Scolaire » Actualité

Ecoles hors contrat : les collégiens d'Ile-de-France privés de la carte "Imagine R". La "Fondation pour l'école" intente un procès

Paru dans Scolaire le dimanche 24 juillet 2016.

L'association Créer son école (www.creer-son-ecole.com) va intenter un procès à l'encontre de plusieurs conseils départementaux d'Ile-de-France qui viennent de décider de priver les élèves des collèges hors contrat du bénéfice de la subvention pour la carte de transport Imagine R. Elle fait valoir que cela conduirait à un surcoût de 150 euros par enfant alors que ces collégiens ont choisi leur école pour des motifs pédagogiques et non de proximité et qu'ils ont donc davantage besoin des transports en commun que leurs homologues des établissements publics ou sous contrat. C'est l'occasion pour ToutEduc, conformément à son rôle de déchiffreur des débats en cours, d'interroger Anne Coffinier, présidente de l'association "Créer son école" et directrice générale de la "Fondation pour l'école", sur la philosophie d'une mouvance qui pourrait faire entendre sa voix lors du débat électoral de 2017.

ToutEduc : Les tribunaux reconnaissent-ils votre argumentation, fondée sur la revendication d'une d'égalité de traitement entre les élèves, indépendamment du caractère de leur établissement de provenance?

Anne Coffinier : Pas toujours hélas. L'association "Créer son école" a perdu en 2009 un recours devant le Conseil d'Etat et en 2013 devant la Cour européenne des droits de l'homme. Nous réclamions le droit pour tous les lycéens de se présenter au concours général (ici). C'est particulièrement important pour les élèves des établissements hors contrat car une distinction au concours général est un des seuls moyens d'apporter la preuve de leur niveau académique notamment pour intégrer une classe préparatoire, dans un contexte où notre pays ne propose pas de tests nationaux de niveau de référence. Le juge administratif a considéré en l'espèce que les élèves des lycées hors contrat n'étaient pas dans des situations comparables aux autres et qu' ils n'avaient donc pas à être admis à concourir. La vraie raison, c'est que l'Etat a peur de la concurrence académique des élèves issus du hors-contrat. Dans les disciplines scientifiques, nous avons comme les autres d'excellents élèves, mais dans les disciplines littéraires, notamment en langues anciennes et en littérature, nous aurions un nombre particulièrement important de candidats supérieurs à ceux des établissements publics ou sous contrat. Leur participation créerait une émulation intellectuelle qui serait bonne pour tout le monde...

D'autres discriminations scandaleuses existent, comme le fait que les élèves handicapés scolarisés dans les écoles hors contrat n'aient pas le droit d'avoir une assistante de vie scolaire (AVS) financée par l'Etat, alors que c'est souvent suite à un refus des écoles publiques ou sous contrat de les scolariser (pour des problèmes de locaux pas aux normes par exemple) que ces enfants sont scolarisés dans les établissements indépendants - sans la moindre aide financière publique ! Nous continuerons à nous battre contre les discriminations portant sur les élèves hors contrat, et peu à peu, je n'ai pas de doute que nous obtiendrons gain de cause.

ToutEduc : C'est d'ailleurs là ce qui fait votre raison d'être, comme vous l'avez expliqué lors d'une rencontre avec le SNALC (voir ToutEduc ici)

Anne Coffinier : Nous voulons mettre notre vision de l'Homme au service de tous, et pousser les écoles à se réveiller de leur torpeur et à affirmer chacune leur caractère propre, pédagogique et éducatif. C'est en particulier vrai pour les écoles sous contrat. A quoi leur servirait-il qu'elles soient des clones de l'Education nationale ? Développer le hors-contrat, c'est développer la liberté pédagogique, l'innovation, le goût de la responsabilité, mais aussi lutter contre tout ce qui tend vers l'uniformisation et le contrôle par l'Etat de la pédagogie. L'éducation n'est pas un domaine régalien. L'Etat est le garant de l'accès universel à l'instruction mais il ne saurait avoir un monopole sur la formation des esprits. Ce serait totalitaire.

ToutEduc : Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne votre structure ?

Anne Coffinier : La "Fondation pour l'Ecole" est, comme son nom l'indique, une fondation, c'est à dire que son but premier est financier: récolter des fonds auprès des particuliers surtout, mais aussi des associations et entreprises, pour soutenir la liberté scolaire, puisque les écoles hors contrat (aussi appelées indépendantes) ne reçoivent actuellement aucun financement public. Nous distribuons environ 4 M€/an de subventions à celles des écoles indépendantes qui sont conformes à notre charte (ici). Cet argent vient des dons de personnes privées qui trouvent important qu'il existe des alternatives pédagogiques en France.

