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Voie professionnelle : (r)évolutions en cours (dossier de la revue du Crap-Cahiers pédagogiques)

Paru dans Scolaire, Orientation le jeudi 09 novembre 2017.

"Voie professionnelle :(r)évolutions en cours" : c’est le titre du dossier du numéro de novembre des Cahiers pédagogiques", dont les responsables ont demandé à Vincent Troger, de l’université de Nantes, l’un des meilleurs spécialistes actuels de l’enseignement professionnel, d’en être le "relecteur". Ce dernier souligne que les initiatives et analyses contenues dans le dossier confirment la remarquable capacité d’innovation dont font preuve un grand nombre d’enseignants des lycées professionnels (LP) et des centres de formation des apprentis (CFA). Confirmation car des réalisations présentées dans le document s’inscrivent dans la suite de celles menées il y a des années, voire des décennies : recherche d’une relation entre enseignements généraux et enseignements professionnels, recours aux pédagogies actives et réalisations de projets collectifs et interdisciplinaires, évaluation par compétences, mise en œuvre de rituels pour gérer le comportement des élèves… Mais pourquoi ces pratiques ne sont que rarement capitalisées et doivent-elles être "périodiquement réinventées" ?

Pour le "relecteur", la principale raison en est le blocage engendré par un carcan : celui produit par la fusion entre, d’une part, le modèle pédagogique dominant de l’enseignement secondaire classique centré sur le cours magistral et, d’autre part, la rationalisation bureaucratique et uniformisatrice du système éducatif. N’est précisément mesurable, en effet, par une administration centralisée, que le temps passé par l’enseignant en classe à faire cours seul devant un effectif fixe et stabilisé d’élèves. S’ajoute à cela la méfiance de syndicats qui tiennent au principe de l’égalité formelle dans l’organisation des services et des rémunérations. D’où de multiples "bricolages" pour tenter de mesurer les efforts des enseignants qui s’investissent dans un travail hors la classe et les interminables négociations que certains doivent mener avec leur hiérarchie pour que leur travail soit convenablement rémunéré. Les conséquences en sont l’usure et la dilution fréquente de ce qui est mis en place sur le terrain. Sur ce plan, la comparaison avec l’enseignement agricole proposé dans le dossier n’est pas à l’avantage de l’éducation nationale.

Deux cultures

Selon Vincent Troger, ce que le dossier met également en évidence, c’est la question récurrente des modalités de l’alternance qui ne dépasse pas la "juxtaposition". Pour lui, la raison profonde de cette situation, c’est l’opposition de deux cultures, celle de l’univers scolaire et celle des entreprises, qui se confrontent et préfèrent souvent se juxtaposer dans les formations plutôt que réellement collaborer. D’un côté, l’intégration dans le système scolaire des enseignements techniques et professionnels a nourri une méfiance de principe à l’égard des entreprises. Une conception très élargie de la laïcité et une tradition de gauche dominante chez les personnels n’ont longtemps fait envisager l’entreprise que sous l’angle de sa soumission à la logique de profit. Par ailleurs, la domination des conceptions académiques de la scolarité a rendu difficile l’acceptation de critères de réussite fondée sur la valorisation du travail de production, de l’expérience ou de l’initiative.

De l’autre côté, la longue histoire d’un patronat qui, contrairement à ses homologues allemands, a toujours eu du mal à assumer collectivement ses responsabilités en matière de formation, a conduit à une diversité de comportements selon les branches professionnelles et la taille des entreprises et à un manque d’intérêt pour les logiques de formation au sein même de beaucoup d’entreprises. Là encore, poursuit l’auteur, l’enseignement agricole fait sans doute un peu figure d’exception… Ce qu’il faut, dit-il, c’est de la souplesse pour s’adapter à la diversité des exigences tant des secteurs professionnels que des entreprises et des publics concernés et donc plus de confiance dans les acteurs de terrain.

Les poursuites d'études

Enfin, une autre question mise aussi en évidence par le dossier est, pour Vincent Troger, celle des poursuites d’études après le baccalauréat professionnel. La longue enquête qu’il a menée avec des collègues de son université a démontré que la réforme du bac professionnel en trois ans a été, pour une majorité des élèves de lycée professionnel et de leurs familles, une opportunité qu’ils ont su saisir pour sortir la scolarité en LP de l’ornière de la relégation. Le lycée professionnel est redevenu, pour une partie de son public, ce qu’il avait été avant les années 70: une voie possible d’émancipation scolaire qui peut offrir de meilleures chances d’insertion ; et, toujours pour une partie de son public, il peut ouvrir des possibilités de poursuites d’études susceptibles de conduire à des itinéraires de réussite.

Or, sous l’influence d’une doxa sociologique dominante dans l’Université française, la majorité des travaux consacrés à ces poursuites d’études préfère se centrer sur les raisons de leurs échecs à l’Université plutôt que sur les conditions de leur réussite en BTS. Ils ne sont pourtant que 8 % à tenter l’Université. Autrement dit, les bacheliers professionnels ne constituent qu’une minorité à peine significative des 30 % d’étudiants qui échouent en première année. Cet échec est donc un problème de l’Université, pas des bacheliers professionnels qui tentent l’aventure universitaire.

Identifier les réalisations les plus performantes

En revanche, 25 % des bacheliers professionnels trouvent une place en BTS et 60 % d’entre eux y réussissent. Ce sont dans les formations des métiers de la production qu’ils réussissent le mieux (64 %) alors qu’ils ont plus de mal dans les BTS des métiers de service (56 %). Vincent Troger insiste sur "les vraies questions" que pose, de ce point de vue, la réforme du bac professionnel en trois ans : que faire pour améliorer la réussite des bacheliers professionnels en BTS, particulièrement dans les formations tertiaires ? Que faire pour améliorer l’insertion de ceux qui se présentent sur le marché du travail après le bac et éventuellement faciliter leur retour en formation ? Que deviennent les élèves de LP qui échouent au bac et qui ne sont titulaires que de CAP ou de BEP ayant désormais peu de valeur sur le marché de l’emploi ? Quel est l’avenir du CAP en deux ans : diplôme de niches professionnelles spécifiques ou diplôme de consolation pour les "éclopés du collège unique" ou les deux ?

L’universitaire l’affirme : la réponse à ces questions viendra de la capacité que se donnera ou non le ministère à identifier les réalisations les plus performantes menées par les équipes dans les LP, les CFA et les classes de BTS, à les encourager et en coordonner la mutualisation. Conforté par le dossier, il demeure persuadé que pour permettre aux enseignants de développer et de mutualiser leurs efforts, il convient de leur faire enfin confiance et de cesser de penser le métier enseignant dans une logique hiérarchique descendante. Il le martèle : il est temps d’inventer un mode de gestion qui prenne convenablement en compte le temps consacré par les enseignants à travailler collectivement et à innover en fonction des besoins particuliers auxquels ils sont confrontés, à mutualiser leurs expériences avec ceux qui connaissent les mêmes contextes de travail. Dans ce champ, l’informatique et Internet offrent des outils facilitateurs.

Vincent Troger le répète : un tel changement organisationnel demande cependant beaucoup d’imagination puisqu’il remet en cause le principe d’égalité formelle auquel l’administration et les syndicats, pour des raisons différentes, restent profondément attachés.

Les Cahiers pédagogiques, revue du Cercle de recherche et d’action pédagogiques (ici)

 

Arnold Bac

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