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Science et technologie : la recherche a encore peu d'effets sur les pratiques d'enseignement (dossier de veille de l'IFÉ)

Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 02 mars 2018.

"Alors même que les politiques éducatives prennent en compte depuis plusieurs années les résultats de recherche en didactique, les différentes prescriptions, qu'elles soient d'origine institutionnelle ou issues de la recherche en éducation ont encore peu d'effets sur les pratiques d'enseignement des sciences." C'est l'un des constats qui ressort du dossier de veille de l'IFÉ (Institut français de l'éducation) de février 2018, consacré aux recherches en didactique menées sur le champ de l'éducation scientifique et technologique. Un constat observé (aussi à l'international d'ailleurs), alors même que ces recherches se sont développées dès la fin des années 1970, juste après l'introduction des sciences en primaire et au collège à la place des "leçons de choses", et qui se sont intensifiées après la création des IUFM en 1989. En effet, rapporte l'auteure, Catherine Reverdy, alors que la mise en place des IUFM "s'est traduite par la création de postes institutionnels d'enseignants-chercheurs didacticiens et l'implication encore plus forte des recherches didactiques dans la formation des enseignants", on constate toujours un "décalage entre les points de vue des recherches didactiques et les pratiques enseignantes". Constat qui a orienté les didacticiens des sciences et des technologies à s'intéresser de plus en plus aux pratiques des enseignants afin d' "aider les enseignants à mieux connaître les conceptions de leurs élèves mais aussi à mettre en place des pratiques adaptées". Ce dossier, élaboré à l'occasion des 20 ans de l'Association des recherches en didactique des sciences et des technologies (ARDIST), se fait l'écho d'une grande partie de ces travaux.

L'auteure observe notamment "l'écart entre les avancées de la recherche dans l'approche du changement conceptuel et la vision de l'enseignement qu'ont les enseignants". Ces derniers restent essentiellement accrochés à une "vision transmissive de l'apprentissage", écrit-elle, et "considèrent surtout que ce qu'ils pensent être un bon enseignement est le gage d'un apprentissage réussi". Or "le risque de réification ou de naturalisation des savoirs savants, qui garderaient un caractère quasi sacré, a été dénoncé par de nombreux travaux qui plaident pour une approche incluant les aspects culturels et pratiques du curriculum et visant à lutter contre une imprégnation descendante des savoirs savants". À ceci s'ajoute un autre écueil, "ce n'est pas la science comme telle qu'il enseigne, mais l'interprétation qu'a [le maître] de sa connaissance scientifique. [Il] transmet le savoir à travers son savoir ou ce qu'il croit savoir."

La démarche d'investigation pour permettre l'apprentissage de type socioconstructiviste

Pour autant, les recherches ont influé sur certaines pratiques. En premier lieu, sur le développement de la démarche d'investigation, qui "s'inscrit dans la continuité des recherches en didactique des sciences, en prenant en compte un modèle d'apprentissage de type socioconstructiviste, une responsabilité des élèves dans la construction de connaissances scientifiques, en rupture avec leurs conceptions initiales, en privilégiant les interactions sociales", note Catherine Reverdy. Cette démarche est d'ailleurs mentionnée depuis les années 2000 dans les programmes d'enseignement français, au primaire (dans les programmes de 2002 suite à l'opération "La main à la pâte" lancée en 1995) et au secondaire (pour les collèges en 2005, les lycées professionnels en 2009 et les lycées généraux et technologiques en 2010).

Ces démarches font même l'objet d'un véritable "engouement", et ce aussi à l'international, engouement moins suscité par les effets du modèle d'apprentissage, selon les chercheurs, que par le fait que ces approches sont considérées comme permettant de lutter contre la désaffection des jeunes pour les études scientifiques, parce qu'elles cherchent "à rendre l'apprentissage plus actif, plus motivant".

Préférer le regroupement des matières scientifiques à la seule démarche d'investigation ?

