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Parcoursup est-il garant d'efficacité et d'équité pour l'orientation des lycéens ? Les interrogations des chercheurs (Parlement)

Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 27 novembre 2017.
Mots clés : APB, Parcoursup, algorithme

L’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (organe d’information commun à l’Assemblée nationale et au Sénat) a organisé le 16 novembre une audition sur le portail APB (Admission Post-Bac) et sur le système appelé à le remplacer. Plusieurs experts ont été entendus, notamment des spécialistes des algorithmes, à la demande de Cédric Villani et de Gérard Longuet.

Brigitte Plateau, directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle a fait remarquer combien "cet environnement logiciel avait été novateur et avait rendu service" depuis sa mise en œuvre. Les réactions très fortes constatées cette année n’ont pas dépendu d’APB lui même mais sont dues au fait qu’il "n’y avait pas d’autre outil que le tirage au sort" pour certaines formations, "ce qui n'a pas été accepté par le public" et a déclenché la réflexion et la rédaction d'un projet de loi relatif à la procédure d’orientation des bacheliers pour le Supérieur.

Les principes du nouveau système

"Pour échapper au tirage au sort pour les filières non sélectives mais avec capacité d’accueil limitées, les universites doivent maintenant procéder à un classement, explique Brigitte Plateau, ordonner les candidatures des étudiants selon des critères qui relèvent de la compétence de l’étudiant, de ses acquis , de ses talents , de son projet ... et des caractéristiques et les attendus de la formation." Concrètement l’étudiant émettra 10 voeux non classés, au lieu de 24 voeux classés dans APB.

Le dépôt des voeux se fera "de fin janvier jusqu’à mars" ; puis ces voeux "sont transmis à des guichets qui sont l’ensemble des formations qui sont disponibles sur la plateforme"; les diverses formations "établissent des classements" et émettent des "oui" avec éventuellement "des propositions de mise en œuvre des parcours" et à partir de mai les candidats reçoivent ces retours positifs. Mais pas de retour de "non" ! Chaque candidat doit choisir sous sept jours  s’il a  deux (ou plus) réponses positives . Au contraire, avec APB, "les étudiants classaient leurs vœux et l’algorithme attribuait à chaque étudiant ce qui était possible vu le classement de ses vœux, dès la première phase."

Le bilan chiffré d'APB 2017

Bernard Koehret, concepteur du portail d’admission post-BAC , rappelle l’historique d’APB et donne les chiffres de la campagne 2017:

"APB est un algorithme d’appariement qui regarde les voeux classés des candidats et essaie de donner à chaque candidat son voeu 1 en fonction du nombre de places disponibles et du classement effectué par les formations . En 2017, 808 000 candidats concouraient pour 654 000 places .

"On voit tout de suite qu’il n’y avait pas de la place pour tout le monde", commente Bernard Koehret. Le 8 juin, 653 000 candidats ont reçu une proposition : 60% ont obtenu leur premier voeu et 81 % un de leur 3 premiers vœux. A cette date 70% des candidats avaient obtenu une formation et n’étaient plus concernés par la suite de la procédure.

Pourquoi cette année le nombre de candidats était -il aussi important ? Danielle Rabate-Moncond’hui, chargée de mission auprès du médiateur de l’Education nationale précise dans son intervention que cette année, il a été décidé d’ajouter les étudiants en réorientation. Pour Philippe Lalle, conseiller stratégique pour la pédagogie, membre du comité de pilotage représentant les présidents d’université, l’entrée de ces quelques 150 000 étudiants en réorientation "mal concertée, a été une erreur". Il ne faut pas, insiste-t-il, "traiter les réorientations  comme les néo candidats" : il faut une "autre procédure", d’autant plus que "le calendrier de ces candidatures est différent".

