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La BD semble adaptée à l'appropriation du savoir scientifique (laboratoire de didactique André Revuz)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le lundi 19 février 2018.

"Si vous me demandez si la bande dessinée est un bon outil pour s'approprier des savoirs scientifiques, la réponse est oui." Cécile de Hosson, professeur en didactique de la physique (Paris 7), se fait l'écho des observations faites dans le cadre d'un projet de recherche mené entre 2014 et 2017. Ce projet, SARABANDES (Stimuler l'apprentissage et la réflexion par des ateliers de bande dessinée), visait à observer "la façon dont le savoir circule et se transforme" chez des adolescents chargés de communiquer sous forme d'une planche de BD un savoir "savant" exposé par un chercheur. Les chercheurs ont en effet voulu voir si ce média avait permis aux jeunes de représenter de manière "valide" le savoir scientifique. Pour autant, les élèves, en suivant les codes spécifiques à la BD, en termes de choix d'illustrations ou de narration, peuvent s'éloigner de l'intégrité du savoir, constate encore la chercheuse. Mais même dans ce cas là, cette approche fait émerger un esprit critique dont ils pourront user lorsqu'ils aborderont des articles de sciences écrits dans d'autres contextes.

Sept ateliers organisés dans le cadre scolaire et périscolaire par l'association Stimuli, et une cinquantaine de jeunes de 12 à 16 ans ont été concernés par ces travaux. Les observations ont porté sur "la circulation de l'information scientifique à partir d'un discours savant, présenté chaque fois par un doctorant", explique la chercheuse. Un médiateur se chargeait ensuite de rendre ce discours "intelligible", de souligner "les informations qui méritaient d'être pointées" ou explicitait des mots. Les jeunes étaient ensuite accompagnés dans leur création par un dessinateur professionnel. Les discours ont porté sur des thématiques comme la cryptographie en mathématiques, les mocro-organismes en biologie, les propriétés physiques du soleil en physique ...

L'humour a pris le pas sur la fonction didactique

Des éléments propres à la BD, comme l'humour, ont pris parfois le pas sur la fonction didactique. "C'est drôle" (35 % des planches se voulaient humoristiques), "on raconte une histoire" (dans 27 % d'entre elles), "des personnages se parlent", alors que le choix de privilégier la dimension didactique n'a prévalu que dans 17 % des réalisations. Le savoir a été retranscrit au travers de microbes qui parlent, la chimie a fait l'objet de scénarios catastrophes..., transcriptions qui illustrent d'ailleurs "tout ce que la science porte d'imaginaire", analyse Cécile de Hosson. Cette observation a d'ailleurs incité les chercheurs à ajuster leur méthodologie et à étendre leurs observations au-delà des planches réalisées, en effectuant également des enregistrements des ateliers. Objectif étant d' "analyser", au-delà de l'appropriation des savoirs, "les ressorts qui étaient mobilisés". 12 heures de transcriptions vidéos ont ainsi fait l'objet d'une analyse des "processus de création". Ce à quoi se sont ajoutés des entretiens effectués a posteriori, auprès de 35 des 50 jeunes concernés, ceux qui étaient présents lors des expositions finales des planches, programmées à l'issue des ateliers.

Via cette double entrée, observation des retranscriptions des savoirs et des processus de création, les chercheurs concluent néanmoins, même "s'il est difficile de déterminer quand le savoir scientifique est malmené, si c'est parce qu'il a été mal conceptualisé ou si c'est parce que la contrainte de l'outil est trop forte", que les "distorsions" observées dans certaines planches ne sont pas nécessairement le "signe" d'une interprétation imparfaite ou erronée du savoir. Autrement dit, les jeunes semblent avoir globalement validé le savoir. Car même quand ils privilégient la façon de raconter une histoire sur les acquisitions qu'ils viennent de faire en termes de connaissances, d'une "manière ou d'une autre" ils prennent en compte ce savoir scientifique, observe Cécile de Hosson, qui souligne qu'il n'y a pas eu de gros écarts entre le discours "savant" et les planches et qu' "aucune BD n'est sortie en n'ayant rien à voir avec le discours".

L'analyse des résultats montre surtout, estime la chercheuse, "une appropriation des savoirs sous deux angles" : "les savoirs scientifiques, ainsi que ceux liés à la création de la BD, donc concernant la narration, le dessin et la mise en forme". En outre, poursuit-elle, le fait de malmener le savoir parfois de "manière très ironique", montre que les jeunes ont été capables de parvenir "à un degré d'abstraction très élevé" et qu'ils "sont allés au-delà du savoir à s'approprier".

