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La DGESCO "met en musique la politique du ministre" (Jean-Marc Huart, interview exclusive)

Paru dans Scolaire le vendredi 02 février 2018.

Quel est le rôle de l'administration quand elle publie le moins de textes possible ? quels rapports avec les collectivités territoriales ? quelle orientation en fin de 3ème ? Jean-Marc Huart répond aux questions de ToutEduc

ToutEduc : Vous êtes maintenant à la tête de la DGESCO, la direction générale de l'enseignement scolaire, depuis plusieurs mois, comment concevez-vous votre rôle ?

Jean-Marc Huart : La DGESCO, c’est la direction générale qui met en musique la politique éducative du ministre de l’éducation nationale et qui alloue les moyens aux académies. Elle agit à la fois sur l’organisation et les contenus pédagogiques des enseignements de la maternelle à la fin du lycée comme de la formation professionnelle des adultes. Elle gère les quelque 50 milliards d’euros des trois BOP [budgets opérationnels de programme] correspondant à l'enseignement public 1er et 2nd degrés ainsi qu’à l’enseignement privé sous contrat.

Mes équipes sont donc au cœur de l’élaboration et de la mise en œuvre de nos politiques éducatives. Nous travaillons à favoriser la réussite de tous nos élèves en veillant à ce que tous puissent avoir les mêmes chances indépendamment du lieu où ils habitent ou de leurs origines familiales.

ToutEduc : Qu’entendez-vous par "réussite" ? C'est une notion qui peut renvoyer à des conceptions très diverses... 

Jean-Marc Huart : Réussir, c’est faire en sorte que nos élèves puissent acquérir des connaissances et des compétences qui leur permettent, pour les élèves de l’enseignement générale ou technologique, de s’insérer dans l’enseignement supérieur et au-delà dans la vie active. Réussir, c’est leur permettre d’acquérir des fondamentaux, le ministre insiste beaucoup sur le "lire écrire compter et respecter autrui", c’est-à-dire à la fois acquérir des connaissances disciplinaires académiques mais aussi le savoir-être qui leur sera utile pour bien s’insérer dans la vie professionnelle de demain.

Réussir, c’est à la fois réussir ses études supérieures, s’insérer sur le marché de l’emploi et être en capacité de se former tout au long de la vie. C’est aussi agir dans la société en tant que citoyen, en tant qu’individu responsable, autonome et libre doté d’un esprit critique développé. Le ministre parle beaucoup de l’école de la confiance. Il s’agit de faire en sorte que la nation ait confiance en son école parce que les élèves qui sortent de cette école ont tous des compétences et qu’ils sont prêts à affronter leur avenir.

ToutEduc : C’est un souhait mais qu’en est-il dans la réalité ?

Jean-Marc Huart : Je passe beaucoup de temps dans les classes depuis le début de l’année scolaire, notamment dans les cours préparatoires en éducation prioritaire renforcée et je constate que cette ambition se traduit concrètement sur le terrain. J’ai rencontré des professeurs des écoles complètement investis dans l’action, faisant preuve d’un engagement et d’une créativité exemplaire pour faire progresser leurs élèves, notamment dans l’apprentissage de la lecture. Je constate vraiment une dynamique intéressante au profit des enfants.

La réussite de tous les élèves est à portée de main. Notre grand défi est de résoudre la difficulté scolaire dès qu’elle se présente. On a peut-être trop souvent pensé qu’on pouvait la résoudre l’année suivante ou à la fin d’un cycle. C’était une erreur. Les évaluations à l’école primaire permettent que les points forts et les points faibles soient clairement identifiés de manière à pouvoir agir tout de suite et éviter de procrastiner. Notre efficacité est décuplée lorsqu’on peut agir à la racine des difficultés. C’est ce que nous avons voulu faire en dédoublant les classes de CP en REP+ à la rentrée de septembre. Il est encore trop tôt pour avoir une évaluation scientifique de cette mesure mais les remontées de terrain sont très positives. Les professeurs et les parents rapportent un apprentissage des fondamentaux, bien meilleur pour les enfants. C’est pour cela que nous allons continuer d’étendre cette mesure à la rentrée 2018 et 2019 en CP et CE1 de REP et REP+. En 2019 ce seront 350 000 enfants qui bénéficieront, chaque année, de ces classes à 12 élèves. C’est un vrai investissement sur les années dont on sait qu’elles sont cruciales pour la réussite de toute une scolarité.

ToutEduc : Le ministre entend clairement réduire le nombre de circulaires mais leur absence ne vous oblige-t-elle pas à vous reposer entièrement sur la hiérarchie intermédiaire ?

Jean-Marc Huart : Justement, prenez l’exemple des CP à 12 ou la mise en œuvre du programme "devoirs faits". Toutes ces mesures ont été mises en place de manière extrêmement efficaces sans publier de circulaires, grâce au travail de l’ensemble des acteurs. Le programme "devoirs faits" existe dans les 7 500 collèges de France. C’est une mesure unanimement saluée qui permet de réduire l’inégalité devant les devoirs.

