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Innovation et expérimentation : la nécessité de redéfinir ces termes et leur rôle dans l'Education nationale (rapport)

Paru dans Scolaire le mardi 20 décembre 2016.

L'innovation et de l’expérimentation ont-elles une incidence sur l’évolution du système éducatif ? C'est à cette question que les deux inspections générales apportent une réponse très nuancée, teintée d'optimisme malgré des descriptions parfois cruelles, dans leur "Rapport annuel 2015" qui vient d'être publié. On peut se demander si le succès des "réformes, dispositifs et autres expérimentations" n'est pas assuré "par une convergence sur le long terme des différents acteurs du monde éducatif" plutôt que par la volonté politique. Les auteurs le sous-entendent lorsqu'ils ajoutent que c'est aussi "dans le secret relatif des classes, souvent à tâtons, avec des réussites et des échecs" que se développent "des techniques sans cesse affinées, des protocoles fragiles ou éprouvés", et qu'ils se demandent s'il ne faut pas prendre en compte "un faisceau complexe de relations" entre tous les niveaux, la classe, l'établissement, la circonscription du premier degré, le territoire national, les collectivités, les départements et les académies, les région et l’Etat.

La question se pose d'autant plus que "le cadre institutionnel est lui-même mouvant" et que "s’élaborent, patiemment ou, selon l’agenda politique, de manière plus urgente, des évolutions qui peuvent apparaître aux différents acteurs tout autant comme des menaces, mettant à mal les équilibres établis, que comme l’occasion d’un changement bienvenu". Les inspections générales décrivent une tension entre "ce qui rassemble, autour des fondamentaux de l’éducation" et "la résultante d’une mosaïque de micro-impulsions multidirectionnelles" qui donnent l'impression d'un "foisonnement d’initiatives fragmentaires et de dispositifs sans lendemain" alors que "c’est au contraire, par petites touches, tout un univers éducatif qui se construit et se réélabore en permanence (...) C’est toute la question du centre et de la marge qui est ainsi posée, l’innovation et l’expérimentation se pensant comme mouvement centrifuge à vocation centripète."

Non pas LA meilleure façon de faire

Mais d'où viennent ces impulsions multiples ? "Un enseignant, une équipe, un établissement" peuvent prendre des initiatives, "même si ces micro-innovations et expérimentations ne donnent pas lieu à des dossiers de presse". Mais l'institution ? "C’est comme s’il y avait dans ces initiatives-là (les réformes, l’introduction de dispositifs particuliers ou la mise en oeuvre d’expérimentations) quelque chose contre nature." D'ailleurs, que les initiatives viennent du local ou du national, elles furent longtemps le produit d'un espoir, "celui de trouver la meilleure solution dans l’absolu, celle qui, une fois généralisée, permettrait une réussite totale". A l'inverse, "depuis quelques années, une autre manière de voir apparaît, même de façon implicite": "diversifier assez les pratiques pour permettre de déterminer ce qu’il convient de faire à un moment donné, en un lieu donné, avec un groupe d’élève donné". Il faut donc arriver à une nouvelle définition de l'innovation et de l'expérimentation, non plus "la recherche obsédante de LA meilleure façon de faire, mais une modalité de diversification".

La rapport examine un certain nombre d'innovations récentes. En voici une sélection.

PDMQDC. "L’urgence relative dans laquelle s’est mis en place le dispositif (plus de maîtres que de classes) a parfois conduit à une forme de pilotage très dirigé ne laissant guère de place à l’initiative des individus ou à une réflexion responsabilisée des équipes : il s’agit surtout de maîtriser l’usage des moyens supplémentaires (...) En matière d’accompagnement de la mise en oeuvre du dispositif, les inspections générales ont pu regretter que les contenus de formation aient eu souvent pour objet la transposition de modèles expérimentés ici et là, ou encore la volonté de faire appliquer les résultats de travaux universitaires sans phase de préparation des équipes (...)."

PARLER. Les bilans d’étape du dispositif PARLER (mis en oeuvre par Michel Zorman) "ont révélé une satisfaction des acteurs (enseignants et encadrement pédagogique), mais aussi des bénéfices pour les acquis des élèves : une entrée plus rapide dans la lecture et une meilleure appropriation du système alphabétique. On a cependant noté parmi les éléments négatifs identifiés des décalages d’acquis qui se sont creusés entre les élèves les plus performants et les autres." De plus, "sa mise en oeuvre bouleversait la conception habituelle de la classe". Enfin, l'inspection générale "s’est interrogée sur la dimension éthique de l’introduction de ces dispositifs (PARLER et ROLL, ce dernier mis en oeuvre par A. Bentolila, ndlr) en se demandant jusqu’où l’argent public pouvait financer ce type de propositions sans que les acteurs et les partenaires soient en situation d’en envisager le bien-fondé".

SANS NOTES. "L’un des effets les plus positifs d’un système sans notation chiffrée est la participation des élèves, y compris les plus en difficulté, (...), l’ambiance de classe est meilleure, la compétition est réduite (...), l’abandon de la note chiffrée favorise chez les élèves la prise d’initiative et la confiance : ils osent davantage essayer, donner leur avis, porter un regard critique, etc., toutes compétences pour lesquelles on sait les élèves français beaucoup moins à l’aise que leurs camarades d’autres pays de l’OCDE".

