Qu’est-ce qu'un enfant agité ? Le regard de la psychiatrie (Colloque de l’Afar)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le dimanche 12 mars 2017.
"Agités, les vikings ?" Oui, si l’on en croît Bertrand Lauth, pédopsychiatre au CHU de l’Université d’Islande à Reykjavik, lorsqu’il raconte avec humour la vie mouvementée d’Egill, le héros d’une vieille saga islandaise. Intervenant lors du colloque organisé vendredi 10 mars par l’Afar (un organisme de formation des professionnels de santé) intitulé "L’enfant agité : des parents en souffrance, des professionnels en difficulté ?", Bertrand Lauth voulait par cet exemple stigmatiser "la surestimation actuelle de l’hyperactivité" en Islande et aux Etats-Unis.
"Qu’est-ce que l’enfant agité ?", s’est interrogé Jean Chambry, pédopsychiatre et modérateur du colloque. "C’est une réalité clinique", constate-t-il. "Et nous sommes de plus en plus souvent sollicités dans l’urgence pour des enfants de plus en plus jeunes qui connaissent des difficultés comportementales. Pour autant, il faut se méfier d’une sur-psychiatrisation. La demande d’intervention augmente mais de quelle maladie mentale s’agit-il ?".
Un désordre excessif
Approche psychopathologique, neurodéveloppementale ou transculturelle, les regards sur l’agitation sont-ils différents ou complémentaires ? Pour Marie-Michèle Bourrat, pédopsychiatre (Limoges), "l’agitation est une perturbation du comportement, un désordre excessif qui a des conséquences réelles sur l’environnement". A quoi la relier ? Suite à des entretiens avec la famille, avec l’enfant seul ou en groupe, la pédopsychiatre constate que le plus souvent "l’enfant agité a connu des événements qui n’ont pas donné lieu à une élaboration mentale" et préconise "des traitements de groupes aidant à la résurgence du traumatisme".
David Cohen, pédopsychiatre (La Pitié Salpêtrière), choisit une approche neurodéveloppementale et le modèle de "l’épigénèse probabiliste" qui envisage "l’ensemble des facteurs dont les points d’impact peuvent se situer à des niveaux différents et interagir entre eux : l’environnement physique, social et culturel, le comportement et la conduite, le niveau neural et le niveau génétique". Sevan Minassian, pédopsychiatre (Avicenne à Bobigny), souligne l’intérêt de l’approche transculturelle de l’agitation face à des enfants d’origine étrangère : "Nous, cliniciens occidentaux, nous pouvons faire de graves erreurs d’interprétation. Nous devons sortir des diagnostics traditionnels, ne pas être des porteurs de savoirs mais des révélateurs".
Des stratégies adaptées
"Aucun modèle ne peut prétendre à expliquer l’intégralité du phénomène", en conclut Jean Chambry. "Chaque modèle apporte sa compréhension et la difficulté réside dans la mise en commun des approches de façon à définir une stratégie thérapeutique." Prise en charge corporelle ou médicamenteuse, recours à des contes, des albums, des romans... Ioana Atger, pédopsychiatre (CMPP de Massy), propose aux enfants agités le dessin du "bateau de famille" et leur demande de le compléter. De ces entretiens, elle a déduit trois grandes catégories d’enfants particulièrement imagées : "Les révoltés du Bounty", "Les Robinson Crusoé" et "Les pirates des Caraïbes". Elle s’interroge : "Faut-il faire taire l’agitation ou plutôt essayer de la faire parler et si possible la regarder et l’entendre autrement ?" Elle insiste sur "le travail nécessaire avec la famille et l’environnement" et préfère voir "l’agitation comme une contestation".
Christophe Smadja, directeur du service AEMO (Action éducative en milieu ouvert) de l’Oise, souligne "l’intérêt de la loi de 2016 qui est passée de la protection de l’enfance à la protection de l’enfant" et qui préconise le repérage et l’intervention précoce. "Une loi qui, malheureusement, faute de moyens et faute d’un travail interdisciplinaire pour mieux coordonner les interventions auprès de l’enfant, peine encore à être appliquée".
Le site de l’Afar ici
Colette Pâris