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Manuels de lecture de CP : les filles cantonnées à des rôles sociaux stéréotypés (Centre Hubertine Auclert)

Paru dans Scolaire le mercredi 07 octobre 2015.

Les femmes et les filles sont toujours assignées à des rôles sociaux stéréotypés dans les manuels scolaires, c'est ce qui ressort d'une étude menée par le Centre Hubertine Auclert (Centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes), diffusée le 6 octobre. Cette analyse à la fois quantitative et qualitative concerne 22 manuels de lecture de CP, produits entre 2008 et 2015 par dix maisons d’édition.

Sur le plan quantitatif, les manuels représentent un peu moins de 2 femmes pour 5 hommes, soit 39% de femmes. En termes visuels, les images de filles "en robes ou en jupes et la couleur rose (et ses dérivés) prédominent". Lorsque les personnages sont des animaux, ceux identifiés comme féminins sont davantage désignés en fonction de leur lien de parenté avec les autres personnages (Maman Poule, la fiancée du mammouth...).

Grammaire : toujours du masculin pour trouver le féminin

En matière grammaticale, la féminisation des intitulés de métiers désigne des activités traditionnellement dévolues aux femmes ("la couturière", "la pâtissière", "la maîtresse"...). Les leçons n'intègrent pas des formes de féminisation moins reconnues comme "l’auteure" ou "la professeure".

Quant à l’apprentissage des genres masculins et féminins des mots, il se fait toujours dans le même sens : du masculin pour trouver le féminin. "Pourtant, les travaux du grammairien Yannick Chevalier ont démontré l’intérêt pédagogique de partir du féminin pour être capable d’orthographier le mot au masculin. Cette démarche permet en outre de ne pas marginaliser le féminin des mots et de l’insérer au cœur de la composition orthographique et de l’écriture", indique l'étude. Sur les 22 manuels étudiés, un seul féminise les questions adressées aux élèves, au moyen de parenthèses ("es-tu déjà parti(e) en voyage?").

Les filles cantonnées à la sphère privée

Au-delà du déséquilibre quantitatif, les femmes et les filles sont assignées à des rôles sociaux stéréotypés et cantonnées à la sphère privée. Par exemple, dans un manuel, une leçon présente deux enfants, Julie et Bruno : Julie, habillée tout en rose "est belle avec ses tresses, avec sa nouvelle dînette, elle fera une omelette", alors que Bruno "fait la pirouette". Dans un autre manuel, Milo "part à la chasse au phoque avec son harpon", tandis que Rafara reste garder son petit frère au chaud dans l’igloo. "Ce type de mise en scène n'est pas problématique en soi ; c'est l’absence d’autres modèles qui limite les enfants dans leurs jeux et leur projection dans l'âge adulte", estime l'étude. Par ailleurs, les filles sont sous-représentées dans les activités sportives (33 %). Elles sont souvent reléguées au rang de "petites mamans", à qui l'on confie des activités de soin.

Du côté des activités ménagères, ce sont principalement des femmes qui sont représentées en train de les pratiquer : 40 pour 17 hommes, soit 70 %, pour ce qui est de la cuisine, du ménage et de l'organisation des repas. Elles incarnent aussi 85 % des personnages identifiés comme faisant les courses. Les mères (et grand-mères) sont également plus représentées comme étant en charge des enfants. Enfin, 42 % des hommes ont un métier identifié, contre seulement 22 % des femmes. Quand elles travaillent dans le secteur de la santé, elles sont "très majoritairement infirmières ou aides-soignantes, par opposition aux hommes qui sont tous docteurs ou chirurgiens". Les manuels montrent aussi de manière récurrente des femmes prenant soin de leur apparence : coiffure, maquillage et beauté sont des thèmes privilégiés dans les scènes domestiques.

"Les fées ont des grandes robes roses et les princesses ont pour seule occupation d’attendre le prince charmant"

Dans le champ des univers imaginaires, les manuels étudiés comptent 145 rois pour seulement 72 reines, mais 103 princesses pour 89 princes. On relève aussi 251 sorcières pour 6 sorciers (soit 98 % de sorcières), et seulement 4 magiciennes pour 41 magiciens (soit 9 % de magiciennes). "Ainsi, les hommes sont davantage catégorisés comme 'magiciens', ce qui est moins connoté négativement et plus prestigieux que 'sorciers'", commente l'étude.

Les princesses et les sorcières incarnent donc les deux principales trajectoires pour les femmes, suivies de près par les fées qui sont au nombre de 121 (contre 108 lutins ou elfes). "Ces différentes 'carrières' sont bien sûr liées à des représentations stéréotypées : les fées ont des grandes robes roses et les princesses ont pour seule occupation d’attendre le prince charmant. Les sorcières en revanche semblent offrir davantage de 'débouchés'", ironise l'étude.

Mais les hommes sont eux aussi cantonnés à des rôles stéréotypés : ils sont surreprésentés parmi les monstres et les "méchants" (87 % des monstres). "Le grand méchant loup reste une figure masculine récurrente, image omniprésente du prédateur, modèle guère émancipateur pour les garçons", remarque l'étude.

Nouveaux programmes : "une occasion importante pour améliorer les manuels" (Najat Vallaud-Belkacem)

À la suite de cette analyse approfondie menée par le centre Hubertine Auclert, Najat Vallaud-Belkacem précise que les nouveaux programmes de l’enseignement moral et civique, et ceux en cours de validation - qui conduisent à une révision des manuels du CP à la 3e dans toutes les disciplines - "sont une occasion importante pour améliorer les manuels et ainsi prévenir les discriminations et stéréotypes qui alimentent les inégalités entre les élèves et contribuent à limiter, de fait, leur liberté et leurs ambitions en termes d’études, de choix de filières et plus tard de métiers".

Elle rappelle la signature d'une convention avec le Centre Hubertine Auclert "pour qu’il accompagne le ministère dans l'expertise des manuels et dans la formation des personnels, et qu'il mette à disposition des personnels des ressources pour mieux appréhender la question de l'égalité filles-garçons". Se déclarant très attachée à la liberté éditoriale des éditeurs des manuels scolaires, la ministre "a souhaité engager un dialogue avec eux afin qu'ils tiennent compte des recommandations produites sur cette question, en particulier celles du Centre Hubertine Auclert, pour sensibiliser les auteurs des futurs manuels à cet enjeu".

L'étude du Centre Hubertine Auclert est consultable ici

Diane Galbaud

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