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Enseignants : des clivages persistants entre premier et second degrés (Géradine Farges, ouvrage)

Paru dans Scolaire le mardi 09 janvier 2018.

"Paradoxalement, c'est au moment où les politiques éducatives insistent le plus sur la 'communauté éducative' que les 'mondes enseignants' paraissent se différencier toujours plus." Quelle distance sociale sépare, aujourd'hui, les enseignants qui sont répartis dans plusieurs niveaux d'enseignements et sous de multiples statuts ? Sur quoi repose cette distance ? Comment a-t-elle évoluée, surtout depuis le tournant des années 2000, alors que "l'hétérogénéité structurelle des conditions enseignantes" n'est pas nouvelle en France ? Ce sont les questions auxquelles tente de répondre Géraldine Farges, dans son ouvrage publié en octobre 2017, "Les mondes enseignants – Identités et clivages". Cette chercheuse en sciences de l'Éducation (université de Bourgogne Franche-Comté), observe en effet que, malgré des grilles indiciaires et des niveaux d'études désormais "équivalents", les enseignants constituent toujours un "groupe hétérogène tant du point de vue des corps que des revenus, des parcours sociaux et de formation, de la valeur accordé au métier, des conditions de travail, ou encore des sociabilités, des pratiques culturelles ou du rapport au politique". Et ces "clivages" sont "durables", le monde enseignant formant même aujourd'hui "deux continents".

L'ouvrage, qui s'inscrit dans la lignée de la thèse que l'auteure a soutenu en 2010, met notamment en exergue, sur trois chapitres et exclusivement pour les enseignants relevant des premier et second degrés, la persistance d'inégalités dans les revenus, les attentes auxquelles les soumet l'institution, les possibilités de mobilité et d'ascension. L'auteure pointe aussi la persistance d' "écarts informels" : ceux observés en termes de reconnaissance, malgré l'égalité des niveaux de diplômes, mais aussi en termes de modes de vie, de pratiques culturelles, de rapport au politique...

L'ouvrage s'appuie sur des données de "terrain" recueillies par questionnaires auprès d'un panel de 1749 enseignants actifs, à partir d'un échantillon fourni par la MAIF. Si les enseignants des premier et du second degrés sont représentés de manière équitable, les femmes sont néanmoins majoritaires (82 % dans le premier degré, 58 % dans le second degré). Ces données ont été complétées par l'exploitation d'entretiens : 40 ont été réalisés en 2007 en région lyonnaise, 20 en 2008, dans 13 départements.

C'est l'institution scolaire qui divise les corps

Si les changements récents des statuts (les professeurs des écoles ayant rejoint les enseignants du second degré du point de vue des revenus et niveaux d'études) pouvaient donner "l'impression d'un rapprochement", les inégalités perdurent du point de vue économique et du point de vue des conditions de travail, observe d'abord l'auteure. Premier constat, si les niveaux de vie des enseignants du premier degré se sont améliorés, ils "restent plus modestes que dans le second degré". Les enseignants du second degré semblent aussi avoir davantage de perspectives de mobilité, voire d'ascension professionnelle. De fait, 35 % des enquêtés en collèges et lycées "pensent faire autre chose dans 10 ans", souvent pour faire d'autres métiers de l'enseignement, contre 25 % chez les enseignants du premier degré. Ces derniers expriment en revanche davantage d'intérêt à rester dans l'Éducation nationale pour rejoindre d'autres fonctions, notamment d'encadrement.

Sur ces plans, c'est l'institution scolaire qui, "au départ, divise les corps", estime Géraldine Farges, puisque les demandes adressées aux uns et aux autres "ne sont pas les mêmes". L'auteure relève notamment les différences dans les compétences attendues chez les uns et les autres, inscrites dans le référentiel de 2013 : les "sous-compétences" de ces dernières sont ainsi "beaucoup plus nombreuses" pour les professeurs des écoles ou pour les professeurs des lycées professionnels que pour ceux des collèges et des lycées. Ce n'est pas tant qu'elles soient distinctes qui étonne la chercheuse, mais que celles-ci soient "nettement plus prescrites" pour les professeurs des écoles.

Dans la même logique, perdure aussi un écart au niveau des attentes en temps de travail, celui des enseignants du second degré restant défini par un service minimal hebdomadaire "fondé essentiellement sur l'enseignement" (15 heures pour les agrégés, 18 heures pour les certifiés, 20 heures pour les professeurs d'EPS). Contrairement à eux, ceux du premier degré voient leur temps de travail défini, au-delà de l'enseignement  par d'autres missions : travail en équipe, relations avec les parents...

Des divisions sociales

Ces écarts dans les attentes peuvent expliquer les inégalités également constatées du point de vue des modes de vie : les professeurs des écoles "font face à un travail prescrit plus lourd qui empiète sur leur vie personnelle", écrit-elle. De même, "ils ont moins d'autonomie dans l'organisation du travail". Néanmoins, celle-ci note que les professeurs des écoles, par leurs choix maritaux et sociaux, arrivent plus souvent à des revenus de foyers plus "favorables" - ils sont plus souvent en couple avec un cadre alors que ceux du second degré le sont avec un autre enseignant ou une personne moins qualifiée - et à réaliser plus facilement "l'idéal d'ouverture sociale".

Enfin, la chercheuse pointe du doigt des différences "symboliques" ou "informelles" et des "divisions sociales". Enseignants des premier et second degrés sont ainsi "inégalement dotés en termes de prestige de profession". De fait, "enseigner dans le premier degré et le second degrés ne revêt pas la même valeur", note l'auteure. Si tous font le constat de conditions de travail "particulièrement difficiles" et si tous ont aussi l'impression d'exercer une profession "peu valorisée socialement", les enseignants du second degré se sentent davantage valorisés sur le plan intellectuel. 

Inégalités en termes de "prestige" de profession et de "prestige" de naissance

Ils sont aussi inégalement dotés du point de vue du "prestige de naissance", les enseignants du second degré restant issus de milieux sociaux plus favorisés, même si les origines sociales se sont élevées dans les deux niveaux. Ce qui peut également expliquer des différences notables en termes de vie sociale et que ces groupes "se côtoient peu". Ainsi, les enseignants du second degré ont plus souvent des relations amicales tournées vers "le haut" de la hiérarchie sociale, et ils sont plus mobilisés et "plus représentés à l'Assemblée nationale". Il y a aussi la "persistance" de clivages anciens, observe encore l'auteure et "le maintien des rigidités corporatistes". Ainsi, on entend encore de jeunes professeurs des écoles se qualifier "d'instits" alors même que leur statut a été créé il y a 25 ans.

Malgré une volonté de rapprochement qui "n'est pas nouvelle", l'auteure rappelle qu'historiquement, les tentatives d'unification des statuts avaient rencontré de "nombreuses réserves" et avaient finalement abouti, en 1990, à la création du statut des professeurs des écoles et non à un statut unique.

En 2016, selon les chiffres du ministère de l'Éducation nationale donnés par l'auteure, la France comptait 859 435 enseignants, dont 340 685 enseignants dans le premier degré public (soit 40 % des effectifs) et 382 617 enseignants dans le second degré public (représentant 44 % des enseignants). 

"Les mondes enseignants – Identités et clivages", Géraldine Farges, Presses universitaires de France (PUF), collection "Éducation et société", 240 pages, 25 €

Camille Pons

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