SEXUALITE. "La première circulaire du 23 juillet 1973 sur l’éducation sexuelle prévoyait une information scientifique et progressive sur la sexualité dans le cadre des programmes de biologie et d'économie familiale et sociale. Ce texte n’a pas eu les effets attendus. La circulaire de 1998 a donc rendu obligatoires ces séquences dans le temps scolaire. La circulaire de 2003 entendait mobiliser l’ensemble de la communauté éducative. Les informations fournies par un rapport de l’IGAS en 2009 et une enquête de la DEPP en 2011 ont mis en lumière l’application insuffisante de ces textes (...) Hormis ceux de SVT, les enseignants, et plus encore les hommes, se sentent assez démunis pour assurer cette éducation. Il apparaît difficile de transformer un sujet apparemment intime en question éducative nécessitant une approche pédagogique appropriée."

ECLAIR. A propos de cette forme de l'éducation prioritaire, le rapport se fonde sur une observation recueillie dans l’académie de Nice : "Le militantisme pédagogique retrouve force et vigueur. L’ensemble des acteurs que nous avons interrogés nous sont apparus heureux du nouvel élan qu’ECLAIR leur procurait (...) Il les a contraints, avec confiance, à sortir de la routine, à confronter leurs points de vue à ceux des autres, à inventer, à construire, à échanger. Il les a aidés en particulier à rentrer de plain-pied dans la logique du socle commun" et "à travailler constamment la continuité écoles - collège".

ESPI . L’accès à l’un de ces "établissements scolaires publics innovants" prenant en charge des décrocheurs "se fait sur la base du volontariat de l’élève, mais après acceptation par l’équipe (...) Les résultats sont encourageants. Toutefois, ici ou là, il existe des situations médicales ou psychologiques telles qu’en dépit de la volonté des membres des équipes, l’accompagnement échoue. Ces situations, de plus en plus fréquentes, conduisent les enseignants à renforcer leur vigilance au moment des entretiens à l’entrée, car la structure ne permet pas de prendre en charge des cas lourds."

ORIENTATION. "Dans une École qui ne reconnaît en fait qu’une voie de réussite et qui procède par tris successifs en fonction d’une norme floue, de grands efforts pédagogiques sont déployés pour faire entrer dans ce seul moule tous les élèves, jusqu’au moment où il n’y a plus d’autre solution que de mettre à part ceux qui n’y entrent pas. Puis d’autres efforts tout aussi importants, pédagogiques et financiers, sont déployés pour ramener vers la réussite scolaire, dans une version différente de la première, ces mêmes élèves triés. Car, dans de trop nombreux cas, les dispositifs présentés comme aidant des collégiens à mieux réussir sont en fait construits pour les faire adhérer au choix qu’on attend d’eux : une orientation vers l’enseignement professionnel."

GRH . "Que ce soit dans l’ensemble de la fonction publique ou plus particulièrement à l’Éducation nationale, la mise en place de la nouvelle gestion des ressources humaines s’est accompagnée d’illusions tenaces. Certaines sont habituelles lors de l’introduction de réformes de grande envergure : sous-estimation de l’effort d’information et de communication, retard dans la mise en place des outils et des formations d’accompagnement, manque de visibilité à court terme du changement pour un grand nombre de personnels, à l'exception de l'encadrement (...) Une première difficulté tient au fait que la GRH est sans doute le domaine du management moderne où l’écart est le plus accentué entre un discours souvent volontariste et autosatisfait, et des réalisations concrètes bien éloignées. (...) Une deuxième difficulté est sans doute venue de la sous-estimation de la complexité de certaines méthodes de gestion prévisionnelle dans la fonction publique (...) Une troisième difficulté tient à la sous-estimation des blocages corporatistes, même lorsque le changement a été intelligemment conçu et négocié (...) Une dernière entrave, inhérente à la GRH, s’explique par un manque de cohérence et de continuité. Ainsi, si l'on élabore des référentiels de compétences, ils ne sont guère utilisés pour le recrutement et la formation."

CARDIE . Un cadrage national de la fonction de "conseiller académique en recherche-développement, innovation et expérimentation encouragerait les recteurs à mieux asseoir cette fonction et à compenser la disparité de leurs engagements propres (...) Lorsque le CARDIE n’est pas inspecteur, sa légitimité est parfois mise en cause, les inspecteurs lui reprochant de 'valider' des expérimentations hors de tout cadre réglementaire (...) L’implication des DASEN, en outre, est très variable, et, de manière générale, ne paraît pas très importante."

NUMERIQUE. "Il y a matière à optimisme, au-delà de la reconnaissance pragmatique de la nécessité de la présence du numérique à l’École, à condition d’accompagner l’évolution du système, c’est-à-dire de combiner un pilotage général et particulier du système avec un discours raisonné visant à mettre en perspective les allers - retours entre outils, ressources et activités dans les classes. Une tablette, pas plus qu’une feuille et un crayon, ne contient naturellement les ingrédients d’un apprentissage efficace. En revanche, la tablette, comme la feuille et le crayon, contient en puissance des modalités pertinentes d’apprentissage liées à la fois à ses caractéristiques propres, à son inscription dans une évolution technique, sociale et culturelle et à son intégration dans le système institutionnalisé de l’École."

Le rapport annuel 2015 de l'IGEN et de l'IGAENR est téléchargeable ici

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