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Conflit autour des clubs Unesco, entre la fédération (une ONG) et la Commission nationale

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le vendredi 10 février 2017.

La Fédération française des clubs Unesco, rebaptisée "FFPU", "pour l'Unesco", est en conflit ouvert avec la "Commission nationale française pour l'Unesco" et les termes de la pétition qu'elle a lancée il y a quelques jours sont particulièrement véhéments, accusant le président de la CNFU de vouloir récupérer les clubs et d'imposer un mode de gestion "monarchique" du réseau. ToutEduc a interrogé les deux parties.

Rappelons que l'Unesco est une institution de l'ONU, qu'elle a son siège à Paris, et que la France y est représentée par un ambassadeur, Laurent Stéfanini, et par une Commission, présidée par un haut-fonctionnaire, Daniel Janicot, nommé à l'automne 2014. Les clubs Unesco sont des associations, souvent créés au sein d’écoles ou d’institutions culturelles.

ToutEduc : Ce conflit est-il une première depuis la création des clubs Unesco ?

Ardiouma Sirima, vice-président de la FFPU : Non, ce n’est pas la première fois qu’une crise oppose notre Fédération à la CNFU. Mais les précédentes tensions ont été le reflet de saines confrontations entre dirigeants d’organisations soucieux de traduire en actions les idéaux et les valeurs de l’Unesco. Ce qui caractérise le conflit actuel, c’est avant tout le profond mépris qu’exprime l’actuel président de la CNFU à l’encontre de la FFPU. Daniel Janicot a d’emblée exclu toute possibilité d’échanges et de discussion.

ToutEduc : En quelques mots, qu’est-ce que la Fédération française pour l'Unesco ?

Ardiouma Sirima : En 1956, sous l’impulsion de Louis François, inspecteur général de l’instruction publique, la "Fédération française des clubs Unesco" est créée. Régi par la loi de 1901, ce réseau militant obtient très vite son double agrément d’association complémentaire de l’enseignement public et d’éducation populaire. Il est composé de plus de 200 clubs et associations qui interviennent activement en France, en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique Latine dans de nombreux projets favorisant la compréhension et la solidarité internationales, le rapprochement et l’amitié entre les peuples par l’accès à l’éducation, aux sciences, à la culture et à la communication.

ToutEduc : Y-a-t-il d’autres fédérations de clubs Unesco dans le monde, et quelles sont leur rapports au gouvernement de leur pays,  ainsi qu'à l’Unesco ?

Ardiouma Sirima : On dénombre aujourd’hui plus de cinq mille clubs, centres et associations Unesco placés sous la coordination de fédérations nationales. La capacité d’initiative de ces fédérations dépend étroitement des espaces de liberté qui existent dans leur pays. Leurs liens avec l’Unesco sont le reflet de la marge d’autonomie qu’elles parviennent à établir avec leurs commissions nationales. Fondée en juillet 1981, la FMACU (Fédération mondiale des associations, centres et clubs Unesco) a vocation à faciliter la mutualisation des actions de ces fédérations. Soulignons, à l’heure où la CNFU prétend nous ravir notre place dans les instances européennes et internationales du mouvement, la contribution décisive de notre fédération à la création et à l’animation des Fédérations européenne (FEACU) et mondiale (FMACU).

ToutEduc : Quelles sont vos relations avec les ministères de l’Education nationale, de la Jeunesse et des sports, des Affaires étrangères, ainsi qu’avec l’Unesco ?

Ardiouma Sirima : Avant l’entreprise de dénigrement de la FFPU par l’actuel président de la CNFU, nos relations étaient au beau fixe avec tous nos partenaires institutionnels. Le soutien régulier et enthousiaste des autorités françaises à l’édification et à l’animation du Centre de formation de Bakel au Sénégal, l’une des grandes œuvres de coopération solidaire de notre fédération, illustre la qualité de nos liens avec le ministère des Affaires étrangères. Nous avions également, jusqu'au mois de décembre 2014, d'excellentes relations avec l'Unesco, nous avons organisé dans ses locaux de grandes manifestations, toujours chaleureusement saluées par nos nombreux partenaires, jusqu'à ce que Monsieur Janicot nous en interdise l'accès.

ToutEduc : Quel est votre positionnement au sein des autres associations nationales françaises à visée éducative ?

Ardiouma Sirima : La FFPU est membre fondateur du CAPE, le Collectif des associations partenaires de l’Ecole publique, créé en 2011. Elle participe activement au CNAJEP, le Comité pour les relations nationales et internationales de Jeunesse et de l’Education populaire.

ToutEduc : Depuis quand êtes-vous entré en conflit avec la CNFPU ? Pour quelles raisons ?

