Le malaise des personnels de direction (une étude de G. Fotinos et M. Horenstein)
Paru dans Scolaire le mardi 25 avril 2017.
Quelque 3 000 personnels de direction (proviseurs, principaux et adjoints) sur un peu plus de 13 300, ont répondu au questionnaire que leur ont adressé au mois de février Georges Fotinos et Mario Horenstein (avec le soutien de la Casden-BP, et dans le cadre de l'accord passé avec l'Education nationale). Ils ont pris le temps de renseigner 105 items. "C'est un score gigantesque, ils avaient besoin de dire ce qu'ils ressentaient", commente G. Fotinos, qui y voit un signe de leur malaise. Il insiste, les données recueillies sont subjectives, puisque le "moral professionnel" porte davantage sur le ressenti que sur des données objectives. Le fonctionnement d'une organisation, quelle qu'elle soit, dépend d'ailleurs davantage de la motivation et des sentiments des personnels que de la réalité de leurs conditions matérielles et de leurs salaires.
Le détail de leurs réponses sera publié et analysé au mois de septembre, mais les premiers résultats, dévoilés à la presse ce 25 avril, montrent leur solidarité, ils sont plus de 80 % à pouvoir compter sur le soutien de leurs collègues en cas de difficulté, et ils sont tout autant à s'estimer "satisfaits de l'intérêt" de leur travail. En revanche, ils peuvent moins compter que 10 ans plus tôt sur le soutien de leur hiérarchie. Ils sont également plus de 8 sur 10 à travailler plus de 50h par semaine (moins de 6 sur 10 en 2013). Ils sont tout aussi nombreux à déplorer qu'il y ait "trop de réorganisations du système éducatif" et que "les décisions soient prises d'en haut". Et surtout, la qualité des relations avec les parents s'est dégradée pour un tiers d'entre eux. Un sur deux dit avoir été insulté, et plus souvent par des parents que par des élèves, ils sont 3,5 % à dire avoir été frappés par des élèves ou par des parents (ou des intrus), et 23 % à dire avoir été harcelés, au premier chef par des parents, mais aussi par des enseignants. Pour Georges Fotinos, on peut clairement parler d'une "cassure"; il estime que, "sur le terrain, les fédérations n'ont plus d'attrait", et ne peuvent donc pas jouer leur rôle.
15 % en burn-out clinique
Pour sa part, Mario Horenstein, psychiatre, estime que 15 % des personnels de direction sont "en burn-out clinique", c'est à dire nécessitant une prise en charge médicale, mais qu'un sur quatre est en état d'épuisement professionnel. Ceux qui sont le plus menacés sont des proviseurs adjoints des LEGT, ceux qui sont depuis 30 ans dans la fonction, et ceux qui sont dans des établissements "moyens". En effet, dans les établissements difficiles, "on se serre les coudes".
Une question ouverte révèle qu'ils sont nombreux à souhaiter davantage d'autonomie pour leur établissement, y compris sur des questions de recrutement des personnels non enseignants et des enseignants, mais Bernard Lejeune, ancien proviseur et ancien directeur du cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, rappelle qu'à chaque fois qu'est donnée une marge supplémentaire, elle est "difficile à intégrer" car elle suppose un nouveau mode de pilotage, et qu'elle apparaît comme anxiogène. D'ailleurs, ce questionnaire a été administré alors que la réforme du collège, avec sa marge d'autonomie supplémentaire et ses conflits, se mettait en place, ce qui peut constituer un biais.
Un modèle désenchanté
Christophe Prochasson, ancien recteur et conseiller du président de la République, se demande si ce malaise ne concerne pas tous les personnels d'encadrement, qui doivent faire preuve d'autorité et répondre à une exigence démocratique plus profonde. Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN-UNSA, évoque pour sa part "un modèle désenchanté", un sentiment d'impuissance qui se diffuse dans toute la société et atteint les personnels de direction. Il rappelle aussi que, tous les 3 ans, PISA fait passer le message "on n'avance pas"...