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Comment les enseignants répondent-ils aux revendications religieuses des élèves ? (enquête)

Paru dans Scolaire le mardi 17 octobre 2017.

La religion fait-elle problème dans les collèges ? Quelles sont les situations relevées par les équipes pédagogiques ? Comment y répondent-elles ? Avec quelles ressources ? Ce sont les questions auxquelles répond une enquête, présentée ce mardi 17 octobre 2017 à l’ENS de Lyon lors d’une journée d’étude organisée conjointement par le laboratoire Education, Cultures, Politiques (Université Lumière Lyon 2) et le Centre Alain Savary (ENS-IFE). Cette étude titrée "Religions, discriminations, racisme en milieu scolaire", a été menée sous la direction de Françoise Lantheaume (Lyon 2) et financée conjointement par l’IFE et la DILCRAH (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT). Les résultats mettent à mal quelques idées reçues.

"Nous sommes partis d’une question qui revient régulièrement sur les problèmes que poseraient les religions au sein de l’école. Nous nous disions alors que nous allions rencontrer des situations un peu tendues, auxquelles les enseignants avaient du mal à faire face" indique Françoise Lantheaume pour expliquer la genèse de l’étude. "Notre objectif consistait à comprendre ces situations, voir comment les enseignants agissaient, avec qui, et ce dont ils auraient éventuellement besoin".

Loin d’un recueil de simples opinions, l’étude s’appuie sur 307 entretiens qualitatifs dans 37 collèges publics (enseignants, chefs d’établissement, CPE) ainsi que l’observation de situations en classe et hors de la classe. C’est une équipe pluridisciplinaire (sociologues de l’éducation, didacticiens, psychologues) qui s’est livrée à ce patient travail, effectué sur l’année 2017. Les établissements, répartis dans 7 académies (Lyon, Grenoble, Orléans-Tours, Paris, Versailles, Aix-Marseille) reflètent différents quartiers, différentes sociologies.

Des situations déjà connues

Quels sont les principaux enseignements de cette étude ? En ce qui concerne l’émergence de la religion dans l’enceinte scolaire, pas de surprise. Que ce soit dans des quartiers plutôt bourgeois ou en périphérie, les collégiens font valoir leur croyance religieuse dans différentes situations désormais répertoriées : sorties piscine, activité danse, visite d’église, samedi travaillé, cours d’histoire sur le fait religieux, cours de biologie…"Il y a un sentiment de légitimité à faire valoir une norme religieuse. Plus la population de collégiens est homogène, plus elle s’exprime" relève Françoise Lantheaume."Plus les parents sont engagés religieusement, plus les élèves se sentent autorisés à faire valoir leurs revendications dans l’enceinte scolaire". La chercheuse relativise."Il y a en réalité très peu de situations vraiment tendues (…) Sur toute l’étude, il y a eu un seul cas de radicalisation avérée et une autre pouvant s’en approcher. Au total, sur une année, une dizaine de situations réellement problématiques, dans lesquelles les enseignants se sont sentis en réelle souffrance."

Au-delà de ce constat, la signification de ces revendications et la manière dont les enseignants les gèrent ont été observées et analysées. Les résultats rompent avec des présupposés. "Les questions de religions sont souvent un écran derrière lequel existent des difficultés scolaires" relève Françoise Lantheaume. "La plupart du temps, les enseignants les interprètent aussi comme des phénomènes adolescents, des formes de provocations face à l’institution." De tout temps, la classe a constitué un espace de conflit pour le pouvoir, rappelle-t-elle à ce sujet.

Comment les enseignants gèrent-ils ces affirmations, voire ces revendications d’ordre identitaire ? "Ils dépensent beaucoup d’énergie pour que cela se passe bien, avec la pacification comme priorité. Ils vont souvent rencontrer les parents pour les engager dans la cause scolaire. Ils vont parfois éviter temporairement le débat pour y venir à un moment qui leur paraîtra plus favorable. Ils font si nécessaire des compromis, par exemple, pour un voyage scolaire, ils vont répartir les enfants dans des familles observant la même religion."

Des ressources recherchées sur place

Selon Françoise Lantheaume, les enseignants construisent des ressources adaptées aux situations qu’ils rencontrent, ou font appel à des ressources locales. Par exemple en faisant appel au professeur d’histoire-géographie ou bien en organisant une forme de vigilance collective autour d’un élève, ou encore des discussions pour analyser une situation. Si des ressources sont mises à disposition par l’institution (charte de la laïcité, site du ministère, DILCRAH…) ce ne sont pas souvent celles qui sont sollicitées. "Cela ne signifie pas que les enseignants n’ont pas besoin de formation, mais sans doute davantage sur place, dans leur établissement" précise Françoise Lantheaume. "On s’aperçoit par exemple qu’ils ont parfois tendance à ramener la laïcité à des valeurs morales alors qu’il existe un cadre juridique normatif." Et de conclure. "Sur ces questions on s’aperçoit que les enseignants font évoluer les principes de référence, avec une certaine tolérance liée à la reconnaissance de l’individu. On assiste à une forme de redéfinition par le bas de la façon d’agir."

Propos recueillis par Muriel Florin

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