Le format séquentiel adapté pour mettre en scène la causalité et des changements d'échelle

Si le médium peut susciter cet effet "distordant", il peut aussi, à l'inverse et toujours de par son format, être particulièrement adapté à l'acquisition de certains types de savoirs, observe encore Cécile de Hosson. Ainsi, les cases qui permettent une présentation séquentielle, constituent "un bon moyen de mettre en scène la causalité", qui est "un élément essentiel de la structuration du savoir scientifique", tout comme d'illustrer les "variables temps" et "espace", qui sont également des éléments importants en sciences. Par exemple, la BD permet "de jouer avec les échelles", alors qu'en sciences il n'est "pas simple de faire cohabiter des mondes micro, méso, macro...". Ainsi deux cases peuvent permettre de représenter deux échelles différentes sans nuire à l'intégrité du savoir.

En maths aussi, "les images séquentielles autorisent facilement un déroulé dans le temps". Ainsi, un atelier orienté sur la cryptographie (encodage, décodage) a donné lieu à des planches où des individus s'envoient des messages codés pour au final découvrir la clé du code. "L'enchaînement des cases est bien compatible avec le savoir en jeu, qui nécessite un enchaînement et l'isolement de chiffres, de lettres... jusqu'à la clé." De même, la possibilité d'introduire du discours via les "bulles" permet de ne pas représenter des micro-organismes mais de "montrer leur présence".

Entre les âges, des différences graphiques mais pas dans l'appropriation des savoirs

Concernant l'impact selon les âges, la chercheuse indique que les différences "se jouent au niveau graphique et au niveau de l'appropriation des savoirs". Celle-ci observe même des appropriations "très fines chez les plus jeunes", au regard, par exemple, d'une planche qui mettait en scène des micro-organismes marins autophages. "Les bactéries s'attaquent à des poules jusqu'à la dernière", raconte la chercheuse. "Et elles se parlent : - 'Mais on ne peut pas la manger, il n'en reste plus qu'une', ce qui signifie qu'ils courent à leur perte. - 'On s'en fiche', répondent les autres. La transcription traduit ainsi qu'ils ont compris qu'elles ne sont pas suffisamment douées pour se projeter dans la disparition de leur espèce", analyse-t-elle.

Enfin, la chercheuse constate que la BD permet de "s'adapter aux différences d'appropriation des savoirs de chacun", notamment parce qu'elle permet à l'élève de "s'affranchir de l'énoncé point par point" et de "réencoder des informations" de manière très diverse.

Le projet de recherche a été financé à 90 %, soit 110 000 euros, par la Région Île-de-France dans le cadre de l'appel à projets PICRI (Partenariat institutions-citoyens pour la recherche et l'innovation). Parmi les partenaires figurait également l'ESPE Lille Nord de France. L'apport du laboratoire s'est chiffré à 5000 euros, et le CEA a également financé des ateliers (sur le soleil) à hauteur d'un même montant. Ces financements ont permis de rémunérer les dessinateurs, les médiateurs ainsi qu'un contrat post-doctoral qui avait la mission de retranscrire et analyser les données collectées. 

Les principaux résultats de cette recherche ont fait l'objet d'un article, "Communicating science through the Comics & Science Workshops : the Sarabandes research project", actuellement soumis au Journal of Science Communication. Les auteurs ont aussi répondu à un appel à articles de la revue Tréma, pour un numéro à paraître fin 2018, sur le thème "Usages didactiques de la bande dessinée". Ces travaux avaient également donné naissance à un colloque organisé à Angoulême en 2016, Telling Science, drawing Science – Science en récit, Science en images. Une deuxième édition de ce colloque, qui vise à promouvoir et à partager des expériences et/ou des recherches engageant des pratiques de mise en récit / en image des sciences au sein des champs de l'éducation, de la médiation et de la communication scientifiques, est programmée en 2019, du 15 au 17 mai, à la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image à Angoulême.

Depuis 2011, le collectif Stimuli a mis en place plus d'une trentaine d'ateliers, en milieu scolaire ou périscolaire, à Paris et en Île-de-France principalement, mais aussi en régions (Reims, Le Mans, Toulouse, Castelnau-le-Lez, Marquion).

Le projet SARABANDES ici

Camille Pons

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