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Quelles conceptions, potentiellement dangereuses, recèle l'expression "école de la confiance" ? (revue)

Paru dans Scolaire le mercredi 10 janvier 2018.

Le dernier numéro de la revue "Recherches en éducation" a pour titre "Aux sources de la confiance dans la relation éducative" et l'éditorial d'Hubert Vincent s'ouvre sur ce cri : "Peut-être bien que les philosophes n’ont-ils jamais voulu qu’une seule chose : se débarrasser (...) de la croyance qu’il y a des maîtres, qu’il devrait y en avoir, qu’il y en a forcément quelque part, et des maîtres qui savent (...). Et dire cela n’implique pas qu’ils ne furent pas attentifs au fait que, dans l’expérience de chacun, il ait pu se trouver des maîtres de rencontre, des gens, des vivants, des oeuvres, des pratiques, ordinaires ou extraordinaires qui, comme disait Paul Valéry, enseignaient, dans la mesure même 'où ils faisaient voir autrement ce que nous ne savions pas voir'."

La question n'est donc plus tant de savoir s'il y a confiance, mais de quel type de confiance il s'agit. Didier Moreau (Paris 8) distingue celle qui conduit à la "conversion" et celle qui pousse à la "métamorphose". La première suppose "un maître de vérité" et "une relation de séduction" tandis que la seconde "pose plutôt le motif d’un sujet pour qui s’apprendre c’est se métamorphoser, se changer, dans le jeu des interactions fécondes avec autrui". Il met en garde, "le discours éducatif semble être devenu, depuis une ou deux décennies, sensiblement plus souriant. Les termes de bienveillance, sollicitude, estime et confiance, ont répudié dans les coulisses obscures ceux, plus sévères, de connaissance, de vérité, d’engagement et d’effort. Il ne faut pas s’y tromper, les pratiques pédagogiques n’ont, elles, guère changé, et sous le sourire apparent agit toujours la même logique de subalternisation de ceux qui apprennent vis-à-vis de ceux qui les enseignent."

Le savoir, le pouvoir 

Pour lui, la confiance légitime dans l’éducateur "n’est pas une promesse de savoir", son but n'est pas "le maintien d’une relation inégale entre éducateur et éduqué, mais tout au contraire l’affirmation de la confiance en soi qui résulte de l’engagement résolu de l’éduqué dans un savoir qui lui donne la force d’agir et de continuer à se former". Dès lors, la vérité "se construit dans cette capacité du sujet à expérimenter qu’il se change en se formant" et qu'il devient, pour reprendre la formule de Sénèque "l’ami de soi-même". Mais le philosophe met en garde : "la confiance en soi est ce qui déstabilise toute hiérarchie qui résulte de la distribution inégale des savoirs." 

De même Wanderley Oliveira (Université de São João del Rei - Brésil) s'inquiète : "Et si le pouvoir dû à la parole de l'enseignant pouvait être utilisé pour promouvoir plutôt son pouvoir sur les étudiants ? Et si le logos de l’enseignant en classe était au service, non de la connaissance mais du pouvoir de l'un (l´enseignant) sur les autres (les étudiants) ?" Alain Firode (Espé de Lille) invoque pour sa part Popper qui entendait "renouer avec une tradition pédagogique fort ancienne, remontant (...) au personnage mythique de Thalès" qui "ne se serait pas adressé à ses disciples dans l’intention de les convaincre et d’obtenir leur assentiment, mais dans celle de les défier et de les inciter à la réfutation de ses propres thèses. Bien loin de chercher à gagner la confiance de ses auditeurs, le maître authentique, selon ce modèle pédagogique, s’emploierait au contraire à susciter la défiance de ses élèves (en usant au besoin de la provocation et du paradoxe, comme Popper lui-même, tout au long de sa carrière de professeur et de conférencier, n’a cessé de le faire)".

Ce maître authentique s'attacherait à promouvoir "une approche résolument critique des savoirs établis, une approche qui vise non à les prouver mais à les mettre à l’épreuve, à les réfuter". Ce maître peut être qualifié d' "incertain" : il a conscience que le savoir acquis par lui au prix de longues années d’efforts se trouve être tout à la fois et objectivement incertain et incertainement compris de lui-même". Et l'auteur ajoute "que cette critique de la conception traditionnelle de la relation pédagogique présente de nombreux traits communs avec celle que le philosophe [Karl Popper]adresse, dans le domaine politique, aux théories du gouvernement, d’inspiration platonicienne, qui prétendent qu’on peut 'revendiquer le pouvoir parce qu’on a des qualités intellectuelles éminentes'."

"Recherches en éducation", n° 31 (janvier 2018), téléchargeable gratuitement ici

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