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Plus on s’intéresse aux disciplines, plus on peut mettre en place de l’interdisciplinarité (Dossier de la revue de l’OCCE)

Paru dans Scolaire le mardi 13 juin 2017.

Pourquoi l’interdisciplinarité fait-elle peur aux enseignants ? À cette question, Michel Develay (Lyon-2) répond qu’il y a des raisons institutionnelles qui tiennent au fonctionnement et à l’organisation du système scolaire dans lequel le métier d’enseignant est construit autour de compétences disciplinaires : "Les enseignants pensent qu’ils ne possèdent pas les capacités de dialogue avec les autre disciplines." Interrogé dans le cadre du dossier "Pratiques interdisciplinaires dans les enseignements" du dernier numéro de la revue de l'OCCE, il ajoute : "Il y a aussi des raisons psychologiques importantes. Penser l’interdisciplinarité, c’est se donner à voir. Pour un certain nombre d’enseignants, la difficulté à accepter des activités interdisciplinaires est de cet ordre : elle vient d’une réticence à se montrer dans sa relation avec les élèves."

Selon Michel Develay, une polyvalence des enseignants, à l’instar de ce que furent les PEGC (professeurs d’enseignement général des collèges), ouvrirait plus à l’interdisciplinarité. Mais ce corps a disparu. Or, cette polyvalence existe dans un grand nombre de pays et le choix de la monovalence opéré en France n’a rien à voir avec l’épistémologie des savoirs scolaires ou avec la manière dont les disciplines se sont constituées. Dans beaucoup de pays européens, il existe ce que l’on appelle "l’école fondamentale" : une même école, du primaire à la fin du collège, fondée sur la bivalence, voire la polyvalence des enseignants. Cette polyvalence favorise l’interdisciplinarité comme on peut le constater dans les écoles primaires. Compte-tenu de l’évolution des besoins éducatifs, les notions de projet, de contrat, d’organisation des études en cycles, le partenariat, obligent à se concerter, à accepter des compromis sans sacrifier la liberté pédagogique, le métier d’enseignant n’étant plus envisagé individuellement mais à échelle de l’établissement.

L’interdisciplinarité donne plus de sens aux apprentissages

"L’hypothèse forte qui est faite et que j’agrée, poursuit le chercheur, est que l’interdisciplinarité est propice à la réussite d’un plus grand nombre d’élèves car elle donne plus de sens aux apprentissages. Et, en effet, le problème de l’école est celui du sens. L’interdisciplinarité va permettre aux élèves d’aborder des savoirs en lien avec des questionnements, des problématiques du quotidien, avec la vie tout simplement. Or, la vie n’est pas faite de disciplines mais de questions à multiples entrées. C’est l’école qui, en définitif, a créé des cloisons."

Pour lui, chaque discipline présente les mêmes caractéristiques : des objets, des tâches, des connaissances déclaratives, des connaissances procédurales, le tout permettant d’identifier une matrice disciplinaire. Il n’y a pas de discipline qui, en son sein, ne soit pas interdisciplinaire. On utilise les mathématiques en géographie, en sciences. Le français est convoqué dans toutes les disciplines, etc. Il s’agit, pour les enseignants, de définir et d’expliciter les idées centrales que leurs élèves doivent avoir retenues à la fin de l’année: "Si un professeur d’histoire, par exemple, arrive à définir les trois idées centrales que ses élèves en cinquième doivent avoir retenues à la fin de l’année, s’il parvient à se mettre à distance, à tamiser ces contenus, il pourra alors expliquer à un enseignant d’une autre matière ce que ses élèves doivent avoir retiré. En fait, plus je m’intéresse aux disciplines, plus je pourrais mettre en place de l’interdisciplinarité."

Structurer une pensée, analyser la réalité

Interviewé également dans le même dossier, l’universitaire québécois Yves Lenoir définit l’interdisciplinarité qui, de son point de vue, présente, au minimum, deux significations distinctes. De manière générique, elle signifie un travail avec des disciplines différentes. Dans l’interdisciplinarité, il y a en effet "disciplinarité" et celle-ci est fondamentale pour qu’il y ait des interrelations entre les disciplines. La seconde signification est plus stricte et permet de distinguer l’interdisciplinarité de la multi, pluri ou transdisciplinarité : "L’interdisciplinarité exige une complémentarité, un croisement, une égalité entre des notions, concepts, démarches méthodologiques tirés de disciplines scolaires de manière à assurer un traitement approprié d’une question."

Pour lui, la dimension interdisciplinaire suppose des interactions entre les différentes démarches à caractère scientifique : "L’école n’est pas le lieu où l’on prépare les élèves à répondre à des questions de tous les jours. On les prépare à structurer une pensée, à analyser la réalité à laquelle ils vont être confrontés."

L’interdisciplinarité permet-elle de traiter les programmes disciplinaires autrement, d’aborder la complexité du Monde, d’enrichir les élèves ? Le chercheur répond "oui" dans le sens où l’on va croiser des concepts, notions, éléments disciplinaires pour traiter un objet complexe et dans la mesure où s’établit une interaction entre les composantes et les démarches d’apprentissage . "

L’interdisciplinarité implique une coopération entre les enseignants de ces disciplines

"Oui", donc, mais à la condition de respecter la signification des disciplines. Il ne s’agit pas de les transformer. Il s’agit de traiter des éléments propres à des disciplines pour enrichir l’analyse à laquelle on procède. Sous cet angle-là, l’interdisciplinarité vise à mettre en œuvre des projets ou à résoudre des situations qui vont demander aux élèves d’analyser la question en jeu en faisant appel à des éléments émanant de disciplines diverses de manière à mieux cerner l’objet sur lequel ils se penchent. "C’est là le cœur de la signification de l’interdisciplinarité qui implique un croisement des démarches d’apprentissage à caractère scientifique et une coopération entre les enseignants de ces disciplines. Le rapport à l’élève et à l’aménagement du temps scolaire doivent alors être pensés différemment. L’interdisciplinarité, à laquelle je suis tout à fait favorable, nécessite d’abord l’acquisition d’un savoir formalisé, des démarches de conceptualisation et un aménagement du temps scolaire qui permette la coopération entre les enseignants. Or, en France comme au Québec, la formation des enseignants n’est pas organisée dans ce sens-là et la structuration administrative et institutionnelle non plus !"

Numéro de mai-juin 2017 de la revue "Animation et Education" de l’Office central de la coopération à l’école (L'OCCE) (ici).

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