Il faut des textes réglementaires sans tomber dans l’excès. Pour "devoirs faits " nous avons diffusé un vade-mecum qui explicitait très clairement les objectifs et les marges dont bénéficiaient les acteurs pour la mise en œuvre de cette mesure. Les retours du terrain sont positifs. C’est bien la preuve qu’un travail de pédagogie auprès des acteurs peut, parfois, être plus efficace que la voie réglementaire. Pour les CP à 12, nous avons mis à la disposition des enseignants des ressources pédagogiques, sur notre site Eduscol. Leur niveau de consultation nous confirme combien que ces ressources étaient attendues. Par ailleurs, le rôle des inspecteurs et des chefs d’établissement est justement de relayer l’institution et de mettre à la disposition des professeurs l’ensemble de ces ressources. Il faut être pragmatique et savoir adapter nos modes de fonctionnement pour être efficace et au plus proche des besoins des professeurs et des équipes pédagogiques.

ToutEduc : Dès lors, les opérateurs de l’éducation nationale, Canopé, Onisep et Cned ne prennent-ils pas davantage d'importance ?

Jean-Marc Huart : Ils ont un rôle défini par leur statut mais je pense que nous pourrions nous appuyer encore davantage sur ces opérateurs. L’administration centrale n’a pas toujours été très à l’aise pour indiquer aux opérateurs ce qu’elle attendait d’eux. Canopé pour la production de ressources pédagogiques, l’Onisep sur tout ce qui concerne l’orientation, le CNED pour l’enseignement à distance doivent être des opérateurs de mise en œuvre de la politique ministérielle. Un bon exemple, à propos du plan Etudiant et de la mise en œuvre de Parcoursup, est la mobilisation de l’Onisep à partir des souhaits des deux ministères, qui a abouti à la création en un temps record du site Terminales 2017/2018, aujourd’hui très consulté.

ToutEduc : La création des CP à 12 a fait réagir certaines municipalités en ce qui concerne l’aménagement des locaux. Certains élus nous ont parlé du travail effectué sur la cour de récréation pour favoriser les jeux calmes, et l'obligation dans laquelle ils se sont trouvés d'implanter des préfabriqués a réduit à rien une réflexion de longue haleine. Comment avoir un dialogue positif avec des communes sur des sujets pédagogiques alors qu'on leur a longtemps refusé cette compétence ?

Jean-Marc Huart : Le rôle des collectivités territoriales dans la mise en œuvre de la politique éducative est évidemment fondamental. L’action des municipalités pour la mise en œuvre des CP à 12 a été absolument exemplaire et s’est faite en parfaite harmonie et intelligence. Nous avons demandé aux inspecteurs de l’éducation nationale d’être au plus près des maires pour travailler avec eux.

ToutEduc : Le texte sur la réforme du diplôme national du brevet ne semble modifier qu'à la marge les coefficients. Qu'en est-il réellement ?

Jean-Marc Huart : Le DNB est un diplôme très important dans le parcours de formation des élèves. En fin de troisième, il constitue un rite de passage important. Mais au-delà de sa portée symbolique, le brevet est un outil d’évaluation déterminant, un repère qui permet aux élèves et aux parents de procéder aux choix d’orientation.

La session précédente du brevet s’est caractérisée par une complexité forte et par des résultats en augmentation. Ce qui est très bien. Encore faut-il qu’ils correspondent à des performances scolaires réelles. Nous avons souhaité équilibrer le poids des épreuves finales par rapport au contrôle continu. Elles sont maintenant à égalité. Nous avons également souhaité que chaque épreuve retrouve son identité disciplinaire propre. Que l’épreuve de français soit une vraie épreuve de français, de même pour les mathématiques, l’histoire-géographie et les sciences.

ToutEduc : Selon le SNETAA-FO, une instruction aurait été donnée aux recteurs pour favoriser l’orientation en fin de 3e vers l’enseignement professionnel, alors qu'actuellement, c'est la voie générale qui recueille le plus grand nombre d'élèves. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Marc Huart : Nous avons depuis un grand nombre d’années cherché à valoriser dans le discours la voie professionnelle tout en continuant de privilégier la voie générale et technologique dans la réalité. Nous avons un devoir de cohérence. Il faut sortir de ce discours paradoxal. Notre défi au collège est d’être en mesure de poser un regard différent sur la voie professionnelle. Elle doit devenir une voie d’excellence et non une voie choisie par défaut. Jean-Michel Blanquer a clairement exprimé l’importance qu’il accordait à la revalorisation de la voie professionnelle, deuxième priorité de son action ministérielle après l’apprentissage des fondamentaux à l’école primaire. A cet effet, il a demandé à Céline Calvez et Régis Marcon de consulter largement et de lui faire des propositions. Leur rapport lui sera remis prochainement.

ToutEduc : Quel bilan tirez-vous du bac pro en 3 ans ?

Jean-Marc Huart : Auparavant, vous aviez plus de 50% des jeunes qui, après avoir passé un BEP, ne poursuivaient pas vers le bac pro. Aujourd’hui on a très clairement une augmentation du taux d’accès au baccalauréat portée par la voie professionnelle. Je pense sincèrement que la réforme du bac pro en 3 ans est une réussite et qu’elle s’inscrit tout à fait dans la valorisation de la voie professionnelle comme voie d’excellence.

Propos recueillis par Colette Pâris et Pascal Bouchard, relus par Jean-Marc Huart

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