Ardiouma Sirima : Nous ne voyons aucun fait objectif qui puisse induire et alimenter le conflit en cours. Après une première rencontre le 19 janvier 2015 qui laissait présager de belles promesses de coopération entre la FFPU et la CNFU, Monsieur Janicot s’est appliqué à saper l’image et la respectabilité dont jouit notre Fédération auprès de nos partenaires institutionnels, tout en œuvrant parallèlement à la mise en place de son "réseau des clubs centres et associations Unesco".

ToutEduc : Vous lancez une pétition. Pour quelles raisons ?

Ardiouma Sirima : Si le projet funeste du président de la CNFU devait aboutir, ce serait un signal dangereux pour la démocratie et l'éducation ! En France, ce serait une première dans la longue histoire des clubs Unesco de voir confisquée leur autonomie d’organisation pour les embrigader dans une structure administrée en mode étatique, où se trouverait à son sommet un président (nommé par le ministre des Affaires étrangères) qui désignerait les responsables nationaux d’un "nouveau réseau des clubs Unesco". Ce serait une attaque directe des acquis de la loi de 1901 qui régit la vie associative en France.

Sur un plan international, il est aisé d’imaginer la situation extrêmement précaire dans laquelle cet "exemple français" placerait les fédérations de clubs Unesco agissant dans des pays dont les régimes ne voient pas d’un bon œil la liberté de parole et d’action des acteurs de la société civile.

C’est pour défendre le statut et le rôle de la FFPU, et plus largement, les valeurs et les acquis démocratiques et éducatifs fondateurs de la vie associative française, que nous sommes entrés en résistance contre la volonté de la CNFU. Si notre pétition (ici) ne suffisait pas pour atteindre cet objectif, nous n’écartons aucun moyen légalement admis pour nous faire mieux entendre (manifestations, recours devant les tribunaux, etc.).

Le point de vue de Daniel Janicot est tout autre

ToutEduc : Êtes-vous, comme vous en accuse la FFPU, à l'origine de ce conflit ?

Daniel Janicot : Non. Rappelons d'abord qu'un club Unesco est un groupe de volontaires, créé à l'initiative d'individus. Dans de nombreux pays, comme en France, cela ne pose aucun problème, mais l'Unesco a commencé à s'interroger sur le fonctionnement de certains clubs, notamment en Afrique et en Amérique latine. Ils servaient parfois à de "petits business". Elle a décidé de reprendre en main ce programme et lors de la 37ème session de la conférence générale en novembre 2013, l’UNESCO a adopté un "plan d’action visant à améliorer la coopération du Secrétariat de l’UNESCO avec les Commissions nationales pour l’UNESCO", et demandant à toutes les commissions nationales, la commission française comme les autres, d'assurer la coordination des clubs. Nous devons vérifier qu'ils ont une activité, ce sont parfois des coquilles vides, et leur faire signer une charte qui marque leur adhésion aux principes de l'Unesco, notamment la neutralité politique. Il s'agit, si vous me passez l'expression, de "faire le ménage". Sur cette base, nous devons renouveler leur agrément.

ToutEduc : Quelle est la position de l'Etat français ?

Daniel Janicot : Il me demande d'appliquer la résolution, mais aussi de mettre à profit cette démarche pour réunir les clubs, les écoles associées à l'Unesco, deux cents environ, et la quarantaine de chaires Unesco pour créer une nouvelle dynamique. S'agissant des clubs, il y en a cinquante ou cent, je me suis heurté à l'absence de fichier et j'ai donc lancé une plate-forme sur laquelle ils peuvent s'identifier, ce que beaucoup ont fait, certains se félicitant "d'avoir enfin un interlocuteur".

ToutEduc : Est-ce la seule source de conflit ?

Daniel Janicot : La fédération des "clubs Unesco" a changé de nom, sans doute pour de bonnes raisons, fédérer plus largement, et a choisi de s'appeler "pour l'Unesco" sans prendre l'attache de l'Unesco. Or une association loi 1901 ne peut pas faire usage du mot "Unesco". Elle peut faire référence aux "clubs Unesco" mais pas à l'institution elle-même. La fédération a reçu une lettre du sous-directeur de l'Unesco lui demandant de ne plus utiliser le nom et l’emblème de l’UNESCO et de retirer toute référence directe ou indirecte à l’UNESCO dans le titre de l’association et dans l’énoncé de ses activités, ce dont elle n'a pas tenu compte.

Par ailleurs, depuis 2011 la Fédération française ne participe plus aux activités mondiales en relation avec la FMACU. Cela a entrainé une vive tension entre la Fédération française et les Etats membres qu’il convient maintenant de dépasser. Les valeurs défendues sur le plan international par la Fédération sont les nôtres, personne ne le conteste. Il semble que la Fédération ne comprenne pas le rôle d’une Commission nationale qui est précisément de mobiliser la société civile et d’assurer l’interface entre la société civile et l’UNESCO.

