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Les précautions que n'a pas prises Mayotte pour faire payer par l'Etat ses dépenses d'éducation (CAA de Bordeaux)

Paru dans Scolaire le jeudi 18 mai 2017.

La Cour administrative d'appel de Bordeaux rejette toutes les requêtes du département de Mayotte qui demandait que l'Etat lui rembourse plusieurs millions d'euros au titre de dépenses que la collectivité départementale a supportées de 2004 à 2011. La CAA considère que, contrairement à ce que soutient la collectivité, la loi du 31 décembre 1968 qui prévoit que "sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans" n'a jamais cessé de s'appliquer à Mayotte. Cette "règle de prescription quadriennale" constitue en effet "l'une des règles de base du droit administratif français" et "le principe de spécialité législative" prévu par la loi du 24 décembre 1976, régit uniquement "les lois nouvelles", qui ne sont applicables à Mayotte "que sur mention expresse". Il ne s'applique donc pas aux lois qui y étaient déjà en vigueur.

D'autre part, la loi de 2001 relative à Mayotte prévoit que "l'Etat prend progressivement en charge les dépenses de personnel, de matériel, de loyer, de fonctionnement et d'équipement des services qui relèvent de sa compétence", mais cela n'interrompt pas cette prescription. Il en résulte que "les créances nées au cours des années 2004, 2005, 2006 et 2007 ont été respectivement prescrites les 1er janvier 2009, 1er janvier 2010, 1er janvier 2011 et 1er janvier 2012." En ce qui concerne les dépenses non prescrites que le Département a supportées de 2008 à 2011 "afin de concourir au bon fonctionnement des services du vice-rectorat de Mayotte", la collectivité fait valoir que "ces dépenses résultent d'une situation de fait consistant, en l'espèce, dans l'habitude qu'ont conservée les services de l'Etat d'utiliser le personnel du conseil général et de bénéficier de dépenses prises en charge par ce dernier" alors que le code de l'éducation prévoit que "c'est à l'Etat - et à lui seul - d'en assumer le coût".

Faute de preuves

De plus, la collectivité a été contrainte d'acquérir des terrains "destinés à la construction de collègues et de lycées qui devaient être mis à disposition gratuite du vice-rectorat de Mayotte, afin de pallier les carences de l'Etat en la matière". Mais, observe la CAA, elle ne justifie pas "avoir procédé à l'acquisition des terrains en cause, dont la localisation n'est d'ailleurs pas même indiquée". Quant aux "extraits comptables informatiques retraçant divers postes de dépenses de fonctionnement", ils ne permettent pas d'établir que ces frais "auraient été affectés afin de concourir au fonctionnement des services du vice-rectorat de Mayotte". Le département demande le remboursement des frais liés à la mise à disposition de personnels dans les unités de formation par l'apprentissage de trois lycées, mais les conventions qu'il a produites "sont signées du seul président de la collectivité de Mayotte et ne comportent pas la signature conjointe du vice-recteur de Mayotte et des proviseurs des lycées concernés". Certes, par une convention datée de 2011, la collectivité "a mis à disposition du vice rectorat 13 agents, et il était prévu "que cette mise à disposition ferait l'objet d'un remboursement à 100 % par l'Etat", mais elle n'apporte pas la preuve que cela n'a pas été le cas.

Certes, "toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources" et "aucune dépense à la charge de l'Etat ou d'un établissement public à caractère national ne peut être imposée directement ou indirectement aux collectivités territoriales qu'en vertu de la loi", mais "il ne résulte pas de l'instruction que l'Etat (...) ait imposé au département de Mayotte de prendre en charges les dépenses litigieuses, lesquelles ne relevaient pas davantage d'un transfert de compétences".

Enfin la loi qui érige Mayotte en collectivité départementale n'a pas eu pour effet "d'ouvrir, au profit du département, un droit à remboursement, sans limitation de durée, de toute dépense qu'il serait amené à engager".

La décision n° 15bx01046 du mardi 9 mai 2017 (ici) porte sur 13,5 M€ "au titre des dépenses liées aux dotations au vice-rectorat de Mayotte", la décision n°15BX01045 (ici) porte sur 3,7 M€ au titre de dépenses liées au CDDP pour lesquelles le vice-rectorat de Mayotte n'a jamais donné son accord et "qu'il n'a de ce fait jamais pu contrôler ni valider", la décision n°15BX01034 (ici) porte sur 162 000 € au titre de dépenses liées au fonctionnement du CIO pour lesquelles, là non plus, il n'est pas prouvé que le vice-rectorat ait donné son accord,la décision n° ° 15BX01052 (ici) porte sur 20,5 M€ de dépenses liées à l'indemnité de résidence des instituteurs, pour lesquelles l'Etat indique avoir déjà versé quelque 28 M€

Un système de bourses pour les lycéens

L'argumentation juridique s'agissant de 121 M€ "au titre des dépenses liées à la scolarisation des lycéens hors Mayotte que la collectivité a supportées de 2004 à 2013" est sensiblement différente. Le département de Mayotte évoquait "l'évolution démographique de Mayotte" et un système éducatif qui accueille "1 500 élèves supplémentaires dans le premier degré et 1 600 dans le second degré" chaque année : "L'Etat n'a pas pris de mesures suffisantes pour (...) pallier la pénurie de places disponibles dans 1'enseignement secondaire". La CAA considère au contraire que "les services de l'Etat se sont efforcés de remédier aux enjeux générés par l'afflux continu de nouveaux lycéens à Mayotte par la réalisation progressive d'opérations spécifiques qui demandent un effort financier notable", avec l'extension de cinq lycées et la création de quatre autres. "Le département de Mayotte ne démontre pas que l'Etat (...) aurait, même si les efforts doivent être poursuivis, commis une faute dans sa mission d'organisation du service public de l'éducation de nature à engager sa responsabilité à son égard". De plus, le système de bourses que le département "a décidé de mettre en place de sa propre initiative (...) au profit des lycéens scolarisés en dehors de Mayotte (...) ne concerne que les lycéens qui sont déjà bénéficiaires de la bourse nationale, c'est-à-dire des élèves pour lesquels l'Etat a déjà rempli les obligations relevant de ses compétences propres".

La décision n° 15BX01040 (ici)

L'enseignement religieux n'est pas obligatoire

En ce qui concerne la somme de 3 161 127,60 euros au titre des dépenses liées à la rémunération de seize maîtres coraniques, la CAA reconnaît qu' "aucune disposition du décret du 16 janvier 1939, dit 'décret Mandel' (...) ne vient préciser qui, de l'Etat ou du département de Mayotte, doit prendre en charge le financement de l'enseignement religieux dispensé à Mayotte dans les établissements d'enseignement", mais il ajoute que cet enseignement "ne constitue pas un enseignement obligatoire relevant, en tant que tel, de la mission d'intérêt général d'enseignement qui est confiée au ministre de l'éducation nationale (...), mais un enseignement facultatif limité à quelques élèves seulement, en dehors des heures d'enseignement obligatoires, qui trouve son origine dans les spécificités historiques et culturelles de l'île mahoraise."

La décision n° 15BX01047 (ici)

 La formation des maîtres et les écoles maternelles

De même la CAA, pour des raisons comparables, rejette les demandes relatives aux dépenses (15,2 M€) "liées au centre des études et de formations supérieures de Mayotte (CEFSM) et à l'institut de formation des maîtres (IFM)" ou aux 683 000 € correspondant à la rémunération des cinq monitrices puéricultrices intervenues dans les écoles maternelles.

La décision n° 15BX01035 (ici), la décision n° 15BX01041 (ici)

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