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Latin-Grec : le plaidoyer (et le réquisitoire) du rapport Charvet - Bauduin

Paru dans Scolaire le mercredi 31 janvier 2018.

Le ministère de l'Education nationale publie le rapport que Pascal Charvet et David Bauduin viennent de remettre à Jean-Michel Blanquer. Le ministre leur avait demandé de "formuler des recommandations pour valoriser les langues et cultures de l’Antiquité auprès des élèves, mieux préparer les futurs professeurs à leur enseignement et enfin dessiner les contours d’une plateforme de ressources numériques destinée aux professeurs, aux élèves et au grand public". Il estime que "l'assouplissement de la réforme du collège" a déjà "permis de redonner de la vigueur à l’enseignement des langues anciennes" puisque quelque "24 000 collégiens supplémentaires ont choisi d’apprendre le latin ou le grec" cette année.

Le rapport donne en effet des chiffres qui accusent la réforme du collège d'avoir provoqué la diminution du nombre des latinistes : alors qu'en 2015, seuls 51 collèges REP et 78 collèges REP+ ne comptaient aucun latiniste, c'était le cas l'année suivante de 163 collèges REP et de 126 collèges REP+. Ils montrent aussi "une baisse régulière" des effectifs de latinistes et d’hellénistes "depuis de nombreuses années". En 5ème, le pourcentage d'élèves latinistes est passé de plus de 26 % en 97 à 19,7 % en 2015, il a perdu un point en 2016, regagné cette année. Mais en 4ème, après une chute de près d'un point en 2015, 2016 retrouve le niveau antérieur et 2017 progresse encore d'un point. La courbe est plus plate en ce qui concerne les élèves de 3ème.

Des causes multiples

Les auteurs du rapport proposent une liste des causes de cette baisse. C'est d'abord la concurrence des langues et des options dont l'offre s'est développée. C'est aussi "la décision infondée (...) de répartir les élèves de latin ou de grec dans des classes systématiquement différentes", ce qui a "rendu de plus en plus difficile, en particulier au lycée, le travail des équipes de direction qui, de ce fait, n’ont pas pu proposer ces enseignements à des élèves pourtant potentiellement intéressés", tandis qu'ailleurs les horaires sont "souvent dissuasifs".

Ils mettent aussi en cause notre "tendance non seulement à négliger les civilisations passées, mais aussi à considérer l’étude approfondie des langues, vivantes ou mortes, qui demandent un effort intellectuel, régulier et soutenu, comme un pensum". Pour eux, il faut "rompre définitivement" avec "une approche strictement linguistique ou littéraire, voire formaliste, qui envisage la langue pour elle-même, en s’attachant seulement à la structure formelle et à l’œuvre esthétique, hors de son contexte historique et de ses représentations particulières". Ils proposent d'ailleurs de travailler sur des textes aménagés quand les textes authentiques sont difficiles. Mais à l'inverse, évoquant les effets de la réforme du collège, ils dénoncent aussi un éventuel repli "vers des perspectives pauvrement civilisationnelles sans réel appui sur la matière signifiante de la langue et des notions clés".

La pénurie d'enseignants

L'EPI "langues et cultures de l'antiquité" peut pourtant jouer un rôle positif et assurer la "transition vers l’enseignement facultatif", s'il est positionné en classe de cinquième au premier semestre. "Ainsi les élèves qui ne s’étaient pas initialement inscrits en enseignement facultatif peuvent-ils rejoindre ce dernier au plus vite, s’ils le désirent", surtout si une annualisation de l’horaire permet d'inscrire l’enseignement facultatif au second semestre et pour deux heures.

Le rapport pointe une autre difficulté, la pénurie de professeurs de lettres classiques dans les collèges alors que les lycées sont beaucoup plus largement dotés. Il pointe aussi les inégalités territoriales : la proportion de professeurs de lettres classiques (parmi les professeurs de lettres) varie de 3,7 % pour Mayotte, à 13 % pour les académies de Corse ou de Créteil contre 24 % pour Paris et Limoges. Les deux auteurs évoquent aussi la réforme du concours : une seule épreuve d’admissibilité combine à présent deux versions de latin et de grec, une difficulté qui incite des étudiants de Lettres classiques à préférer le CAPES de Lettres modernes mention latin "où le faible taux de pression – dû au petit nombre de candidats par rapport au nombre de postes offerts – leur permet d’envisager très sereinement d’être reçus sans difficulté". A noter que le nombre des départs définitifs (le plus souvent à la retraite) des enseignants de lettres classiques est estimé à près de 600 pour cette année et l'an prochain (voir aussi ToutEduc ici)

Lutter contre les stéréotypes

Autre difficulté qu'évoque le rapport, "on ne réussira pas à développer un enseignement étoffé et pérenne si on ne lutte pas d’abord contre les préjugés que ce rapport dénonce, avec la même force avec laquelle on combat justement les stéréotypes de genre (...) L’enseignement des langues et cultures de l’Antiquité accueille bien tous les élèves volontaires et favorise leur succès, et leur apprentissage n’est pas réservé à une élite ou à une catégorie sociale."

Les auteurs mettent aussi l'accent sur la rénovation pédagogique de cet enseignement et sur ses perspectives en termes de civilisation. Ils soulignent par exemple l'intérêt d'une innovation, "engagée depuis plusieurs années", et qui vise à "l’articulation, au sein de sections spécifiques, de l’enseignement conjoint des langues et cultures de l’Antiquité et de celui de l’arabe", ce "qui implique des équipes pluridisciplinaires". Ils évoquent également "l’expérience théâtrale" qui viendrait "relayer et conforter l’approche du sens que l’élève aurait perçu au travers de l’histoire du mot et de son étymologie". Ils envisagent d'ailleurs "un séminaire national de formation sur l’acquisition du lexique qui se tiendrait" au mois de mai. Ils proposent la création d'une "Maison numérique des Humanités", conçue comme un "réseau collaboratif" qui organiserait les ressources "en un domaine Web unique de consultations et de projets" et qui aurait pour nom provisoire Odysseum.

David Bauduin, IA-IPR de lettres, a été conseiller au cabinet de Luc Chatel alors qu'il était ministre de l'Education nationale

Pascal Charvet, inspecteur général, agrégé de lettres classiques, poète, a notamment été directeur de l'ONISEP.

Le rapport ici

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