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Migrants : pour une meilleure intégration à l'école, il faut développer l'altérité linguistique et culturelle (Martine A. Pretceille, ouvrage)

Paru dans Scolaire le dimanche 03 décembre 2017.

"Incontestable marqueur identitaire et facteur d'intégration au sein d'une communauté, tout apprentissage d'une ou de plusieurs langues a un caractère fondamentalement fonctionnel", écrit Martine A. Pretceille dans son ouvrage qui vient d'être réédité, "Quelle école pour quelle intégration ?", consacré à l'accueil des migrants. Pour cette professeure émérite des universités (Paris 8), une meilleure intégration passe par l'inclusion, dans l'école, de leurs langues d'origines et le développement, dans l'apprentissage linguistique comme dans d'autres disciplines, d'une altérité culturelle qui permette une meilleure compréhension des implicites des uns et des autres. Pour cette chercheuse, spécialisée sur la problématique et la communication interculturelles et la laïcité, cela passe aussi par l'apprentissage de l'histoire des cultures, des religions ou encore l'éducation aux droits.

L'ouvrage avait été publié une première fois en 1992 mais, même 25 ans après, la réédition est justifiée selon l'auteure, "afin de sortir du déni dans lequel l'école est restée ou s'est laissée enfermer face au défi de la diversité et d'une société structurellement hétérogène" et ce, "malgré l'aggravation et l'urgence des questions liées à l'immigration". Dans cette dernière édition, actualisée sur des "points de nomenclature", la chercheuse a choisi, non pas de proposer des modèles d'action mais une réflexion critique. Parce que "pour tout ce qui touche au culturel, le plus difficile n'est pas d'agir mais de comprendre", explique-t-elle. Pas question donc de recommander aux enseignants des pratiques à mettre en place mais plutôt d'identifier la "dynamique collective susceptible de fédérer les initiatives d'éducation et d'enseignement".

Prendre en compte leur langue pour susciter l'intérêt d'apprendre aussi le français

Pour la chercheuse, il s'agit d'abord pour l'école, pourtant "résolument monolingue", de prendre enfin en compte "le bilinguisme potentiel des enfants étrangers", car si la maîtrise du français constitue un passage obligé au processus d'intégration à l'école, cet apprentissage est soumis à des conditions psychologiques, sociales, pédagogiques et didactiques. Or, constate l'auteure, "souvent négligé, sinon dévalorisé, le bilinguisme des enfants de migrants est appréhendé comme un bilinguisme soustractif (qui handicape l'enfant)", contrairement aux langues "à statut social et économique élevé[s]".

Ces inégalités face aux langues pourraient donc expliquer le comportement linguistique face à l'apprentissage du français et le recul de sa maîtrise chez de nombreux élèves étrangers. En effet, dans un tel contexte de désintérêt, "quel intérêt pour l'enfant de migrant d'investir dans l'apprentissage de la langue du pays d'accueil si celui-ci cherche systématiquement à le distinguer, à le différencier à partir de critères d'appartenance comme la religion, la culture, la classe sociale, l'origine 'culturelle' ?", interroge Martine A. Pretceille qui voit dans cette intégration des langues d'origine un intérêt de part et d'autre. "Astreintes à la conquête de l'altérité linguistique et culturelle, les populations d'accueil pourraient mieux comprendre et mieux accepter les impératifs, contradictions et atermoiements qui régissent les comportements des populations immigrées", écrit-elle.

Développer la capacité à comprendre les implicites culturels

La chercheuse en appelle aussi, et c'est valable pour les langues étrangères comme pour le français, à ne pas réduire cet apprentissage à sa seule dimension linguistique car celle-ci "ne garantit pas la capacité à coder et décoder les attendus, les silences, les gestes, les intonations" et n'est donc pas une "condition suffisante" d'une communication efficace, sans quiproquos et sans incompréhensions. Il faut donc développer cette capacité à comprendre aussi les "implicites culturels", notamment ceux liés à la religion, et coupler la logique discursive à l'échange langagier. "Permettre à chacun d'exprimer sa vision, ses représentations, conditionne la qualité de l'échange", poursuit Martine A. Pretceille. Autrement dit, "toute communication suppose la reconnaissance des interlocuteurs à part entière".

"Or, la pierre d'achoppement du contexte migratoire réside surtout dans cette non-reconnaissance mutuelle qui rend difficile tout apprentissage linguistique", analyse encore la chercheuse à qui il semble urgent de prendre en compte la valeur ajoutée de la langue au risque sinon de "renforcer les quiproquos, les incompréhensions, les décrochages, les rejets, et par voie de conséquence la radicalisation des positions défensives, linguistiques, culturelles ou sociales".

Une meilleure information sur les religions

L'apprentissage des religions lui semble également incontournable pour aller dans le sens de cette altérité culturelle et favoriser l'apprentissage de la tolérance. Car "l'analphabétisme religieux" qui est "un fait massif" aujourd'hui, constate-t-elle, est "incompatible" "avec la conservation d'un patrimoine culturel et l'ouverture sur d'autres patrimoines. Or, alors qu'en Europe les autres pays font place à un enseignement religieux dans les programmes, la France a exclu la religion de l'école pour "la cantonner dans la sphère du privé". La chercheuse estime aujourd'hui nécessaire de sortir "d'une information superficielle et fragmentaire" tout en dissociant "clairement la transmission des valeurs religieuses et celle des connaissances".

Mais là aussi, comme pour l'apprentissage de la langue qui ne peut être réduit à une approche discursive, l'information sur les religions "ne constitue pas une condition nécessaire et suffisante" pour l'apprentissage de la tolérance. Le défi de l'intégration passe aussi, selon Martine A. Pretceille, par une "clarification des droits mais aussi des devoirs de chacun", les droits pouvant "jouer un rôle dans la structuration individuelle ou collective".

Une éducation aux droits par un engagement modeste plutôt que des actions spectaculaires

L'auteure évoque néanmoins quelques freins à cette éducation aux droits. D'abord la difficulté à la concevoir : non pas pour la transmission des connaissances (dates, textes, chartes, instances internationales, etc.), peu complexe, mais "par rapport à des valeurs et à une éthique collective", car, estime-t-elle, on ne peut réduire cette dernière dimension éducative "au seul mode déclaratif" ou à une "injonction moralisatrice". Deuxième dimension complexe parce qu'elle engage donc les enseignants bien plus qu'en tant que pédagogues, "surtout en tant qu'individus et citoyens". Or, dans ce domaine là comme pour l'enseignement des religions, constate la chercheuse, ces derniers n'ont pas reçu d'éducation ou de formation et sont "démunis".

Parce qu'enseigner ces droits et ces devoirs, c'est surtout apprendre à les respecter au quotidien et donc "susciter des pratiques" soutenues par des valeurs, Martine A. Pretceille invite, non pas à ajouter un thème dans le cursus scolaire, mais à introduire les principes d'initiative, d'autonomie et de responsabilité, et donc à reconnaître "la notion de personne". Elle invite aussi à faire apprendre ces valeurs sur lesquelles se fondent ces pratiques en initiant à l'interrogation et l'échange, à la confrontation des croyances et des principes car "l'écoute et le dialogue sont les meilleures garanties contre l'absolutisation des points de vue". Enfin, ces pratiques passent aussi par un nécessaire "engagement", mais que l'auteure préfère "modeste" plutôt que nourri "d'actions spectaculaires".

"Quelle école pour quelle intégration ?", Martine Abdallah Pretceille, Hachette éducation, 15,90 € (10,99 € pour le livre numérique)

Camille Pons

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