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Invention relativement récente, la note chiffrée n’a pas résulté d’une nécessité interne aux apprentissages (P. Merle, Revue française de pédagogie)

Paru dans Scolaire le lundi 19 décembre 2016.

"Certes, à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, la création des examens et concours a fait l’objet d’une production de textes réglementaires éclairants. Ceux-ci constituent autant de jalons nécessaires à la compréhension des processus socio-historiques qui ont contribué à l’invention de la note. Mais les textes réglementaires ne sont que des éléments d’une chaîne de causalités et nécessités fonctionnelles." Ces lignes sont extraites de la conclusion d’un article de Pierre Merle (Éspé de Bretagne), article très détaillé et circonstancié consacré à l’invention de la note. S’ils instituent de nouvelles pratiques d’évaluation des élèves, poursuit l’auteur, ces textes ne font parfois que généraliser et/ou unifier des pratiques déjà en œuvre localement.

Pour Pierre Merle, ces textes réglementaires ne sont qu’un moment du processus d’invention de la note qui n’est compréhensible que s’il est appréhendé dans sa globalité. Si l’invention de la note est favorisée par la création des examens et concours, ceux-ci résultent d’un ensemble de transformations socio-économiques antérieures, tout particulièrement la révolution industrielle. Celle-ci impose une main-d’œuvre hautement qualifiée, un mode de transmission des connaissances progressivement pris en charge par l’institution scolaire et la constitution de hiérarchies socioprofessionnelles inédites. Ces dernières sont liées initialement à l’invention du corps des ingénieurs dont la légitimité se construit à partir de la fabrication de hiérarchies scolaires nouvelles.

Les Jésuites contre les Frères des Ecoles chrétiennes

Avec la Révolution française, la fin de certains privilèges aristocratiques sur les emplois et la suppression de la vénalité des charges publiques ont aussi amplifié la place de l’institution éducative dans la construction des hiérarchies professionnelles et renforcé les pratiques éducatives sélectives, en l'occurrence celles présentes dans les collèges jésuites depuis leur création au milieu du XVIème siècle, au détriment de celles mises en œuvre par Jean-Baptiste de La Salle à la fin du XVIIème siècle avec la création de l’Institut des Frères des Ecoles chrétiennes.

Mais l’opposition historique entre les pratiques d’évaluation des élèves en vigueur dans les collèges jésuites et celles en œuvre dans les Ecoles chrétiennes demeure pleinement contemporaine. Elle continue, en effet, de faire se confronter d’une part les partisans des notes, favorables à une évaluation chiffrée et, plus ou moins directement, au classement et à une sélection précoce des élèves et, d’autre part, les partisans d’une évaluation élaborée à partir du niveau de maîtrise des connaissances et compétences que chaque élève doit acquérir à la fin de chaque cycle scolaire. La logique de l’évaluation par compétences relève d’une forme de validation individuelle des acquis, étrangère à la notion de classement individuel. Selon Pierre Merle, l’évaluation par compétences s’inspire, mutatis mutandis, des pratiques d’évaluation en œuvre dans les Ecoles chrétiennes du XVIIIème siècle.

Le maintien de logiques sélectives

Dans le Nouveau dictionnaire de pédagogie publié sous la direction de Ferdinand Buisson, en 1911, ne figure ni l’entrée évaluation ni l’entrée note ou notation. Autant ces notions paraissent centrales au début du XXIème siècle, autant elles étaient étrangères au début du XXème. Invention relativement récente du système éducatif, la note chiffrée n’a pas résulté d’une nécessité interne aux apprentissages mais a eu pour origine la préparation aux épreuves des examens et concours, initialement celles des écoles spéciales, plus tardivement à celles du baccalauréat et du certificat d’études primaires. Les modalités de diffusion de cette pratique d’évaluation dans les écoles primaires, les écoles primaires supérieures, les collèges et lycées, avant et après la période charnière des années 1880-1890, font l’objet d’une connaissance encore lacunaire. Celle-ci est éclatée, réduite à certains segments de la vie de l’institution scolaire, limitée temporellement, si bien que la dynamique des transformations multiples qui débouchera au cours du XXème siècle sur une forme de sacralisation de la note chiffrée nécessite d’être approfondie.

Pour l’auteur, avec la création d’un "socle commun de connaissances et de compétences", socle confirmé par la loi de 2013, la loi d’orientation de 2005 aurait dû, au niveau de la scolarité obligatoire, faire prévaloir une évaluation des élèves par compétences et supprimer la logique du classement, explicite ou non, qui résulte du recours aux notes. Or, selon lui, il y a une remarquable persistance des évaluations chiffrées, tenant au fait que les pratiques d’évaluation des élèves sont le fruit d’une concurrence toujours active entre les conceptions des Ecoles chrétiennes et celle du collège jésuite. Pour Pierre Merle, la prédominance relative de cette dernière contribue au maintien des logiques sélectives de l’école française et, dans les comparaisons internationales, à des niveaux d’efficacité et d’équité moyens, voire médiocres.

"L’école française et l’invention de la note Un éclairage historique sur les polémiques contemporaines", Revue française de pédagogie, ENS éditions, numéro 193 d’octobre –novembre-décembre 2015 publié en novembre 2016, ici ).

Arnold Bac

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