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L'éducation aux médias "passe par la connaissance de la gouvernance de l’Internet" (D. Frau-Meigs)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le jeudi 06 octobre 2016.

Pour Divina Frau-Meigs, "une éducation critique aux médias de l‘information passe par la connaissance de la gouvernance de l’Internet"; elle l'a dit mardi 4 octobre à Villeurbanne. La titulaire de la chaire UNESCO "Savoir devenir dans le développement numérique durable" intervenait à l’invitation de la MAIF et de la Ligue de l’enseignement qui s'interrogeaient sur la construction d' "une société numérique du partage". Pour elle, "il faut civiliser le numérique". Certes, on peut développer des compétences informationnelles, manipulatoires et celles qui relèvent de la stratégie, mais "le débat sur la compétence nous a envahis, aujourd’hui il faut se déplacer sur le terrain des valeurs !"

Gérard Gracia (MAIF) constate que 45% de la population mondiale utilise l’internet mais s'inquiète d'un "défaut général d'éducation" et demande : "Qui gouverne l’internet ?". Pierre-Yves Gosset de Framasoft stigmatise les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) pour leur domination technique, économique et culturelle et promeut des "services libres, loyaux et éthiques". Pour Dorie Bruyas, directrice de l'Ingénierie pédagogique chez Fréquence écoles, "le numérique peut être un espace d’émancipation" à condition de considérer que faire de l’éducation aux medias numériques, "c’est faire de la justice sociale". Enfin pour Corinne Benucci, déléguée académique au numérique, la formation à l’esprit critique et à la citoyenneté des élèves et des enseignants passe par les usages raisonnés, les enjeux sociétaux, l’identité numérique, les droits et devoirs. Or, Divina Frau-Meigs fait le constat "de la faiblesse de la culture générale sur l’internet".

Les trois couches de l'internet

Elle rappelle qu’à la suite des attentats de Paris, Mark Zuckerberg a créé en une nuit sur Facebook le filtre bleu-blanc-rouge qui sera repris massivement sur le réseau mondial, sans que d’autres pays victimes d’attentat comprennent pourquoi… le seul drapeau français.

Elle évoque les "trois couches de l’internet", physique (câbles, serveurs, terminaux), logique (protocoles, logiciels, formats, standards) et contenus (textes, images, musique, vidéos), et précise que "c’est l’ouverture de la couche logique qui permet de penser internet comme un bien commun". Les "nœuds de contrôle" de la structure profonde sont les serveurs racines (localisés sur les côtes ouest et est des Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Suède et au Japon) et l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), l’autorité de régulation de l’internet qui gère notamment les noms de domaines de premier niveau (.com, .org, .edu) et de second niveau (.fr).

Des continents bleus, noirs ou orange

Elle distingue un "continent bleu", les GAFAM, toujours en situation de duopole (Google & Yahoo, Facebook & Twitter, Apple, Microsoft & Amazon, Comcast & Cisco), et un "continent noir" de la surveillance (NSA, Anonymous, Snowden, mais aussi Al Quaïda, Daech). Elle y ajoute un "continent orange", celui d’un monde alternatif : Ubuntu, Firefox, Linux, GNU… S'agissant de l'économie du net, elle souligne que Google a mis en place ce qu'il appelle le "Double click" pour "améliorer l'efficacité de la publicité numérique" en combinant les fichiers. Elle ajoute qu'aujourd’hui, "le numérique est essentiellement médiatique" puisque YouTube diffusait en 2014, 72h de vidéos /minutes, ce qui représente l’équivalent de 30 ans sur les trois grands réseaux de télévision américaine… Les GAFAM ont investi les secteurs des médias et de l’éducation, au risque de coloniser les acteurs publics, voire de les marginaliser. Elle cite l'accord Microsoft - Education nationale.

Réinventer une forme démocratique

L'universitaire (professeure à la Sorbonne nouvelle), experte auprès de l'Unesco, s’interroge sur les "possibilités d’action". Comment "réinventer une forme démocratique d’échanges où les Etats ne soient pas dominants?" Cette gouvernance doit s’articuler autour de grands principes : l’ouverture des systèmes, l’interopérabilité, la sécurité, mais aussi la neutralité du réseau, la diversité culturelle (avec la pluralité des moteurs de recherche) et la protection de la vie privée avec le déréférencement (droit à l’oubli). Elle remarque que nous avons des alliés aux Etats-Unis, notamment les parents, et elle ajoute que les Etats peuvent reprendre du pouvoir sur les GAFAM à la faveur de la lutte contre le "continent noir".

Enfin, parce que "numérique et climatique sont liés" elle met en avant la nécessité d’une "frugalité des systèmes", sachant qu’un Data Center (ferme de serveurs) consomme en moyenne autant que 25 000 foyers américains, et que d’ici 2020, au rythme de leur croissance actuelle, leur émission globale de CO2 pourrait atteindre 359 Megatonnes, soit autant que ce que produisent 48 % des voitures aux Etats-Unis.

En réponse à une question de ToutEduc sur la place de l’UNESCO et l’utilité d’un texte international, elle rappelle que "le rapport Mac Bride" sur l’information en 1980 avait fait fuir les Etats-Unis, le Royaume-Uni et Israël. Aujourd’hui, du côté ONU, les agences mobilisées sont l’UNESCO (pour les contenus), l’IUT (pour les télécom) et le PNUD (pour le développement). Mais c’est l’ICANN qui reste le lieu central du pouvoir.

Claude Baudoin

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