Si notre fondation a été reconnue d'utilité publique en 2008, c'est parce que la liberté d'enseignement a valeur constitutionnelle et que l'Etat doit par conséquent le garantir. Or jusqu'à présent, ce dernier ne finance pas l'accès de ceux qui le veulent aux écoles indépendantes. La situation actuelle est donc très perfectible à nos yeux car seules les familles assez aisées peuvent choisir leur école et donc jouir réellement de la liberté scolaire, que l'Etat est supposée garantir. Nous demandons l'instauration d'un crédit d'impôt ou d'un système équivalent permettant de compenser le coût des frais de scolarité engagés pour scolariser les enfants dans les écoles hors contrat..  Une telle réforme en France créerait une saine émulation entre établissements et pousserait à la diversification de l'offre pédagogique. Elle aiderait grandement les écoles publiques à se réformer.

ToutEduc: Vous avez aussi des fondations abritées?

Anne Coffinier : Oui, depuis 2011, nous sommes habilités par le gouvernement à offrir la possibilité aux personnes ou institutions de créer une fondation abritée chez nous. Nous hébergeons aujourd'hui une dizaine de "fondations sous égide". La dernière en date est la "Fondation des Académiques musicales" et elle soutient le développement d'écoles indépendantes dotées de manécanterie, comme les petits chanteurs à la Croix de bois. Nous hébergeons aussi la "Fondation Espérances Banlieues" (voir ToutEduc ici), la "Fondation du Nord pour l'Enfance et la Jeunesse" (ici), la "Fondation Potentiel et Talents" qui soutient la scolarisation des enfants à haut-potentiel, la "Fondation Pro liberis", qui aide financièrement les enfants de milieux modestes scolarisés en établissement hors contrat, la "Fondation Lettres et sciences" qui a fondé l'Ecole professorale de Paris (voir ToutEduc ici) pour les enseignants du second degré...

Nous avons aussi l'Institut libre de formation des maîtres pour le premier degré, qui marche très bien depuis près de 10 ans. Nous venons de créer une formation pour les éducateurs non enseignants (ici), une formation spécifiquement faite pour les instituteurs du CP, une formation à la pédagogie Nuyts... Avec l'aide de Créer son école et de la FNEP (la fédération nationale de l'enseignement privé), la FPEEI (la fédération des parents des écoles indépendantes, ici) vient d'être créée pour assurer la représentation des parents d'élèves du hors-contrat.

ToutEduc : Vous tenez aussi, avec www.ecoles-libres.fr un annuaire des "écoles indépendantes c'est-à-dire hors contrat. Elles sont toutes membres de la fondation ?

Anne Coffinier: Une fondation n'a pas de membres. Ce n'est pas une association. Une fondation aide simplement des acteurs (ici les écoles) qui correspondent à ses valeurs, son éthique.

Dans le cadre de "Créer son école", nous avons mis en place un annuaire gratuit des écoles indépendantes où nous référençons toutes les écoles hors contrat existantes légalement, sans jugement sur leur pédagogie ou leur ethos, et sans aucune caution de notre part. Nous jouons un rôle d'observatoire qui n'existait pas jusque là, pas même au sein de l'Education nationale.

Nous avons aussi créé un label de qualité, et nous publierons d'ici Noël la liste des premières écoles auxquelles il aura été décerné. Ce label est inspiré des normes ISO 9000 et a été développé sous la direction de Denis Champart qui a été administrateur à l'AFNOR. Le label ne jugera pas la pédagogie mais il garantira que l'école est bien gérée et qu'elle met effectivement en oeuvre son projet pédagogique et son règlement.

La Fondation pour l'école ne soutient financièrement que les écoles qui correspondent à sa vision éducative. Nous subventionnons ainsi de nombreuses écoles Montessori à condition qu'elles soient à but non lucratif, des écoles à pédagogie explicite, ou encore des établissements à pédagogie conçue pour des enfants qui rencontrent des difficultés d'apprentissage spécifiques... Sur le plan confessionnel, nous aidons surtout des écoles catholiques même si nous soutenons aussi des écoles sans confession. Nous n'avons jamais subventionné d'écoles musulmanes, dont le modèle éducatif ne correspond pas à nos critères, en raison notamment de la manière dont la foi et la raison s'articulent dans leur vision éducative. En revanche, les professeurs ou créateurs d'école musulmans peuvent tout à fait accéder à nos autres services, notamment à nos formations pédagogiques.

ToutEduc : Vous avez accusé le gouvernement , notamment dans un article du Figaro (ici) de vouloir favoriser le développement des écoles musulmanes sous contrat. Pourtant, depuis que Najat Vallaud-Belkacem est rue de Grenelle, seules deux de ces écoles ont été mises sous-contrat...

