Avec le numérique, les métiers de l’éducation sont-ils "augmentés" ou "alourdis" ? (Colloque SE-Unsa).
Paru dans Scolaire le mercredi 25 mai 2016.
"Le numérique ne doit pas vous mettre en danger mais n’exclut pas la prise de risques", a répondu Patrick Roumagnac, secrétaire général du Syndicat de l’inspection de l’éducation nationale (Sien-Unsa) à un enseignant qui s’inquiétait des changements induits par le numérique dans la classe lors du colloque "Numérique, le métier augmenté" organisé par le SE-Unsa le 25 mai à Paris.
En ouverture de cette journée, Claire Krepper, secrétaire nationale du SE-Unsa a souligné toutes les questions posées par l’introduction du numérique à l’école : "Quel impact a le numérique sur la formation et le développement professionnel, les relations avec les parents, la hiérarchie, la préparation de la classe, la qualité de vie au travail ? En quoi le numérique peut faciliter et enrichir l’exercice des métiers de l’éducation ? Est-ce un plus ? Nos métiers sont-ils ‘augmentés’ ou bien alourdis... ?".
Pour étayer la réflexion, Nathalie Meyer, conseillère nationale du SE-Unsa, a présenté les résultats d’une enquête en ligne réalisée du 15 février au 5 avril 2016 auprès des enseignants du primaire, du secondaire, des CPE et des COP intitulée "Le numérique, mon métier et moi". "Le panel des sondés dépasse largement le réseau syndical du SE-Unsa, a-t-elle précisé., puisque 54% des 7445 répondants ne sont pas syndiqués au SE-Unsa".
Des usages différenciés
"Même si c’est encore plus marqué pour les plus jeunes, Internet est clairement entré dans la vie de chacun"; 98% de ceux qui ont moins de 5 ans carrière et 88% de ceux qui ont 25 ans de carrière et plus aiment l’utiliser dans leur vie quotidienne. Pour autant, l’utilisation du numérique en classe est différente selon l’âge et les niveaux d’enseignement. Globalement, les enseignants du second degré utilisent davantage le numérique avec leurs élèves. Un constat qui, selon Nathalie Meyer, s’explique surtout par "des difficultés techniques et un manque de moyens en primaire".
Si 89% des moins de 5 ans de carrière considèrent que le numérique leur fait gagner du temps, 30% des 25 ans de carrière et plus pensent le contraire. Le numérique facilite la communication avec les élèves et les familles pour 33% des professeurs des écoles et entre 53 et 60% des professionnels du second degré. "Ces derniers ayant moins de contact en présentiel", remarque Nathalie Meyer. En ce qui concerne la communication facilitée avec la hiérarchie grâce au numérique, plus les personnels ont d’ancienneté moins ce jugement est positif.
Les formations à distance proposées par l’institution ne semblent pas séduire les personnels (30% répondent non à cette question), même si un autre tiers fait librement le choix de formations en ligne. Près de 9 enseignants ou CPE sur 10 estiment que l’institution les accompagne mal aux transformations liées au numérique et pour 8 sur 10, le numérique favorise l’intrusion de la vie professionnelle dans la vie personnelle.
Des nouvelles formes de travail et de formation
Entre volonté et scepticisme, des participants à cette journée se sont déclarés "inquiets" après l’intervention de Vincent Mandinaud, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Décrivant la relation entre la transformation numérique et les conditions de travail dans l’ensemble de la société, il a notamment affirmé que "la transition numérique induit une dislocation spatio-temporelle des cadres organisationnels. Les frontières de la relation d’emploi et du travail tendent à se brouiller". Citant le télétravail, les pratiques nomades, le travail en réseau et prenant des exemples dans le secteur des assurances et de la banque, il a souligné les avantages et les inconvénients de ces nouvelles formes de travail liées au numérique. A la demande de la salle, il expliqué un certain nombre d’expressions manifestement mal connues comme le "big data", "l’open data", la "GRC" ou le "crowdworking"… Autant de mécanismes que les enseignants seront peut-être amenés à décrypter pour leurs élèves.
Revenant sur le sondage réalisé par le SE-Unsa, Patrick Roumagnac a noté la contradiction entre le refus de la formation à distance proposée par l’institution et les mêmes formations choisies par les personnels. "Ce n’est pas l’outil qui fait la formation", a-t-il insisté. "C’est l’usage qu’on en fait". Pour lui, "grâce au numérique, les enseignants pourront participer, co-construire leur formation, l’individualiser. Il faut passer des relations infantilisantes à des relations professionnelles".
Colette Pâris