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ParcourSup : double-requête de demande de suspension et d'annulation (interview exclusive)

Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 16 février 2018.

Quelques jours avant la troisième journée nationale de mobilisation contre la réforme de l'ORE (Orientation et réussite des étudiants) et celle du baccalauréat, les organisations syndicales Solidaires étudiants, syndicats de luttes (SESL), et l'Union nationale lycéenne - syndicale & démocratique (UNL-SD), ont déposé, le 11 février 2018, une double requête contre le système ParcourSup : la première, en référé, demande la suspension du dispositif, et la seconde demande au Conseil d'État son annulation. Au travers de ce recours commun, les organisations "contestent la légalité de la plateforme mise en place par le gouvernement" au motif "que les bases juridiques qui devraient permettre la mise en place de ParcourSup ne sont pas assurées". "Elles ne le seraient pas", estiment-ils également, "même si le projet de loi voulu par le ministère venait à aboutir", ce qui est le cas depuis hier, jeudi 15 février, et elles appellent "à l'arrêt immédiat du site internet et à l'arrêt de toutes les procédures visant à instaurer une sélection à l'entrée de l’université". Quel poids pourraient néanmoins avoir des décisions judiciaires alors que la loi relative à la mise en place du dispositif vient d'être adoptée ? L'avocat au barreau de Paris qui s'est saisi de ce double recours, Maître Jérémy Afane-Jacquart, a répondu aux questions de ToutEduc. Pour lui, la façon dont la réforme s'est mise en place, via des sites et des chartes et non des textes, mettra celle-ci, quelles que soient les décisions judiciaires et le vote de la loi, toujours en insécurité juridique. La requête vise en effet à démontrer que "l'ensemble des décisions contestées ont été adoptées hors cadre légal, par des autorités incompétentes" et que "ce système est donc entièrement entaché d'incompétence". Et que si "ne pas adopter un instrumentum formalisé peut rendre la tâche du requérant plus complexe, la décision ne sera jamais exécutoire et toujours frappée d'insécurité juridique".

ToutEduc : Vous avez déposé le recours commun juste avant que la loi ne soit adoptée. Ce recours aura-t-il une utilité ?

Jérémy Afane-Jacquart : La question qui se posait était précisément le délai dans lequel cette loi serait adoptée. Pour ne pas qu'elle soit promulguée, il faudrait que 60 députés ou sénateurs saisissent le conseil constitutionnel. Nous savons que la France Insoumise et le groupe des communistes préparent un recours, ce qui représente une quarantaine d'élus. Mais pour atteindre le quorum, il faudrait des députés de l'ancien PS, Nouvelle Gauche. Or, nous ignorons la position du PS actuellement. Pour autant, la démarche ne sert pas à rien. Une sélection à l'entrée de l'université est-elle possible ? Je ne le pense pas. Le dispositif prévoit de donner la possibilité aux universités d'accepter ou non l'étudiant, ce qui est une atteinte au code de l'éducation. Même si une nouvelle loi est votée, juridiquement cela ne tiendra pas car les affectations se fonderont sur des critères locaux puisqu'il n'y a pas de cadrage des prérequis au niveau national.

ToutEduc : Comment motiviez-vous l'urgence ?

J. A-J : Les lycéens qui vont passer le bac, comme les étudiants en cours de reconversion sont actuellement dans une incertitude juridique causée par ParcourSup et donc dans une situation de détresse qui justifie que ParcourSup, qui s'est construit sur l'illégalité, soit expurgé de tous ces éléments [la requête souligne d'ailleurs : "il est inquiétant que l'autorité administrative, parce qu'elle sait qu'un débat parlementaire suscite des réactions contrastées, agisse subrepticement, non seulement hors de tout cadre légal, mais sans même prendre une décision formalisée", ndlr]. Résultat, c'est aussi, comme s'en fait l'écho de la presse généraliste, l'explosion du marché des coachs privés, marché qui fleurit sur cette incertitude et qui accentue les inégalités entre ceux qui ont les moyens et les plus pauvres. Et c'est hallucinant de demander à préparer un CV pour rentrer à l'université !

ToutEduc : Si le Conseil d'État donnait raison à la requête en suspension, quelles conséquences cela aurait-il sur le dispositif qui s'est mis en place ?