Néanmoins, plus récemment, d'autres travaux ont mis l'accent sur le fait que "l'attention quasi exclusive portée au caractère expérimental de l'enseignement des sciences, important par ailleurs, a quelque peu éclipsé d'autres aspects". Ainsi, des chercheurs avaient relevé, pour les sciences de la Terre par exemple, un "risque" à "les limiter à des sciences expérimentales", alors "qu'elles sont également des sciences historiques". L'un des chercheurs proposait alors "deux voies" "pour travailler de façon plus explicite cette nature des sciences", et pour "faire évoluer les représentations des élèves sur ce terrain" : "mettre les élèves dans une posture de chercheur", ce que l'on retrouve avec la démarche d’investigation, et introduire des "éléments d'histoire des sciences".

Aux États-Unis, où ont été perçues aussi depuis plusieurs années les limites des méthodes pédagogiques fondées sur la démarche d'investigation - "à commencer par les difficultés de mise en place de ces méthodes par les enseignants, même après formation" -, une nouvelle orientation a été donnée par le nouveau cadre du National Research Council américain, celle de regrouper les matières scientifiques pour "donner aux enfants une vision du monde cohérente et scientifique".

Une expérimentation est menée aussi en ce sens en France depuis 2006. Dit EIST (Enseignement intégré des sciences et des technologies), ce dispositif consiste à regrouper les enseignements de SVT, technologie et sciences physiques en classe de 6e et de 5e en un seul enseignement intégré, présenté par un enseignant d'une de ces matières. Si les objectifs sont à la fois de développer le goût des sciences, faciliter la transition entre l'école élémentaire et le collège, donner une cohérence entre les disciplines scientifiques et technologiques et pratiquer la démarche d'investigation, la DEPP délivrait néanmoins en 2013 une évaluation "en demi-teinte", puisque les résultats des élèves et leur attitude par rapport aux sciences ne semblaient "pas avoir évolué grâce à l'EIST". Des résultats à mettre pour partie sur "les traditions disciplinaires difficilement conciliables" dans un cadre scolaire en France.

Le traitement des questions "socialement vives" éloigné des pratiques des scientifiques

Catherine Reverdy observe aussi que les enseignants se sont emparé des "questions socialement vives" (problématiques sciences/religion, éducation au développement durable, éducation à la sexualité, etc.), et ce, malgré les difficultés qu'ils peuvent éprouver à les traiter "notamment quand il est question de la neutralité qu'ils ou elles doivent adopter vis-à-vis des élèves". Des questions qui font l'objet à la fois d'une pression sociétale mais aussi d'une pression institutionnelle et de recommandations de chercheurs. Simonneaux soulignait ainsi, dès 2010, que cette thématique était "cruciale pour l'enseignement à l'heure où les expertises scientifiques sont controversées et mises en débat dans la société".

Une des modalités souvent utilisée pour enseigner ces questions est le débat en classe, modalité jugée également pertinente par ce chercheur, car c'est "l'occasion d'améliorer les changements conceptuels des élèves, d'articuler les savoirs entre différentes disciplines, de prendre en compte les dimensions émotionnelles et sociales des apprentissages, et la dimension épistémologique".

Encourager l'engagement dans une action pour les questions "socialement vives"

Néanmoins, là aussi des chercheurs observent que la pression sociétale "devient parfois tellement forte qu'elle éloigne l'enseignement des sciences d'autres perspectives". L'auteure cite deux spécialistes de la didactique des sciences de la Terre, qui observaient, à propos des nouveaux programmes de 2015, "deux types d'évolution : une mise à l'écart des problèmes historiques socialement 'froids' que sont les problèmes de reconstitution du passé de la Terre et une valorisation des problèmes de devenir de la planète, des problèmes socialement 'chauds' comme celui du réchauffement climatique", une approche pourtant "théoriquement et méthodologiquement très éloignée des pratiques des scientifiques contemporains".

Sur la façon de traiter ces questions, certains chercheurs ont fait des recommandations originales. Hodson, qui estime que ces questions sont trop réduites à des controverses et des dilemmes, plaide pour une éducation qui laisserait une grande part à l'engagement des élèves dans des actions sociopolitiques et, pour ce faire, pour un curriculum de STSE (science- technologie- société- environnement) qui puisse s'intégrer dans le curriculum existant et permettre aux élèves de s'engager dans une action pour l'environnement.

Le dossier de veille n°122 de février 2018 ici

Camille Pons

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