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Certains enseignants sont-ils plus égaux que les autres ? (dossier de l'IFE-ENS)

Paru dans Scolaire le lundi 16 novembre 2015.

"L’engagement de chacun des acteurs éducatifs au niveau de l’établissement peut avoir des répercussions sur la réussite des élèves." En France se développe une hiérarchie intermédiaire au sein des établissements. C'est partant de ce double constat que l'IFE (institut français de l'éducation) consacre un "dossier de veille" à une notion souvent développée par la recherche anglo-saxonne, le "leadership des enseignants" qui "est en réalité une des formes de développement professionnel des enseignants". Dans de nombreux pays en effet, l'accent est mis sur une amélioration des résultats des élèves, ce qui suppose un "engagement" des professeurs et le développement de leurs compétences. On s'intéresse donc à "l'effet d’entraînement qu’un enseignant peut avoir sur ses collègues" et à la capacité des établissements à créer en leur sein des CAP, des "communautés d’apprentissage professionnelles" (ou "professional learning communities") : les compétences de chacun sont "mises en commun pour avoir une anticipation et une capacité d’adaptation plus efficace que s’ils sont tous seuls".

Dans l'idéal, "le regard réflexif de la communauté engendre une zone d’expressions qui permet le partage des expériences, l’échange de savoirs, de croyances et de valeurs; qui permet aux enseignants de collaborer entre eux, tout en s’appropriant les contenus des réformes". Cet espace suppose le "partage de normes et des valeurs", un "focus sur l’apprentissage des élèves", la "déprivatisation de la pratique" et la collaboration entre enseignants. Encore faut-il que "les directions partagent leur leadership avec les enseignants", que les réunions soient organisées "sur le temps de travail" et n'appaissent donc pas comme une  surcharge pour les enseignants...

Tous leaders ?

Dans les pays anglo-saxons, l’organisation hiérarchique "a été renforcée par un rôle accru des chefs d’établissement et des échelons intermédiaires qui ont été mis en place (...) Autrement dit, le leadership est trop complexe pour être laissé au seul chef d’établissement. Tous les enseignants, et plus largement les membres de l’équipe éducative, y compris les élèves, peuvent être des leaders."

Mais c'est un terme que les principaux intéressés "ont du mal à utiliser pour décrire leurs activités (...) de travail commun, de participation à un laboratoire d’idées, d’innovations, d’expérimentations". D'ailleurs, "l'’identité des enseignants est encore appréhendée de manière collective, dans une norme égalitaire dans laquelle personne ne se distingue lui-même en tant que leader" et c'est pour cela que "le leadership informel, où les rôles sont peu explicités, leur convient mieux que le leadership formel, qui reste malgré tout très lié à une position hiérarchique".

Une forme scolaire peu propice

Autre difficulté que relèvent les auteurs du dossier, Catherine Reverdy et Rémi Thiber, les enseignants se considèrent difficilement comme des “apprenants”. Pour certains, "cela remettrait en cause leur identité professionnelle et leurs compétences, soupçonnées d’être incomplètes". De plus, cette forme de mobilisation "ne s’inscrit pas dans la forme scolaire classique correspondant à une classe/un niveau", mais correspond plutôt à des fonctionnements par cycles, projets ou ateliers qui sont "chronophages". Elle suppose "un changement d’expertise de la part des corps d’inspection pour accompagner les enseignants".

Certes, "les établissements dans lesquels se pratique un leadership partagé contribuent à donner une image sociale de l’enseignant positive", le taux de satisfaction des enseignants y est élevé, ils "sont satisfaits de leur environnement professionnel". Il est d'ailleurs possible de créer de petites CAP dans les établissements, ce "qu’on pourrait appeler en France groupes de travail". 

Des effets pervers

Mais leur demander de rendre des comptes a des effets pervers. Aux États-Unis, "au lieu de partager la responsabilité de la réussite des élèves, les acteurs se découragent et rejettent sur d’autres la responsabilité du manque de résultats". Sans compter que "certaines équipes de direction ont du mal à partager leur leadership, à accepter ou à mettre réellement en œuvre des prises de décision collectives".

Au Québec, la réforme dite du "Renouveau pédagogique" devait "passer d’un modèle bureaucratique à un modèle de mobilisation et de décentralisation". Résultat, "des logiques de confrontation et d’opposition (...) alors que les conditions favorables au leadership distribué étaient réunies ". Et les chercheurs relèvent un double paradoxe, "il y a à la fois une attente forte des enseignants pour du soutien de la direction et la volonté forte qu’elle ne s’ingère pas dans leur travail (...) les directions ont plus de responsabilités mais aussi moins de pouvoir".

En France

En France, une étude faite auprès des enseignants de 11 écoles primaires a montré que bien peu d'entre eux connaissaient le projet d’école, et les chercheurs n'ont pas trouvé "de traces de processus de leadership distribué et pas de culture réelle de leadership chez les directeurs d’école", du fait "d’un manque de formation et d’une absence de soutien de leur hiérarchie directe". En ce qui concerne le second degré, les auteurs du dossier soulignent une particularité française, la division entre le pédagogique confié aux enseignants et ce qui relève de l'éducatif et des CPE, qui occupent donc "une position formelle de leadership". Dans les faits, "le pédagogique prime sur l’éducatif", qui est encore vu comme "la basse besogne de faire régner l’ordre".

La refondation prévoit que "des enseignants experts" accompagnent les équipes et touchent une indemnité de mission particulière. "Leur légitimité s’est assez rapidement construite sur cette double mission : enseignement en classe ordinaire et missions au service du réseau (...) Mais ce besoin de légitimité se retourne parfois contre les enseignants impliqués, puisqu’ils sont inspectés à 90 % sur leur activité traditionnelle, dans leur classe." La rapport évoque aussi la mise en place d' "inspecteurs référents", une "fonction en plein essor" qui vise à une collaboration "entre les acteurs de l’encadrement de proximité". D'ailleurs, "le nouveau découpage des régions et la création des recteurs de région académique pourraient encourager la logique de régulation intermédiaire". Ne manque-t-il pas un maillon entre le niveau supra-local ou sous-régional et les établissements, "par exemple à l’échelle d’une grande agglomération ?

"Le leadership des enseignants au cœur de l’établissement", dossier n°104, ici

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