ToutEduc : Qu'allez-vous faire ?

Daniel Janicot : Je continue, sous l'égide des ministères des Affaires étrangères et de l'Education nationale, mon travail de recension des clubs, avec la volonté de relancer une dynamique. Quant aux propos injurieux de la pétition, il appartient aux tutelles de décider si elles portent plainte. Je ne suis qu'un haut fonctionnaire, mais ma porte est toujours ouverte si les propos insultants sont retirés du site de la FFPU.

Les pièces du dossier

ToutEduc a eu communication du courrier d'Eric Falt sous-directeur de l'Unesco "pour les relations extérieures et l'information du public" adressée à Daniel Janicot et en date du 5 octobre 2016. Il lui "confirme que les commissions nationales ont l'autorité pour accréditer les associations, centres et clubs Unesco présents dans leurs pays respectifs" de façon à s'assurer que leurs activités "sont conformes à la mission et aux objectifs de l'Organisation et que ces entités font un usage approprié du nom et de l'emblème de l'Unesco". Eric Falt ajoute que les commissions nationales sont "les seuls organes compétents" pour traiter de l'usage de l'acronyme Unesco, et il précise qu'il a notifié au président de la FFPU, après consultation de Commission nationale française pour l'Unesco, que cette association n'est plus autorisée à utiliser le nom et l'emblème de l'Unesco".

ToutEduc a également eu copie de ce courrier, également daté du 5 octobre et adressé au président de la FFPU qui lui indique que sa demande de changement de nom "n'a pas été autorisée par l'Unesco".

Ces courriers se fondent sur la 6ème "constatation et recommandation" du rapport, daté de 2013, du groupe de travail "chargé du suivi de l'examen de la coopération du secrétariat de l'Unesco avec les commissions nationales pour l'unesco", laquelle "appelle les commissions nationales à accréditer, suivre et évaluer en tant que de besoin les associations, centres et clubs pour l’UNESCO dans leurs pays respectifs de façon à s’assurer que les activités mises en oeuvre par les associations, centres et clubs pour l’UNESCO sont conformes à la mission et aux objectifs de l’Organisation et que ces entités font un usage approprié du nom et de l’emblème de l’UNESCO. Les commissions nationales peuvent retirer l’accréditation des associations, centres et clubs pour l’UNESCO (...)".

Par ailleurs, au mois de décembre 2016, Sonia Dubourg-Lavroff, IGAENR a adressé à la CNFU une note dans laquelle l'inspectrice générale de l'administration de l'Education nationale plaide pour "une refondation du réseau des clubs et centres UNESCO". Elle calcule qu'il y a "103 clubs potentiellement actifs sur les 150 annoncés dont 35 en établissements scolaires, 3 en université et les autres dans la société civile". Elle propose la "mise en place d’un bureau national de coordination des clubs Unesco au sein de la CNFU, en parallèle aux bureaux des deux autres réseaux, chaires Unesco et écoles associées" et dont elle assurerait la présidence. Serait également créé un "comité national paritaire d’accréditation des centres et clubs à la CNFU" dans lequel seraient représentés les ministères en charge de l'Education nationale et de la Jeunesse et de l'Education populaire, les centres et clubs et la Ligue de l’enseignement. L’accréditation serait "renouvelée tous les trois ans".

ToutEduc a eu également copie d'un courrier adressé par Nada Al-Nashif, sous directrice générale pour les sciences humaines et sociales en janvier 2016 (donc antérieurement à la lettre d'Eric Falt), adressée à Yves Lopez, président de la FFPU, dans laquelle elle se dit reconnaissante du "soutien apporté aux idéaux de l'Unesco" et exprime le souhait "de collaborer de nouveau avec la fédération française pour l'Unesco".

Eléments d'analyse

Entre la Fédération des clubs Unesco, émanation de la société civile, et la Commission nationale, qui participe à la représentation de l'Etat français à l'Unesco, les relations n'ont jamais été faciles, selon les informations recueillies par ToutEduc et comme il arive presque nécessairement entre une ONG, organisation non gouvernementale et les représentants des diplomaties nationales, mais des compromis avaient été trouvés à chaque fois qu'un conflit menaçait.

La FFPU considère qu'elle est aujourd'hui victime d'une offensive qui le met sous la coupe du Gouvernement et la prive de sa liberté, la Commission nationale considère qu'elle a un mandat impératif de l'organisation internationale et que l'usage de l'acronyme Unesco implique une responsabilité politique.

Le site de la pétition de la FFPU ici, le communiqué de la FFPU ici

Le site de la CNFU ici

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