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Les politiques savent-ils parler de l'Ecole ? (colloque)

Paru dans Scolaire le dimanche 12 février 2017.

"Je suis pour… 'un mariage pour tous', où le ministère accompagne les établissements dans leurs projets et où ceux-ci prennent le pouvoir sans attendre que le sommet le leur permette…" concluait non sans ironie Bernard Toulemonde, ancien DGESCO, co-auteur de "Et si on tuait le mammouth ?" lors d’un colloque organisé le 8 février par les membres lyonnais de l'AFAE (l'Association française des acteurs de l'éducation) sur le thème "Politique et école, un mariage impossible ?" Louise Tourret (France culture) avait manifesté d’emblée "sa surprise devant l’absence du sujet éducation dans les Primaires, alors que tout est politique".

Mais c'est sans doute que "le mariage est impossible", s'inquiète Michel Lussault, directeur de l’IFE et président du CSP (Conseil supérieur des programmes). Pourquoi ? "Il faudrait que le débat public soit possible. La doxa prédomine sur le débat. Il y a cacophonie." Quant à l’Éducation nationale, "elle a l'habitude d'une position confiscatoire sur le débat public. De ce point de vue, la culture universitaire est très différente de la culture scolaire. L'Éducation nationale est très hiérarchique, très prescriptive." Les parties prenantes hors institution ont aussi leur responsabilité. Les parents ? "Ils absolutisent  leur point de vue à partir de leur expérience personnelle et celle de leurs enfants et petits enfants. Ce qui pose problème pour trouver des formes d'interactions et d'échanges permettant d’aborder des choses en commun." Les médias ? "Ils 'polémisent' les sujets d’éducation." Les responsables politiques ? "Ils ont une action délétère en ne prenant pas l'éducation avec le sérieux qu'elle mérite. Les partis (toutes tendances) ne travaillent pas assez l'éducation. C'est devenu un marqueur idéologique et pas un véritable sujet de propositions." Dès lors, comment organiser un champ de débat ? La démocratie, c'est la "mésentente", pour reprendre l'expression de Jacques Rancière… mais sans dériver en guerre de position. Michel Lussault aurait aimé que l'on adresse de véritables critiques au CSP, et non des invectives.

Les politiques scolaires sont victimes de quatre dérives : la reproduction des inégalités sociales ; la pesanteur et l’endogamie de l’institution ; la dérive utilitariste de l’école ("l’École ça sert à…") ; et plus étonnant, la saturation de valeurs dans l'école : "Il y a une instrumentalisation du discours sur les valeurs" estime Michel Lussault pour qui "il faut centrer la scolarité obligatoire sur les questions d'apprentissage, la culture scolaire et le Socle commun. Regrettant que la recherche en éducation ait été dévalorisée pendant des décennies, il pose les questions qui lui semblent centrales : "Comment définir la culture scolaire ? Peut-on réfléchir à ce qu'est un Socle commun en France ? En faut-il un au lycée ? Ou pour le bac -3 bac + 3 ? Qu'est-ce que 'le commun' recouvre ? Cela doit-il retentir sur l'organisation du lycée ? Faut-il maintenir 3 filières ?..." Et dans le sillage d’Hanna Arendt, il invite à ne pas surdéterminer l’école par son passé. "Réfléchir sur son héritage oui, mais le futur de l'école reste à construire !"

"Le politique doit-il se mêler de l’éducation ?"

Ferdinand Buisson était à la fois dans le monde de l’éducation et le monde politique, rappellent deux des auteurs d'un opuscule titré "Le politique doit-il se mêler de l’éducation ?". Olivier Rey, ingénieur de recherche à l’IFE s’interroge sur le thème récurrent de l’impossible changement. "Le débat est bloqué, il n’y a plus d'échanges politiques sur les finalités" du système éducatif."  Il souligne que coexistent, sans qu'on en débatte, une conception innéiste, les individus sont plus ou moins doués, et le principe d'éducabilité qui veut que "chacun peut réussir à un moment donné" ! De même que l'on discute rarement de l’inégalité formelle entre les établissements… . Il invite aussi à se méfier en éducation des justifications abusives par "la Science". Jean-Yves Langanay, IPR honoraire est également déçu par la qualité du débat public sur les questions éducatives et met en cause l'hiatus "entre les intérêts particuliers et l'intérêt général en matière éducative".

Françoise Lantheaume (laboratoire "Éducation, Culture, Politiques", Lyon 2) propose un slogan, "soutenir l'existant plutôt que faire des injonctions sur l'idéal" ! Elle voit "d'un côté des réformateurs enthousiastes et de l'autre des acteurs qui disent que ce n'est pas possible"  et on stigmatise la "résistance au changement" ...des deux côtés." Cependant, lorsqu’on étudie ce qui se passe plusieurs années après une réforme, qu'il s'agisse du PPCP, du socle commun, du "plus de maîtres que de classes", etc., "les conclusions montrent que ça ne se passe pas comme l'imaginait le/la ministre, mais pas non plus comme le supposaient les enseignants. Ceux-ci s'approprient la réforme par essais / erreurs." Il y a "un décalage entre l'agenda politique et la dynamique du travail, qui prend du temps. Pour qu'une réforme s'ancre dans le réel, beaucoup d’interactions sont nécessaires entre différents acteurs." Bernard Toulemonde cite à l’appui le nombre, 227, de circulaires publiées chaque année depuis 1997 !

"Soutenir l'existant"

Pour Françoise Lantheaume, "on passe son temps à chercher des responsables de ce qui ne va pas. On n'arrivera pas à changer les choses si on prend les questions comme ça. Il faut plutôt chercher du côté du travail et s'appuyer sur les ressources existantes,... la possibilité d'avoir des débats professionnels. Il faut 'pouvoir parler boulot'... et soutenir l'existant plutôt que de faire des injonctions sur l'idéal !"

Si Bernard Toulemonde s’interroge sur l’existence, dans les partis politiques, d’un projet en matière d’éducation, il insiste sur l’importance des acteurs locaux : "Les enseignants ne sont pas des véhicules tous terrains : pourquoi ne pas profiler les postes ?" Et d’ajouter : "Aucun établissement n'est semblable à un autre. On constate des innovations, des expérimentations en nombre. Autonomie oui, mais autour d'un projet, d'un travail collectif, ce qui est nécessaire pour toutes professions."

Pour Michel Lussault, avant tout géographe comme il le revendique, "il faut travailler sur les processus de relocalisation, localiser les processus du système." Et Françoise Lantheaume de rappeler que "toute réforme est interprétée par des acteurs situés, cela fait partie de leur intelligence professionnelle." Loin d’une nostalgie souvent plus proche du roman national que de la réalité historique, une politique globale pour l’école pourrait sans doute s’ancrer dans la géographie, celle de processus et d’une organisation du travail contextualisés par des acteurs en réseaux.

Claude Baudoin

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