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L'enseignement de l'informatique : une histoire longue, chaotique et inachevée (J. Baudé)

Paru dans Scolaire le vendredi 16 juin 2017.

"La France n'a plus besoin d'informaticiens." C'est ce qu'a dit un conseiller de Lionel Jospin, alors ministre de l'Education nationale pour justifier la suppression de l'option "enseignement de l'informatique" en 1992, raconte Jacques Baudé. Le président d'honneur de l'association EPI (Enseignement public et informatique) donnait, hier 15 juin, une conférence titrée "Eléments pour une histoire de l’enseignement de l’informatique dans l’enseignement général", et il a rapporté cette anecdote, parfaite illustration du parcours chaotique de cette discipline.

Il appelle d'emblée à bien distinguer l'informatique conçue comme "un outil", et donc le fait de savoir utiliser des logiciels et des matériels numériques, et l'informatique conçue comme "un objet d'étude", le travail portant sur les algorithmes, sur la programmation, sur l'information et sur les impacts sociaux, et supposant "des enseignants spécifiquement formés".

"A la toute fin des années 60"

L'histoire de l'enseignement de l'informatique comme objet commence à la toute fin des années 60 au lycée de La Celle-Saint-Cloud auquel des informaticiens de la CII prêtent un ordinateur. En 1970, le CIEP (le Centre international d'études pédagogiques) organise un séminaire qui réunit les spécialistes de 20 pays, lesquels envisagent "un enseignement ayant son propre statut ou intégré dans une autre discipline". 58 lycées se voient remettre un ordinateur chacun. Quelque 500 enseignants bénéficient de "formations lourdes", assurée par IBM, la CII, Honeywell Bull, l'ENS. Des groupes de recherche sont montés à l'INRP (Institut national de la recherche pédagogique) pour la conception de logiciels pour les enseignements disciplinaires.

En 1979, un rapport remis au président Giscard d'Estaing préconise la mise en place d'un enseignement optionnel, ce qui est confirmé en 1981 par un autre rapport, remis à Alain Savary, qui vient d'être nommé ministre de l'Education nationale. L'expérimentation est lancée, à la rentrée 81 en seconde, puis en première l'année suivante et en terminale en 83. Dans les écoles, on se passionne pour la "tortue logo" qui permet une première approche de l'idée de programmation. Et en 1985, le Premier ministre, Laurent Fabius lance le plan "Informatique pour tous". La même année, l'option est déployée dans 150 lycées. L'année suivante, René Monory, nouveau ministre de l'Education nationale annonce la création d'un corps de professeurs d'informatique... qui n'existe toujours pas.

Deux suppressions

En 1992, la moitié des lycées ont mis en place une option informatique, qui se heurte à deux limites. La pénurie d'enseignants limite le nombre des élèves qui y ont accès, et les établissements instaurent le plus souvent une sélection, ce qui va à l'encontre des principes des pédagogues de l'informatique, ils voudraient au contraire la proposer à tous. La création d'une épreuve écrite au baccalauréat contredit l'idée de projet et favorise le bachotage. C'est alors que Lionel Jospin lance une réforme du lycée, que le Conseil national des programmes sur prononce pour "l'informatique outil", et que l'option est supprimée.

En 1995, François Bayrou, ministre de l'Education nationale, lance ... une expérimentation, comme s'il n'y en avait pas eu déjà une. En 1998, Claude Allègre, ministre de l'Education nationale (ancien conseiller spécial de L. Jospin), y met fin, contre l'avis quasi unanime du CSE (Conseil supérieur de l'éducation). En revanche, la mise en place du B2I (brevet informatique et internet) renforce l'idée de "l'informatique outil" et Jacques Baudé parle de "compétences sans connaissances", et qualifie de "mascarade" la certification de savoir-faire du type "envoyer un mail".

Nouvelle création

Nouveau tournant en 2005 avec un débat à l'Académie des sciences qui préconise un enseignement de l'informatique "de la maternelle à la terminale". En 2007, le candidat Sarkozy dénonce "un enseignement trop centré sur la pratique", en 2009, Luc Chatel, ministre de l'Education nationale, propose la création d'un "enseignement de spécialité" qui est mis en place pour les classes de terminale S à la rentrée 2012, dans 753 lycées, et pour 10 035 élèves. En 2013, l'Académie des sciences estime qu'il était "urgent de ne plus attendre". Au ministère, l'approche "outil" reste dominante, mais, lorsqu'il définit le "socle commun", le Conseil supérieur des programmes place l'informatique au même niveau que les mathématiques, la physique, la chimie... En 2015, Najat Vallaud-Belkacem demande l'extension de l'option aux autres séries de l'enseignement général et à la classe de seconde. Le programme de maternelle prévoit l'utilisation d' "objets numériques".

En 2016, François Hollande regrette qu'il n'y ait pas assez de jeunes qui aillent vers les métiers d'avenir. Un enseignement d'exploration est créé en seconde, l'informatique est introduite dans les programmes de mathématiques et de technologie au collège, quelque 21 600 élèves de terminale S reçoivent un enseignement dans 1 170 lycées. Cette année, la "circulaire de rentrée" prévoit que "les élèves de la voie générale qui le souhaitent peuvent désormais suivre un parcours numérique"...

Toujours pas d'enseignants pour l'informatique

Conclusion provisoire de Jacques Baudé, "les choses bougent", vont dans le bon sens, mais la formule "qui le souhaitent" ne correspond pas à la réalité puisque tous les lycées ne proposent pas cet enseignement et que, là où il est proposé, le nombre des places est limité. Les textes ne distinguent toujours pas suffisamment clairement "l'informatique objet" et "l'informatique outil". Il n'est toujours pas question de créer un corps spécifique d'enseignants...

La présentation de cet historique est téléchargeable ici

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