Scolaire » Jurisprudence

Pourquoi le juge refuse de condamner l'accord Education nationale - Microsoft (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire le jeudi 22 septembre 2016.

En mai 2015, à l’issue de la concertation nationale sur le numérique éducatif, le président de la République a lancé un "plan numérique pour l’éducation" permettant de développer des méthodes d’apprentissages innovantes pour favoriser la réussite scolaire et développer l’autonomie, former des citoyens responsables et autonomes à l’ère du numérique et préparer les élèves aux emplois digitaux de demain. L’ambition affichée était que la France devienne "leader dans l’e-éducation".

C’est dans ce cadre que, le 30 novembre 2015, la ministre de l’éducation nationale a signé avec le président de Microsoft France, un "accord de partenariat" mettant en place une coopération sur une période de 18 mois pour faciliter la formation des acteurs du plan et mettre à disposition "des solutions pour une utilisation intelligente, facile et optimale des équipements mobiles".

Le ministère insistait sur les avantages qu’il tirait de l’accord et soulignait, en particulier, que, sans dépenser un sou, l’Education nationale se voyait offrir diverses solutions Microsoft pouvant être utilisées en classe, des formations de chefs d’établissement et d’enseignants et l’expérimentation d’un programme.

Un privilège accordé à la firme ?

Ces dispositions ont soulevé l’hostilité de divers acteurs du monde éducatif, parmi lesquels quatre associations ayant pour objet de développer ou de promouvoir les logiciels libres ou à code source ouvert, qui estimaient que l’accord portait atteinte au modèle auquel elles souscrivent. Les reproches adressés concernaient essentiellement l’octroi de ce qui était considéré comme un privilège accordé à la firme, au prix d’une méconnaissance de l’existant et, en particulier, du travail réalisé depuis plusieurs années par de nombreuses entreprises ou équipes d’enseignants qui avaient défriché le terrain. Les voix critiques mettaient aussi l’accent sur le fait que les logiciels proposés ne seraient pas libres de droits et elles condamnaient l’absence de procédure formalisée lors de la conclusion du contrat, en particulier le non recours aux procédures de marchés publics.

Après un recours gracieux adressé au ministère et resté vain, les associations ont assigné les deux partenaires du contrat devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris le 8 septembre, en demandant la suspension provisoire de l’exécution de celui-ci. Elles ont été déboutées par ordonnance du 15 septembre 2016.

L'impossibilité d'invoquer l'urgence

Le juge devait d’abord se prononcer sur diverses questions de recevabilité du recours et d’intérêt à agir qu’on négligera ici. Il devait aussi justifier sa compétence dans un litige concernant l’administration. Il constate donc que les deux parties s’accordent pour refuser la qualification de contrat public à l’accord litigieux, ce qui était d'ailleurs contradictoire avec la demande de lui appliquer les règles relatives aux marchés publics.

A partir de là, le juge pouvait examiner la demande en référé. Deux dispositions du code de procédure civile régissent la matière, les articles 808 et 809 du code de procédure civile.

Le premier autorise le Président du tribunal de grande instance à ordonner en cas d’urgence toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Le juge refuse de l’appliquer dans le cas présent. Il constate que les associations demanderesses ont attendu fin juillet 2016 pour déposer leur demande, alors que le contrat est entré en application dès novembre 2015 : elles ne pouvaient cependant invoquer ni leur méconnaissance de la date de début d’exécution du contrat, puisque la convention avait été mise en ligne sur Internet, ni le fait qu’elles avaient déposé un recours gracieux ; d’une part, celui-ci n’est pas nécessaire en matière civile et, de toute façon, elles ont laissé écouler six mois entre le dépôt du recours gracieux et la demande en référé. Attendre huit mois pour invoquer l’urgence contre l’application d’une convention conclue pour dix-huit mois condamnait a priori l’argument.

Quant à l’article 809 du code de procédure civile, il autorise le président du TGI à prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Quelle est la nature du contrat ?

Ici, l’urgence n’est plus nécessaire. C’est l’imminence du dommage ou d’un trouble manifestement illicite qui justifie les mesures à prendre. Le juge des référés, écrit ici le tribunal, peut certes suspendre l’exécution d’un contrat. Mais cela suppose que les conditions de sa conclusion le rendent sérieusement et manifestement invalide.

Or, constate le juge, dans le présent cas, les parties ne s’entendent pas sur la nature juridique du contrat. Les demandeurs veulent y voir un contrat de louage et de vente, les défendeurs un contrat de mécénat. Le juge ne peut suivre aucun de ces arguments : il constate simplement que l’accord s’intitule "contrat de partenariat" : écarter cette qualification irait au-delà des pouvoirs dévolus à la juridiction.

Ni urgence, ni illégalité manifeste

Les autres caractéristiques du contrat (sa limitation dans le temps, la stipulation prévoyant qu’il n’est pas exclusif, l’absence de prix, l’absence d’obligations clairement définies à la charge du ministère) ne permettent pas de conclure à son illicéité, "avec l’évidence requise en référé".

Ni urgence, ni illégalité manifeste : la demande est rejetée. Certes, il ne s’agit que d’une décision en référé et il faudra attendre le jugement au fond pour y voir plus clair. Mais on peut légitimement s’interroger sur le sens concret que ce jugement pourra avoir à l’égard d’un contrat qui en est déjà à la moitié de sa durée d’application.

André Legrand

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →