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"Tout est prêt pour dégraisser le mammouth" (S. Le Nevé, B. Toulemonde)

Paru dans Scolaire le lundi 19 décembre 2016.

Bernard Toulemonde, ancien recteur et ancien membre de plusieurs cabinets ministériels, a eu le premier l'idée d'appeler "mammouth" l'Education nationale. Aujourd'hui il se propose, avec la journaliste Soazig Le Nevé, de le "tuer". C'est que "tous les ingrédients de l'immobilisme sont là pour que rien ne change : un pouvoir politique, en la personne du ministre, très faible, qui intègre très vite son impuissance à modifier le cours des choses; des syndicats puissants qui, dans leur majorité, sont arc-boutés sur leurs privilèges hérités du passé et refusent tout changement; des enseignants qui, pour la plupart, cherchent à bien faire, mais qui sont mal formés, mal gérés, englués dans un système bureaucratique qui fait tout pour les désespérer."

Les auteurs posent donc implicitement deux postulats, les syndicats ne sont pas l'expression de leur base et l'Education nationale forme un système capable d'imposer sa cohérence au pouvoir politique. Ils s'attachent à montrer la continuité dans son être de l'institution, que le ministre soit "rouge, rose, vert ou bleu"..., et sa nature s'explique par son histoire. "En France, l'éducation des jeunes a toujours été une affaire d'Etat face à l'Eglise catholique" et les auteurs citent Napoléon pour qui, "tant qu'on n'apprendra pas, dès l'enfance, s'il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, l'Etat ne formera pas une Nation". C'est pourquoi "l'école française a été et reste souvent encore au coeur d'un projet politique de cohésion nationale", ce qui rend "difficile tout transfert de pouvoir à d'autres acteurs", qu'il s'agisse des collectivités locales, des administrations déconcentrées, des parents d'élèves ou des établissements scolaires.

Les hussards sont désenchantés

Autre élément du constat, le mammouth est capable de "torpiller", avec la complicité des ministres, ce qui lui déplaît, le socle par exemple, il est "rétif à toute évaluation de son fonctionnement", et il n'a pas forcément pour priorité "l'intérêt de l'élève, de tous les élèves". Les auteurs passent en revue les politiques ministérielles, dont aucune ne trouve grâce à leurs yeux, qu'il s'agisse de l'éducation prioritaire, de la promotion de l'enseignement professionnel, du collège unique, du corps unique d'enseignants de la 6ème à la terminale... Sur l'enseignement privé, ils s'interrogent, l'épiscopat n'est-il pas en train de reprendre la main, de façon qu'il reste marqué par "l'entre-soi social", "en dépit des exhortations de quelques secrétaires généraux de l'enseignement catholique" qui demandent que soit respectée la loi qui interdit de réclamer un certificat de baptême pour l'inscription des élèves. Et pourtant, ces établissements ne manquent pas d'atouts, notamment "sur le plan de la cohérence des équipes éducatives", constituées "autour d'un projet" que les enseignants connaissent.

Dans l'enseignement public, "les hussards noirs de la République d'autrefois sont aujourd'hui singulièrement désenchantés, voire déprimés". Parmi les causes de cette morosité, leur recrutement et leur formation, mais aussi l'impossibilité d'agir. Les novateurs, et ils sont nombreux, "n'arrivent pas à secouer le système qui tend à les tenir en lisère comme s'il craignait la contagion". Les relations au sein de l'institution sont difficiles : "tout se passe comme si l'on était en état de guerre, l' 'administration' est sans cesse soupçonnée de vouloir faire des mauvais coups."

Des circulaires que personne ne lit

Celle-ci est pourtant assez peu efficace si on en juge par sa capacité à produire des circulaires que personne ne lit, à commencer par la "circulaire de rentrée", vaste pensum uniquement destiné à adresser des clins d'oeil à tous les lobbys. Quant aux ministres, s'ils veulent durer, comme a réussi à le faire François Bayrou, mieux vaut qu'à l'instar de la reine d'Angleterre, ils "règnent mais ne gouvernent pas", qu'ils commencent par octroyer aux enseignants "un zeste de jours de congés supplémentaires" avant de réduire leurs obligations de service. Les auteurs prennent l'exemple des professeurs d'enseignement pratique (les enseignements en ateliers des lycées professionnels) qui n'ont "ni préparation, ni correction de copies", et qui sont passés en quelques dizaines d'années en 32 à 18h...

Après ce diagnostic, particulièrement sévère, les auteurs font 17 préconisations, dont l'interdiction des "circulaires ministérielles, sauf une, celle fixant les objectifs annuels de résultats des élèves", le profilage des postes vacants et la mise en place d'entretiens d'embauche pour les enseignants "dans tous les établissements qui le souhaitent", le "doublement de la rémunération des enseignants volontaires sur les postes les plus difficiles", le remplacement des épreuves académiques des concours de recrutement pas des épreuves professionnelles et un entretien d'embauche, la reprise du recrutement des professeurs de collège, le remplacement, à titre expérimental, du rectorat par "un établissement public régional d'enseignement réunissant les collectivités locales et l'Etat", une association des lycées avec les premiers cycles universitaires...

"Et si on tuait le mammouth, Les clés pour (vraiment) rénover l'Education nationale", Soazig Le Nevé et Bernard Toulemonde, L'Aube, 247 p., 21 €

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