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"Devenir intelligent, c’est résister !" (revue de l'AFAE)

Paru dans Scolaire le dimanche 26 février 2017.

"Qu’est-ce qu’apprendre ?" se demande l'AFAE dans le dernier numéro de sa revue, Administration & Éducation. Olivier Houdé (Paris-Sorbonne), constate qu'à l’école, ""depuis toujours, on apprend surtout par la répétition, la pratique et l’automatisation (…) Il faut 'apprendre à résister’. (…) Il serait très utile de développer à l’école la capacité d’inhibition (cognitive ndlr) de l’élève." Avec cette interpellation frontale, l'association des acteurs de l'éducation veut identifier les paradoxes en se centrant sur les territoires de l’humain et de l’humanisme. Les éclairages contemporains relatifs à l’acte d’apprendre sont abordées sans concession aux modes : des neurosciences au numérique éducatif, des conceptions sous-jacentes de l’histoire institutionnelle à la transversalité, des formations hybrides au droit et jusqu’à l’identité du sujet.

"Certains chercheurs se sont posés l’étrange question que voici : quelle quantité d’idées peut-on faire rentrer dans la tête d’un enfant de 10 ou 15 ans en un temps donné ? (...) 2 500 par an, c’est-à-dire 50 par semaine et, si l’on considère que la moitié de ces idées sont fournies par l’école, environ une idée par heure de classe", note Dominique Rojat, IGEN de SVT.

La plasticité du cerveau

"Les langues du monde comportent approximativement 600 consonnes et 200 voyelles. Chaque langue utilise un sous-ensemble d’environ 40 phonèmes (en français 36 phonèmes, 16 voyelles, 17 consonnes et 3 semi-consonnes)" relève Michèle Kail (CNRS), qui s’intéresse aux apprentissages implicites et aux apprentissages explicites. Elle parle de "plasticité permanente du cerveau." Citant Stanislas Dehaene, Emmanuel Ahr (Montréal et Paris), explique l’apprentissage de la lecture "par un mécanisme de plasticité cérébrale très particulier appelé 'recyclage neuronal'. Le cerveau recyclerait littéralement, c’est-à-dire détournerait une partie d’un réseau de neurones préexistant." Dominique Rojat en tire les conséquences pour l’écriture d’un programme : "Écrire un programme en tenant compte de ce qu’est la plasticité cérébrale, c’est écrire un programme qui revient sur les apprentissages fondamentaux, les réactive, les prolonge : c’est un écrire un programme spiralaire."

André Canvel, IGEN d’EPS, observe que "la médiation du corps aura un impact indéniable sur la relation entre réussite et climat scolaire". Il distingue le corps comme dépositaire d’un savoir-faire (en soi), le corps comme engagement de soi (pour soi), le corps comme ciment social (pour et avec les autres).

Aucune obligation d'apprendre

Pour Jean-Marie Forget "ce qui amène l’enfant à apprendre, est sa propre curiosité, son propre intérêt pour son origine. Et c’est la question de l’origine qui lui pose problème. L’enfant aborde les apprentissages scolaires à partir d’un savoir intime et en partie inconscient qui sert de base à son identité. Or sa curiosité prend son origine et s’alimente d’une ignorance, d’une vulnérabilité et d’une position de solitude qui nécessitent d’être prises en compte par l’adulte dont il dépend. C’est la consistance particulière de ce savoir inconscient qui se trouve confronté à un savoir constitué."

Pour Amine Amar, IGAENR, "il serait hasardeux de déduire que l’obligation d’instruction équivaut à l’obligation d’apprendre pour les élèves.(…) Aucune disposition de nature législative ou réglementaire ne fait mention d’une quelconque obligation d’apprendre à laquelle les élèves seraient soumis."

Le numérique éducatif ?

Pour André Tricot (ESPE de Toulouse), "si les outils numériques ont eu au début des années 1990, un effet positif sur la motivation des élèves, cet effet est aujourd’hui relativement modeste.(…) Les apprentissages scolaires avec des outils numériques sont peu développés parce que leurs plus-values sont encore mal connues, conduisant les concepteurs à développer des supports d’une façon assez naïve, oubliant les fondements des situations d’apprentissage par enseignement."

Martine Caraglio, IGAENR et Philippe Claus, IGEN, coordonnateurs du thème, même s’ils reconnaissent "les éclairages de l’imagerie cérébrale sur certains mécanismes cognitifs", appellent à "dénoncer les limites d’une illusoire neuro-éducation, engouement des medias" et à ne pas "céder à une vision trop scientiste et naïve voire idéologiquement dangereuse, d’une technoscience de l’éducation parfaitement contrôlée et contrôlable."

Ils ajoutent : "La recherche ne nous dit pas quoi faire, c’est à nous de savoir ce que nous voulons faire de la recherche". Pour Viviane Bouysse, IGEN, "la science parle à l’indicatif, pas à l’impératif. Mais les interpellations des praticiens et de ceux qui tentent d’être à leurs côtés pour penser le métier devraient être mieux entendues des ‘chercheurs’ car il reste bien des angles morts."

Les paradoxes de l’institution

Dans un autre ordre d'idées, Catherine Moisan, IGEN et directrice honoraire de la DEEP, dans un retentissant article, évoque "le décalage entre la prise de décision des réformes menant au collège unique et leur application dans la réalité". Données numériques à l’appui, elle démontre que "la France est le pays le plus inéquitable de l’OCDE en matière de réussite scolaire" avec des "inégalités d’apprentissage que l’école ne comble pas ou même qu’elle accroît." Elle stigmatise "la ségrégation pour absence de mixité sociale, en raison de la contradiction avec des objectifs assignés à notre école française et avec la devise républicaine."

Toutefois, la revue met en évidence une sorte de socle consensuel : développer la place des essais (un professeur remarque que les cahiers d’essais se sont transformés en cahiers de brouillon), changer le statut de l’erreur et l’intégrer dans un évaluation positive, la bienveillance, l’individualisation mais aussi l’appartenance à un tout, à un monde commun, la nécessité de la transversalité, de l’interdisciplinarité et de l’interculturalité (avantage du bilinguisme), faire ensemble, quelle autorité en regard de l’identité, résister aux automatismes en développant la capacité d'inhibition cognitive……

Prendre en compte simultanément toutes les recommandations

Alain Michel, IGEN, cite les principaux enseignements d'une publication de l’OCDE (2010) qui met en évidence la nécessité pour que les élèves apprennent d'encourager l’implication des apprenants, d'être attentif aux particularités individuelles, d'être exigeant envers chaque apprenant, mais sans excès, de procéder à des évaluations régulières à finalité formative, de favoriser la compréhension de liens entre activités et entre notions de diverses disciplines, de favoriser les apprentissages par investigation, d'assurer une complémentarité transparente entre activités scolaires et périscolaires. Et il insiste, il faut surtout "prendre en compte simultanément toutes ces recommandations pour qu’elles soient efficaces", avec "une posture maïeutique mettant en évidence autant ce que l’élève a appris que ce qu’il n’a pas encore appris." Pour Michèle Kail, l’enjeu est de "modifier en profondeur la compréhension de notre condition de sujet né pour apprendre, pour échanger, pour comprendre et inventer."

A noter encore que le 39ème colloque national de l’AFAE (les 10,11 et 12 mars 2017 à Nancy) aura pour thème "Ne laisser aucun élève au bord du chemin : utopie ou feuille de route ?"

Claude Baudoin

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