J. A-J : Nous n'avons pas fait d'injonctions pour montrer notre bonne volonté. En règle générale, les requérants demandent de prendre une mesure particulière. Ce n'est pas notre cas pour laisser une marge de manœuvre au ministère. Ce ne sera pas le chaos. Le but est d'améliorer la situation des étudiants et de ne pas nuire aux lycéens. Et expurger par exemple la plateforme de tous les éléments illégaux - les pré-requis ou attendus - sera nettement moins compliqué que d'avoir conçu ce site, qui est un trésor de difficultés et pour lequel il a fallu une organisation énorme. Le ministère pourrait aussi suspendre par exemple sans difficulté technique le téléchargement de CV et pièces complémentaires...

ToutEduc : D'autres organisations peuvent-elles se greffer sur vos recours ?

J. A-J : Sur le référé non, sur la requête en annulation, oui. Un autre recours a d'ailleurs déjà été déposé par l'UNEF, l'UNL et le Groupe communiste et le juge pourrait très bien décider de nous convoquer au même moment. Mais eux ont attaqué uniquement l'arrêté autorisant la collecte des données et n'ont pas les mêmes arguments que nous. Là, nous attaquons l'ensemble du dispositif, donc les trois décisions : la plateforme publique [dédiée à la mise en œuvre partagée des attendus des formations et des éléments de cadrage national], la plateforme privée qui peut s'apparenter à un site de rencontres entre universités [portail destiné à recueillir les choix des candidats, afin de les sélectionner], et à la collecte de données [arrêté du 19 janvier 2018 qui autorise la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel]. Contester ces trois décisions aurait d'ailleurs pu faire l'objet de trois requêtes différentes [elles sont "contestées", précise la requête car elles "instaurent, ensemble, au mépris du principe de liberté d'accès et de choix d'entrée dans l'enseignement supérieur, révélé par l'article L. 612-3 du code de l'éducation, un mécanisme de sélection à l'entrée de l'enseignement supérieur dépassant le cadre des exceptions consacrées par les alinéas 3 et suivants de cet article", ndlr]. Mais au sein de la même requête, sont développées des argumentations qui démontrent la dépendance de toutes ces décisions entre elles.

ToutEduc : Et si le conseil d'État tranchait ensuite en votre faveur, qu'est ce que cela pourrait impliquer ? 

J. A-J : Il peut y avoir une incohérence juridique. Quand SOS Éducation avait attaqué par référé la circulaire APB, l'association avait perdu [ordonnance du 2 juin 2017, ndlr]. Mais au final, le Conseil d'État a bien annulé la circulaire [décision du 22 décembre 2017 qui reconnaît que la circulaire est illégale au motif qu'elle conduit à la mise en œuvre d'un tirage au sort trop fréquent dans les filières dites en tension, ndlr]. Mais il a déclaré que cela ne pouvait avoir d'effet sur ce qui était passé, car cela créerait un vide juridique. C'est tout le problème du requérant, le juge a une marge de manœuvre, y compris pour les délais. Ce n'est pas nouveau, on compose tous les jours avec ces problèmes d'organisation juridique. Et ensuite, il existe une pléiade de recours possibles que nous pourrons utiliser, comme l'introduction de recours de lycéens qui n'auraient pas obtenu de place à l'université. Tout cela est quand même étrange de la part d'un ministre qui se dit libéral. On ne demande pas aux entreprises de justifier par exemple de l'utilisation des fonds du CICE (Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi), alors que l'on demande aux lycéens de se justifier de leurs choix. On a le bac, on rentre à l'université ! Et s'il n'y a pas assez de place, on augmente les investissements pour ce faire [ce qui est également suggéré dans la requête, ainsi que "des économies d'échelles" (regroupement des services universitaires, création de campus, décloisonnement des filières)", ndlr]. Je pense qu'il faut laisser les acteurs décider de leur destin. De toute façon, même s'il est très mal orienté, quelqu'un qui sera allé à l'université aura plus de chances de s'insérer, ne serait-ce que parce qu'il aura élevé son niveau de connaissances et d'abstraction. C'est choquant, on se dirige vers une université publique pour laquelle les places seront limitées !

Dans un communiqué en date du 13 février, l'organisation Solidaires Étudiants faisait état de mobilisations dans une trentaine d'universités, mobilisations qui vont de la tenue de simples assemblées générales jusqu'à des actions de blocage comme c'est actuellement le cas, depuis une dizaine de jours, dans les universités de Toulouse 2, Rennes 2 et Nantes.

Camille Pons

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