La non hiérarchisation des voeux 

En ce qui concerne la nouvelle procédure, "on s’interroge sur la non hiérarchisation des voeux et le surbooking que cela va entraîner de fait. On va avoir probablement des files d’attente dans les différentes filières puisque les dix vœux seront considérés comme des vœux 1." Pour Julien Grenet, chargé de recherche au CNRS, directeur adjoint de l’Institut des politiques publiques, la situation est paradoxale. Grosse consommatrice d’algorithmes dans le système éducatif (affectation des élèves au lycée, des enseignants sur leurs postes..), la France est également le pays où on travaille le plus sur ces algorithmes, mais "il y a très peu d’interactions entre la recherche et les administrations publiques qui les mettent en œuvre".

"Les chercheurs ont été très peu associés à la consultation en cours et n’ont pas été impliqués dans les groupes de réflexion mis en place". Ils n'ont que peu accès aux données anonymisées de la procédure APB, et il y a très peu de recherches empiriques permettant d’éclairer utilement le débat. Les difficultés d’APB ne proviennent pas de l’algorithme. "Elles sont notamment liées à l’opacité des critères utilisés pour classer les candidats dans les licences en tension."

Les polémiques ont de plus créé un climat de défiance généralisés et une confusion sur ce qu’est un algorithme d’affectation, "alors qu'ils ont été conçus pour améliorer l’efficacité, rendre plus transparente les procédures et favoriser l’équité de traitement entre les candidats". On confond l’algorithme d’affectation avec celui du classement des candidats.

Le risque d'un retour à des procédures inefficaces

"Avec d’autres chercheurs, je m'inquiète d’un retour vers des procédures décentralisées inefficaces, inéquitables et très lentes." L’algorithme d’affectation différée dont s’inspire APB (algorithme de Gale et Shapley) a la faveur des chercheurs car il n’est pas manipulable et libére les candidats de considérations stratégiques pour se concentrer sur la question : quelle est la bonne formation pour moi ? Enfin c’est un algorithme qui respecte les priorités et permet d’expliquer pourquoi un candidat n'a pas été retenu, condition d’acceptabilité de la procédure. Julien Grenet "s’inquiète énormément" de la procédure qui se profile car "elle abandonne l’idée même d’algorithme au profit d'une procédure en continue qui nous paraît assez dangereuse"

Vincent Iehlé, mathématicien et professeur d’économie (université de Rouen) s’associe aux propos de Julien Grenet : il y a, dit-il, un consensus très large dans la communauté universitaire concernant l’utilisation des algorithmes dans les procédures d’affectation. Le système appelé à remplacer APB prévoit "une affectation au fil de l’eau qui ne se fondera pas sur des voeux ordonnés : il n’y aura pas d’algorithmes d’affectation." Il suppose des vagues successives de propositions, les désistements des uns profitant à d’autres candidats en liste d’attente.

Prendre le risque d'inscrire parmi ses voeux une filière sélective

Mais pour Vincent Iehlé, "cela peut provoquer un certain nombre de problèmes". Tout d’abord cette procédure est lente et le chercheur évoque "un risque de congestion en fin de calendrier". Par ailleurs, pour diminuer le nombre de vagues, le nombre de voeux a été réduit à 10. Son coût "sera supporté par les élèves qui hésiteront à prendre le risque d'inscrire parmi leurs voeux une filière sélective pourtant souhaitée", alors que la longueur des listes de voeux n’est pas un problème pour un algorithme d’affectation.

Enfin et surtout les premières propositions qui vont être faites, au mois de mai, aux élèves de terminale "seront adressées aux bons candidats placés en haut des classements". Les très bons auront même "plusieurs propositions alors qu'une partie de la classe sera restée sans propositions", en attente du désistement de ces bons candidats. Certains attendront la troisième, la quatrième vague avant d’avoir des propositions. On peut imaginer, ajoute le chercheur, "que cela peut provoquer des tensions voire des pressions et beaucoup de stress parmi les candidats". Vincent Iehle émet le souhait d’un retour à des voeux ordonnés.

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