Anne Coffinier : Le gouvernement a décidé de faciliter le passage sous contrat des écoles musulmanes, conformément à leur demande. Depuis l'arrivée de Najat Vallaud Belkacem au ministère, les écoles de Marseille et de Saint-Quentin-en-Yvelines ont été passées sous contrat, et celle de Toulouse est sur le point de l'être, ce qui doublera le nombre d'écoles musulmanes sous contrat.

Je note aussi que la rafale de contrôles, organisés en avril-mai-juin sur le hors-contrat, a marginalement porté sur les écoles hors contrat musulmanes alors qu'a contrario les écoles de confession catholique faisaient l'objet d'inspections inopinées et parfois très inquisitoriales par des brigages pouvant compter jusqu'à 10 personnes, ce qui laisse rêveur pour des écoles de petite taille qui n'avaient jamais posé de problème et qui ont un excellent niveau académique! Ces agissements ont été dénoncés au Défenseur des droits qui va instruire la plainte dans les prochains mois.

[ToutEduc a interrogé à ce sujet le ministère de l'Education nationale. L'entourage de la ministre dément cette information et fait état d'une petite vingtaine d'inspections ciblées, portant pour l'essentiel sur des écoles musulmanes et seules quelques unes sur des écoles catholiques. Il y a au total une quarantaine d'écoles musulmanes hors contrat, et quelque 200 écoles catholiques. Aucune école Steiner ou Montessori n'a fait l'objet d'inspections dans ce cadre, ndlr]

ToutEduc : Quels sont vos rapports avec SOS Education ?

Anne Coffinier : Aucun institutionnellement même si je connais et apprécie certains de leurs membres. A la création de "Créer son école", je suis allée à leur rencontre comme à celle des autres acteurs de la société civile actifs dans le domaine éducatif. Ils sont très professionnels, il me semble, mais je ne crois pas à leur projet de réformer l'Education nationale de l'intérieur. Au contraire, une stimulation extérieure à l'Education nationale me paraît plus pertinente

ToutEduc : Etes-vous de droite ?

Anne Coffinier : "Créer son école" et la "Fondation pour l'école" sont totalement indépendantes de toute affiliation partisane, et mes opinions politiques ne regardent que moi. J'explique notre projet et notre vision à tous les responsables politiques, de gauche comme de droite. Les temps changent et de plus en plus d'hommes de gauche par exemple, notamment chez les écologistes, ne sont pas du tout convaincus par l'approche jacobine de l'éducation. Je vais là où l'on m'invite (j'ai même fait récemment une intervention après un concert de rap à Gare de l'Est!), et mon discours ne change pas en fonction de mon interlocuteur. Le jacobinisme éducatif du Front national me semble erroné, par exemple, et je n'ai pas hésité à le leur dire quand je les ai rencontrés. Ils sont d'ailleurs très proches sur ce point de la gauche étatique pour laquelle l'enfant appartient à l'Etat, l'Education nationale devant préserver l'enfant des influences supposées rétrogrades des familles etc... Il est pourtant clair que l'éducation n'est pas un domaine régalien où l'Etat aurait légitimité à être un opérateur monopolistique. Je crois qu'il est temps de repenser intégralement notre système pour le refonder sur la liberté des moyens pédagogiques (création d'écoles, choix des méthodes) associée à l'évaluation des résultats des élèves (examens nationaux annuels) et au financement des écoles sur la base de ces évaluations.

ToutEduc : Qui êtes-vous ?

Anne Coffinier : Ma foi! je suis catholique, française, mariée et mère de 4 enfants de 3 à 17 ans. J'ai quitté mes fonctions aux Affaires étrangères (je suis ancienne élève de l'ENS-Ulm et de l'ENA), pour me consacrer à la réforme de notre système éducatif, qui me paraissait particulièrement urgente. J'ai été très influencée par mon père, de culture anarchiste, qui était très attaché aux libertés, à la civilisation française et à l'indépendance par rapport à l'Etat et à toute forme de pensée dominante. Ma foi me donne la volonté de me battre pour que tous les enfants (et pas seulement une poignée de privilégiés) puissent accéder à une éducation ambitieuse, à la hauteur de leur dignité humaine et de leurs capacités personnelles. Je crois que l'Education nationale sous-estime largement ce dont les élèves sont capables, et ce gâchis me révolte. Il est temps de renouveler profondément notre système éducatif et je crois qu'en alliant par exemple ce qui fait l'excellence du lycée classique français à ce qui fait la force de l'éducation britannique, plus tournée vers la formation du mental et du leadership, nous pourrions inventer un modèle enthousiasmant capable de nous apporter des hommes et des femmes autrement plus capables que nos élites actuelles de relever les défis de notre temps.

Propos recueillis par P. Bouchard, relus et complétés par A. Coffinier

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →