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Une proposition de loi pour "mieux encadrer le régime d'ouverture des établissements privés hors-contrat" suscite les inquiétudes

Paru dans Scolaire le mardi 26 décembre 2017.

Une proposition de loi "visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture des établissements privés hors contrat" a été déposée au sénat le 27 juin 2017 et enregistrée le 4 juillet 2017. Présentée par la sénatrice UC (Union centriste) Françoise Gatel, elle est inscrite à l'ordre du jour du sénat le 21 février 2018 et passera auparavant, le 7 février, devant la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. L'exposé des motifs indique qu'elle vise à "harmoniser les procédures ainsi [qu'à] mieux encadrer et renforcer le régime de déclaration", le régime d'ouverture actuel n'étant actuellement "pas satisfaisant", selon les porteurs de la proposition de loi, de "par la complexité de la procédure, le sentiment de faits accomplis dans lequel il place élus locaux et services de l'État" mais aussi par "les leviers d'actions trop limités qu'il offre".

Selon certains observateurs, interrogés par ToutEduc, cette proposition de loi, passée inaperçue, permettrait de "faire repasser discrètement par la petite porte" le projet de substituer aux procédures actuelles un régime d'autorisation préalable, qui avait été proposé dans le cadre du projet de loi "Égalité et citoyenneté" et avait été retoqué par le Conseil constitutionnel le 26 janvier 2017, parce qu'il portait "une atteinte disproportionnée à la liberté constitutionnelle d'enseignement, indissociable de la liberté d'association" (ici). Or "cette proposition de loi reprend les principales dispositions prévues pour ce régime d'autorisation, tout en prétendant rester dans un régime de déclaration", estiment-ils.

Élargissement des délais et des motifs d'opposition

La proposition de loi vise notamment à allonger les délais d'ouverture, via l'allongement des délais d'opposition qui peuvent être exercés par le maire, d'une part, et les services de l'État d'autre part (autorité académique, préfet et procureur de la République). Des délais actuellement jugés "très courts" et qui seraient donc portés "respectivement à deux et trois mois", au lieu de 8 jours et un mois. Le projet vise également à unifier les motifs d'opposition, jugés aussi "trop restreints". Or, cet élargissement des délais et des motifs contribuerait "à instaurer un contrôle d'opportunité préalable", analysent toujours certains observateurs, contrôle d'opportunité qui "pose de graves problèmes constitutionnels" puisque "la liberté d'enseignement relève des libertés constitutionnelles".

La proposition de loi introduit d'ailleurs une liste de pièces à produire qui comprend notamment les titres du chef d'établissement et des enseignants, le projet pédagogique et les modalités de financement de l'établissement, les programmes et les horaires de l'enseignement, le plan des locaux, l'acte de naissance et l'extrait du casier judiciaire du déclarant, ainsi que l'indication des lieux où il a résidé et des professions qu'il a exercées pendant les dix années précédentes. Pour ces mêmes commentateurs, le renvoi à un complément de documents à produire par décret est très préoccupant, car la liste peut ensuite être alourdie par le gouvernement.

Comme pour les écoles publiques, conditionner l'ouverture à un contrôle de sécurité et d'accessibilité

Pour autant, "il ne s'agit absolument pas d'une loi d'entrave à la liberté d'enseignement", rétorque Françoise Gatel, interrogée également par ToutEduc. "Si la procédure imaginée par l'ancienne ministre de l'Éducation nationale était effectivement anticonstitutionnelle, nous trouvions étonnante l'idée que tous les lieux qui reçoivent des publics ne puissent pas avoir à subir des contrôles, notamment d'accessibilité et de sécurité, alors qu'aujourd'hui un dossier pour ouvrir une école publique, comme une crèche ou encore une salle de sport [pour la construction ou des travaux d'aménagements, ndlr], passe obligatoirement par des sous-commissions départementales de sécurité et d'accessibilité. Et nous avions approuvé le constat qu'il fallait uniformiser et simplifier alors qu'il existe aujourd'hui trois dispositifs d'ouverture [Françoise Gatel était rapporteure pour la loi "Égalité et Citoyenneté", ndlr]". Quant à la pédagogie, elle ne fait l'objet d' "aucune analyse", assure la sénatrice, les pièces concernant les programmes et les grades des enseignants ayant pour objet "de s'assurer que les gens ont les diplômes qui permettront d'assurer un enseignement de qualité et qui soit conforme aux valeurs de la République".

L'association Créer son école (ici), interrogée sur ce point, s'étonne des propos de Françoise Gatel. Selon elle, les écoles hors contrat sont tenues aux mêmes contrôles d'accessibilité et de sécurité que les autres ERP (établissements recevant du public). Elle ajoute : "Alors que les commissions de sécurité sont très compréhensives sur le non-respect des normes handicaps par les écoles publiques, elles sont au contraire inflexibles lorsqu'il s'agit de l'ouverture d'une école privée. Quant à l'uniformisation des régimes, elle ne se justifie qu'à situation comparable. Aujourd'hui, ce qui justifie que les pièces administratives demandées aux établissements techniques hors contrat soient plus nombreuses que pour les autres établissements hors contrat, c'est que ces établissements sont éligibles à des financements publics." Donc, pour Créer son école,"si l'on renforce les exigences administratives sur les écoles généralistes hors contrat, il faut aussi lever l'interdiction anachronique qu'elles ont de percevoir des subventions publiques".

"Des coûts supplémentaires" 

Les opposants à la loi estiment que la loi Gatel "rendrait la déclaration très dissuasive". Ainsi, observent-ils, l'allongement des délais "induirait des coûts supplémentaires, 3 mois de location de locaux, de rémunération des enseignants, sans certitude d'ouvrir" et "les classes et écoles hors contrat se trouveraient plus contrôlés que les établissements financés sur fonds publics, ce qui est illogique". "Sans compter que tout changement de locaux ou de direction impliquerait de refaire la procédure, qui concerne donc tous les établissements existants." 

Pour la sénatrice porteuse du projet de loi, l'allongement des délais et le nombre de documents à fournir sont justifiés afin que le maire "puisse avoir réellement les moyens d'émettre un avis sérieux et justifié". "La grande majorité des écoles n'a rien à craindre. Il s'agit de protéger la qualité de l'instruction, et les personnels comme les enfants en matière de sécurité", précise-t-elle encore.

 Un contrôle renforcé a priori pour les "hors contrat", pas de postes supplémentaires pour les "sous contrat"

La proposition inquiète ses opposants car "les probabilités qu'elle passe ne sont pas faibles. Elle a réussi à passer un filtre important, celui de l'inscription à l'ordre du jour du Parlement, parce qu'elle est portée par une 'niche centriste' qui est susceptible de rallier des gens de droite comme de gauche et que c'est une manière pour les députés cosignataires de montrer à leurs électeurs qu'ils font des choses pour lutter contre la radicalisation."

Un "prétexte", selon ces mêmes opposants à la proposition de loi pour qui "les structures qui posent des problèmes sont les écoles clandestines qui fonctionnent sans être déclarées en tant qu'école, mais plutôt en tant que structures culturelles ou cultuelles ou d'activités périscolaires". Les écoles hors contrat sont déjà très contrôlées, notamment depuis les attentats" sans être pour autant "éligibles à des financements publics". "S'il faut renforcer les contrôles, c'est une fois que ces écoles sont ouvertes, pour juger vraiment sur des faits." Ils estiment de plus que ce projet de loi arrive à un moment de l'histoire de l'enseignement privé qui n'est pas anodin. L'enseignement privé pourrait en effet être soumis à un "goulet d'étranglement", puisque, dans le même temps, "les établissements privés sous-contrat n'ont bénéficié d'aucune création de poste budgétaire cette année, une situation de gel des postes absolu qui constitue une première depuis 1985.

93 établissements hors contrat ont ouvert à la rentrée 2016, selon les porteurs de la proposition de loi, 122 à cette rentrée, selon les statistiques de l'association "Créer son école", qui recense l'existence, actuellement, de 1 305 établissements privés hors contrat en France, scolarisant 65 000 élèves, les classes hors contrats insérées dans des établissements sous contrat étant de leur côté "extrêmement difficiles à recenser".

La proposition de loi n°589 ici

Camille Pons

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