Y. Algan plaide pour une "école de la confiance" (Entretiens Jean-Zay)
Paru dans Scolaire le mercredi 11 janvier 2017.
"Comment construire une école de la confiance ?", telle était l'une des questions posées à Yann Algan, économiste (Sciences-po et Conseil d’analyse économique) lors de la dernière séance des Entretiens Jean-Zay, lundi 9 janvier. Ces Entretiens sont un espace de rencontre mis en place par le ministère de l’éducation nationale voilà un an pour favoriser une "relève des idées". Une des premières particularités du système scolaire français relevées par l’économiste grâce à la récente enquête Pisa est le peu d’aptitude au travail collaboratif : "72% des élèves de 15 ans affirment n’avoir jamais travaillé en groupe", et 56% estiment que "leur temps consiste à prendre des notes". Et pourtant, selon le conférencier "il existe des méthodes simples pour développer le ‘capital social’, capital qui porte notamment sur la motivation et la persévérance".
Le capital social est un "muscle qu’on peut développer sans coût comparable à des classes ou des heures disciplinaires supplémentaires, à tout âge, via l’autonomie et les compétences sociales" alors que l'absence de confiance en ses pairs est fortement corrélée à une méthode verticale d’enseignement.
L'empathie pour favoriser l'emploi
Une étude menée à Montréal auprès d’enfants très fortement repliés sur eux, en situation de rejet, avec violences verbales et ou physiques, tous boursiers avec des parents de milieu social fortement défavorisé, effectuée selon un protocole randomisé avec groupe test et interventions ciblées sur des comportements prosociaux a permis d'en mesurer les résultats rapides. Ainsi une plus grande capacité à l'empathie, à prendre en compte "la perspective des autres" produit après quelque temps 16% de probabilités supplémentaires d'’obtention d’un emploi, et 11% de chances d’avoir un casier judiciaire vierge.
En France, le programme "Exploiter tout son potentiel" porté par Energie Jeunes qui vise à "changer les représentations sur leurs capacités propres" a obtenu un effet notable sur les notes et l’autodiscipline selon les enseignants : en français et en maths, la hausse est de 0,7 point par trimestre dans l’année après tout un travail sur le temps passé devant la télé avant de faire ses devoirs dans 7 académies, 97 collèges, pour 11 000 élèves et 12 000 en groupe témoin, avec focalisation sur les élèves boursiers et sur ceux dont les parents sont défavorisés ; un travail sur le "se concentrer" donne d'ailleurs "de meilleurs résultats" encore.
Le programme d'Energie jeunes
Le programme sur le harcèlement avec la formation d’élèves médiateurs tiers fondée sur le "se mettre à la place de" qui constitue sur le sujet "la plus grande expérience menée au monde" a permis de relever très vite une diminution de l'absentéisme. Un autre ciblage vient d’être mené sur "la pédagogie par projet et ses effets" : l’auto-évaluation fait que les élèves prennent mieux conscience de leur faisabilité.
Qu'apporte l'économiste à l'éducation ?
A la question "que fait et qu’apporte l’économiste à l’éducation ?", Y. Algan répond à Philippe Watrelot (président du Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative) que l’économiste a une propension "à vouloir changer le monde" et mène des expérimentations plus massives que les chercheurs en sciences de l’éducation. La ministre, qui présidait ces entretiens, ajoute qu'il y a désormais une évaluation réguière des politiques publiques. Grâce à une "économie comportementale", "on peut avoir une meilleure perception des élèves dans leur singularité", estime-t-elle.
Un "tiers lieu" devrait permettre à l’avenir la rencontre des différents acteurs de l’innovation, des recherches-développement et actions et permettre la diffusion des résultats via les ESPE, précise Najat Vallaud-Belkacem, qui insiste sur l’importance de développer la formation continue des enseignants, adressant ainsi un message au futur locataire de la rue de Grenelle, "si d’aventure il était humaniste".