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Jean Ferrier raconte comment fonctionne l’administration centrale de l’Education nationale

Paru dans Scolaire le mercredi 22 juin 2016.

"À l’issue de deux années de collaboration avec le cabinet, le directeur des écoles a souhaité, pour des raisons personnelles, quitter son poste. J’ai alors indiqué à Olivier Schrameck [directeur du cabinet du ministre de l'Education nationale, Lionel Jospin] que, si c’était possible, j’aimerais bien mettre en œuvre, comme directeur, les mesures prises par le ministre pour asseoir la nouvelle politique pour l’école. Cette proposition a été acceptée. C’est ainsi que j’ai été nommé directeur d’administration centrale le 2 mai 1990, après deux ans de cabinet." Cette citation illustre l’engagement et le dévouement au service de l’Ecole et, en l’occurrence, de l’école primaire de celui qui fut, tour à tour, instituteur et directeur d’école primaire en milieu rural, agrégé de géographie, inspecteur d’académie, conseiller technique chargé du premier degré au cabinet du ministre, directeur des écoles au ministère, inspecteur général de l’éducation nationale, recteur d’académie : Jean Ferrier raconte son parcours professionnel atypique dans son ouvrage "De l’école des Adrets, en Isère, au 110 rue de Grenelle à Paris", édité chez L’Harmattan.

Cette relation d’une histoire personnelle, empreinte de sincérité et profondément humaine, renseigne sur une période qui vit, le 10 juillet 1989, la naissance de la première "Loi d’orientation sur l’éducation" et de son "Rapport annexé" ou encore l’éclatement de la Fédération de l’éducation nationale, la FEN, en raison de divergences internes devenues antagoniques, notamment entre les cultures professionnelles du premier degré et du second degré, évènements qui donnent des clés pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans le paysage éducatif français. Mais cette histoire éclaire aussi sur ce qu’est le fonctionnement de l’administration centrale du ministère de l’éducation nationale et sur la manière dont des décisions peuvent y être prises, même s’il serait sans aucun doute très réducteur, voire hasardeux et caricatural, de prétendre que ces éléments résument à eux seuls ce fonctionnement et les circuits de décision.

Disposerons-nous de suffisamment de pâte à papier ?

"Dès les premiers mois passés au ministère, écrit Jean Ferrier, pendant la préparation de la loi d’orientation [il est alors conseiller du ministre], j’avais discuté avec le directeur des écoles d’une évaluation nationale des élèves au début du cycle trois [CE2] et à l’entrée en classe de sixième […] Lionel Jospin avait annoncé cette mesure pour la rentrée 1989. Il ne m’était pas venu à l’idée de consulter le directeur des finances du ministère pas plus que celui de l’évaluation et de la prospective (DEP). Lorsque je les ai réunis avec le directeur des écoles, après l’annonce faite par le ministre, j’ai eu droit à deux questions. La première est venue du directeur des finances : "avez-vous prévu le financement ?". Chaque classe d’âge concernée comptait environ 800 000 élèves. Il fallait donc faire éditer 1,6 million de cahiers pour le français, autant pour les mathématiques. Il fallait également un fascicule pour les 80 000 enseignants qui allaient faire passer et corriger les épreuves. La deuxième question est venue du directeur de la DEP : "vous êtes-vous assuré que nous disposerons de suffisamment de pâte à papier ?". Ils m’ont mis très mal à l’aise et je me suis dit que si l’une ou l’autre de ces deux questions ne trouvait pas une solution, je n’avais plus qu’à présenter ma démission ; on n’amène pas un ministre à faire une telle annonce sans s’être assuré de la faisabilité de tous côtés." Des solutions furent finalement trouvées et l’intéressé n’eut pas à démissionner.

Autre exemple : "lorsqu’il a été envisagé, à la demande de l’Élysée, de développer un enseignement des langues vivantes à l’école élémentaire, [j’ai] rédigé rapidement une note dans laquelle je faisais part de mes réserves, car nous n’étions pas du tout prêts, à l’époque, pour lancer d’emblée, au niveau national, une réforme de cette ampleur. Elle avait valu en retour une appréciation manuscrite brève et nette du ministre, suivie d’un point d’exclamation : 'La commande vient de l’Élysée. On fait !' Il n’y avait plus à discuter."

Partir huit jours à la campagne

Jean Ferrier raconte aussi quel fut son point de départ sur la question des compétences que les élèves doivent maîtriser à l’issue de leur scolarité à l’école primaire. «Conformément à la loi, les savoirs et les compétences à acquérir au cours de chaque cycle ont été définis. Un premier texte a été rédigé par les inspecteurs, principalement du premier degré, qui m’entouraient. C’était tellement nouveau, même pour eux, qu’un sur deux pensait qu’il était impossible de faire ce travail. J’ai donc demandé à ceux qui le pensaient possible de partir huit jours à la campagne avec des instructions précises : 'toutes vos propositions devront commencer par : à la fin du cycle l’élève doit être capable de… Vous ferez des propositions pour chacun des trois cycles ; pour chacun des trois cycles vous distinguerez la maîtrise de la langue française en tant que compétence essentielle et complètement transversale. Vous définirez, d’une part, les compétences spécifiques aux autres disciplines et, d’autre part, les compétences transversales à acquérir au cours de chacun des cycles'. Ils sont revenus huit jours après avec une ébauche intéressante qui a été envoyée dans tous les départements. Elle devait faire l’objet d’une réflexion en conseil d’inspecteurs des écoles primaires dans chacun d’eux et leurs observations transmises au ministère, quelle qu’en soit la teneur. Leurs commentaires ont été d’une richesse et d’une lucidité remarquables. Ils ont été très largement pris en compte."

Enfin, il semble que c’est essentiellement par rapport à ses fonctions de directeur des écoles qu’il dit ceci : "En dehors de la nécessité d’aider et de former les maîtres aux nouvelles pratiques pédagogiques que supposait la création des cycles, les responsables syndicaux ajoutaient toujours : 'laissez du temps aux maîtres, monsieur Ferrier'. Ce qui a été fait mais cela est revenu comme un leitmotiv tout au long des quatre années que j’ai passées rue de Grenelle. Au bout d’un certain temps, j’ai indiqué que le délai nécessaire à l’assimilation était terminé et qu’il fallait réellement passer à la réalisation. On ne peut pas passer son temps à attendre : les maîtres ont un niveau de formation suffisant pour comprendre ce qu’on leur demande et le mettre en œuvre."

La perte de l'identité de l'école primaire

Que regrette Jean Ferrier ? La suppression de la direction des écoles par le ministre de l’éducation nationale Claude Allègre dans le cadre de la création de ce qui est devenu, depuis, la direction générale de l’enseignement scolaire. Or, pour Jean Ferrier, la direction des écoles était dépositaire de la culture de ce niveau d’enseignement et la disparition de cette direction a entraîné la perte d’une partie de l’identité de l’école primaire.

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