est que beaucoup des questions qui se posaient dans les années 60, sont encore d'actualité. Pour celui qui était alors professeur au Collège de France, il importait "de renoncer à une conception exclusivement intellectualiste et encyclopédique de la culture" et de "développer chez l'enfant, avec le goût des connaissances, l'aptitude au changement, à la créativité", ce qui impliquait une "transformations des relations pédagogiques (...), la constitution d'équipes d'enseignants travaillant de façon coordonnée" et de "rompre avec l'individualisme". L'école "nouvelle" que les quelque 600 participants appelaient de leur vœux, supposait de "promouvoir la coopération entre les enseignants, les élèves et les parents". De plus, "le contenu des enseignements devrait être fixé par cycle".

Une alliance avec une partie du pouvoir gaulliste

Le colloque avait également conclu à la nécessité d'un "assouplissement progressif des structures et de la vie des établissements, leur architecture, ainsi que [de] la formation continue des maîtres" et du "développement de la recherche en éducation". Il réunissait les mouvements pédagogiques, les syndicats , SGEN-CFDT et les syndicats de la FEN (le Snesup, le Snes, le SNI), des universitaires, mais il avait le soutien du ministre de l'Education nationale, Alain Peyrefitte qui y prit la parole et qui, de fait, via des subventions à l'AEERS, l'avait financé. Avec le recteur de l'académie, Robert Mallet, il en avait soutenu l'organisation dont le maître d'œuvre était Jean-Louis Crémieux-Brihac, avec le soutien de l'inspecteur général Louis Cros. Il n'avait pas nécessairement celui du Premier ministre, Georges Pompidou, mais il avait la confiance de De Gaulle et ses intentions réformistes ne font aucun doute. Il avait d'ailleurs installé quelques semaines plus tôt "une commission de la rénovation pédagogique".

Celle-ci semble acceptable par l'opinion publique, l'intelligentsia de l'époque n'est pas foncièrement hostile, tout comme une partie de la classe politique puisque Pierre Mendès-France regrette de n'avoir pas pu venir. Mais qu'en est-il des enseignants? Le SNI, qui syndique alors le 1er degré, resté attaché aux écoles normales tandis que le SNES est favorable à la formule d'A. Lichnerowicz, "une formation universitaire pour tous les futurs enseignants". L'opposition entre les deux syndicats est évidente, et le SNES se brouille de plus avec la société des agrrégés. Il est lui-même profondément divisé, et il perd l'année suivante des points aux élections professionnelles, au profit des adversaires de la rénovation, le SNALC et la CNGA, comme le souligne Hervé Le Fiblec (institut de recherche sur l’histoire du syndicalisme dans les enseignements du second degré).

"La révolution a tué la réforme"

Quelques semaines plus tard, le quartier latin s'embrase, et "la révolution a tué la réforme", selon la formule d'A. Prost. Cela n'a pas empêché les thématiques d'Amiens de trouver des prolongements qui sont d'actualité 50 ans plus tard. On y comprend, comme le souligne Jean-Paul Delahaye, que "la salle de classe est un cadre trop étroit", qu'un établissement scolaire ne peut pas être "une juxtaposition de locaux", qu'il faut donner aux établissements une réelle autonomie, et intéresser les enseignants à sa gestion, de façon qu'ils participent à son projet, qu'ils travaillent en équipe... L'assistance avait d'ailleurs applaudi aux propos du directeur de l'Ecole alsacienne qui proposait à l'enseignement public de s'inspirer du privé sous contrat! Mais, commente l'ancien directeur de l'enseignement scolaire, "l'autonomie n'est jamais une demande du terrain".

De plus, ajoute Antoine Prost, le colloque a produit des recommandations, mais pas un ensemble structuré comme l'était le plan Langevin-Wallon. Celui-ci a été quelque peu oublié jusqu'à ce que le Parti communiste notamment et les partis d'opposition plus globalement aient besoin de pouvoir présenter une alternative à la politique éducative du pouvoir gaulliste. Le plan est alors réédité et il fait référence, contrairement au colloque d'Amiens, qui n'offre pas les mêmes possibilités en termes de polémique. S'y ajoute "l'ombre de mai 68", pour reprendre une formule de Bénédicte Grault.

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