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Peut-on engager les élèves, ou les citoyens, à s'engager ? (Revue Diversité)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mardi 21 juin 2016.

Alors que va se mettre en place le "parcours citoyen" (voir ToutEduc ici) qui invite les élèves à s'engager dans la vie civique, la revue Diversité interroge les notions d'engagement et de participation, "dans l'école et dans la cité", ou plus exactement, elle retourne l'interrogation. Comme le demandent les deux auteures de l'un des articles : "Quand on accompagne des jeunes dans une réflexion, au sein d’un fonctionnement institutionnel, sommes-nous prêts à entendre la remise en cause de nos cadres, de nos codes et de nos habitudes ?". Véronique Bordes (Université Toulouse Jean-Jaurès) et Sophia Idayassine (militante associative) poursuivent : "Quand on lui permet de tâtonner, d’expérimenter, de questionner, la jeunesse s’engage", encore faut-il que "les adultes acceptent de regarder ce que fait la jeunesse" !

La notion d'engagement est toutefois difficile à cerner. "En quoi se distingue-t-il d’autres formes de mobilisation comme le militantisme, le volontariat ou encore le bénévolat ?", demande Régis Guyon, le rédacteur en chef de la revue. Il résulte d'une volonté individuelle, il est "volatil et informel", à la différence du militantisme "qui s’inscrit dans des mouvements collectifs structurés". La généalogie de l'engagement varie considérablement. Marie-Aleth Grard est "un peu tombée dans la marmite du militantisme quand elle était petite", ses parents étant "très militants".

De la Résistance à mai 68 et aux émeutes de 2005

Mais l'engagement dans la Résistance de Marc Ferro est davantage conjoncturel. "C’était très instinctif, spontané. Et je n’avais pas l’impression de m’engager (...) On voulait passer en zone libre, c’était les libertés de faire son travail, de voir la famille, c’était cela les vrais problèmes, et non la nature du régime de Vichy." Mais il dépasse rapidement son cas personnel pour constater que "la révolte des jeunes est souvent liée à l’humiliation des parents, ce qu'ont vécu les Allemands en 1923, "quand leur monnaie ne valait plus rien" et que "les adolescents jugeaient que leurs parents étaient des idiots de s’être laissés ainsi ruiner", ce qui les a poussés à s'engager derrière Hitler. Une autre historienne, Ludivine Bantigny (Université de Rouen) passe en revue plusieurs formes d'engagement politique de très jeunes gens et elle évoque le rapport à la mort de résistants qui vont être exécutés par les nazis. "Nous partons en chantant", écrit l'un, et un autre, "pour vous viennent les lendemains qui chantent". Mais elle montre aussi la diversité des formes de l'engagement, et ses divers degrés. "Les zazous sont des résistants à leur manière." Les protestations pendant la guerre d’Algérie "revêtent elles-mêmes un dégradé de formes qui, toutes, renvoient à une désobéissance déclarée". Elle met toutefois en garde contre l'idée d'un conflit de générations. Mai 68 représente plutôt "une crise de consentement".

Régis Cortéséro (Injep) et Éric Marlière (université de Lille) constatent également, à propos des jeunes des banlieues populaires urbaines, la diversité des formes de l'engagement. L’émeute "en constitue la manifestation la plus violente et, donc, la plus visible. Mais il existe d’autres formes d’engagement, moins visibles, mais aussi moins atypiques, parmi les adolescents et jeunes adultes de ces quartiers." Certaines "relèvent d’une délinquance expressive" et du désir d'engager "un rapport de conflit avec les institutions policières et judiciaires" et d'autres sont "beaucoup plus classiques, à commencer par le vote et l’engagement dans l’arène électorale". Malheureusement, on trouve dans ces quartiers peu "de mouvements sociaux parvenant à fédérer leurs habitants"...

Les PEDT, "un levier de renforcement de l’engagement des professionnels"

"Les pouvoirs publics ne cessent de faire appel à la citoyenneté des habitants des quartiers populaires, à leur participation, à leur engagement", fait remarquer Bénédicte Madelin (de la coordination nationale Pas sans Nous). Et "il existe dans ces quartiers un ensemble de ressources, d’initiatives et de dynamiques qui ouvrent la voie. Encore faudrait-il les entendre et les prendre en compte !" La loi a rendu obligatoire la création de conseils citoyens dans tous les quartiers de la politique de la ville avec une "conception descendante de l’engagement citoyen".

Et pourtant, l'inscription des dispositifs dans la loi peut être utile, estiment deux représentantes de l'ANDEV (les directeurs de l'éducation des Villes) : "Le PEDT se révèle comme un levier de renforcement de l’engagement des professionnels pour la réussite éducative des enfants (...) Certes les territoires avancent inégalement", mais le projet éducatif de territoire n'en constitue pas moins un outil "pour la professionnalisation et le renouvellement de l’engagement de ses personnels". De même dans les collèges, l'institutionnalisation de l'engagement est nécessaire, souligne Mathieu Asseman, professeur au collège Lucie-Aubrac de Tourcoing qui a anticipé sur le décret instaurant le Parcours citoyen avec la création de Junior associations et la volonté de "réconcilier Éducation nationale et éducation populaire". Alice Mazeaud (Université de La Rochelle) souligne quant à elle le rôle des Régions qui ont expérimenté les budgets participatifs lycéens. Attention, préviennent toutefois quatre universitaires québécoises, le fait de soutenir "l’autonomie des élèves en classe semble avoir un effet opposé sur l’engagement de certains d’entre eux".

Des mots dont on use à l'unisson et qui masquent les désaccords qui peuvent être dépassés

Mais l'article le plus émouvant est peut-être celui que signe Anne-Laure Arino, principale d'un collège de l'Essonne dans lequel elle rapporte son dialogue avec un élève qui exprimait son hostilité à suivre la minute de silence après l'attentat contre Charlie Hebdo : "C’est horrible qu’ils soient morts mais je ne peux pas soutenir ce journal (...) Je suis pour la liberté, mais en fait, Madame, je ne la comprends pas cette minute de silence." La cheffe d'établissement se dit qu'a "manqué jusque-là une certaine fraternité pour nous comprendre", pour entendre "ce que chacun mettait sous les termes de liberté et d’égalité dont on usait pourtant à l’unisson". Elle ajoute : "C’est à la suite, à travers nos échanges, que j’ai enfin saisi sa posture : il en appelait à ce que ces valeurs républicaines soient portées de façon 'internationale', et non pas seulement ethnocentrée, sur le seul territoire français – et pour un seul journal dont il ne pouvait pas soutenir la position (...) Une fois nos communs trouvés, dans notre diversité, je lui ai proposé que, si les valeurs qu’il avait envie de porter durant cette minute de silence étaient la liberté et l’égalité pour les femmes turques et pour des hommes et femmes musulmans tués par les djihadistes dans le monde, il le pouvait : et c’était bien là la synthèse de nos deux points de vue ce matin-là (...) J’ai trouvé que cette synthèse avait révélé une approche bien plus riche que celle que chacun avait apportée initialement (...) Cette année, Sabri est en seconde générale. Il est élu au conseil d’administration de son lycée. Nous lui avons proposé de faire partie de la formation des délégués de classe du collège : il a ainsi participé en novembre dernier à la formation les élèves de 6e et 5e. "

Diversité, n° 184, 2ème trimestre 2016

P. Bouchard

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