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François Dubet et Marie Duru-Bellat : "la situation appelle des remises en question fondamentales"

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mercredi 16 septembre 2015.

"L'école française semble avoir de très grandes difficultés à se réformer", constatent François Dubet et Marie Duru-Bellat dans un ouvrage publié à cette rentrée, intitulé "10 propositions pour changer d'école". Décortiquant ses défaillances, ils préconisent "des remises en question fondamentales". La franchise du propos peut séduire, tout comme la volonté de partager une réflexion argumentée. Mais au final, l'analyse laisse une impression de déjà-vu, comme si le débat lui-même s'enfermait dans un éternel recommencement, face à l'immobilisme dénoncé des acteurs.

Les deux sociologues émettent toute une série de propositions, avec comme ligne conductrice le souci d'enrayer le mécanisme inégalitaire du système éducatif français. Du côté des programmes, ils défendent vigoureusement le socle commun, "formation de base solide permettant à chacun de valoriser toutes ses qualités", qui pourrait s'articuler avec des "modules diffenciés". Mais pour cela, il est nécessaire de "faire passer au second plan la sélection d'une élite". Or selon François Dubet et Marie Duru-Bellat, "il s'avère difficile de casser la course infernale entre l'élémentaire qui prépare au collège, le collège qui prépare au lycée et ce dernier au supérieur". Qui sont à l'origine des résistances ? Les deux chercheurs pointent les "parents des futures élites" et les "représentants des disciplines".

Compétition méritocratique : un "gaspillage"

Dans un registre un peu moins usité, ils dénoncent l'hégémonie du diplôme et la compétition méritocratique. "Faut-il se rabattre sur le très consensuel 'plus de la même chose', soit une élévation globale du niveau d'éducation, que certains économistes soutiennent parce qu'elle conforterait la croissance économique tout en améliorant la situation des jeunes ?", interrogent-ils. François Dubet et Marie Duru-Bellat déplorent notamment "un gaspillage, quand on observe, par exemple, que moins de la moitié des jeunes dotés d'un master sont cadres trois ans après avoir quitté l'université".

Selon eux, cette "inflation des diplômes" creuse les inégalités sociales, notamment parce qu'elle favorise les mieux informés. D'un côté, les diplômes les plus élevés donnent à ceux qui les ont obtenus "des avantages pour la vie". De l'autre, une masse de jeunes sont écartés, "du seul fait qu'ils n'ont pas satisfait aux critères du mérite scolaire". Une voix dissonante dans le concert ambiant, alors que le rapport de la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur, tout juste remis au président de la République, recommande d'atteindre 60% de diplômés de l’enseignement supérieur dans une classe d’âge d'ici à 2025 (dont 50 % au niveau licence et 25 % au niveau master).

Une redéfinition de la carte scolaire

Autre source d'inégalités : la ségrégation des établissements, du fait notamment du contournement de la carte scolaire. Pour François Dubet et Marie Duru-Bellat, le défi est de convaincre les parents de milieu aisé de renoncer à la "ségrégation choisie", parce que "le gain que les plus défavorisés retireraient de plus de mixité sociale serait bien plus important que ce qu'ils y perdraient, avec, à la clef, une avancée globale en termes de capacités de vivre ensemble". En guise de remède, les deux sociologues plaident pour une refonte de la carte scolaire, mais sans trop s'attarder sur la ghettoisation urbaine contre laquelle "la carte scolaire ne peut rien"... Et pour rendre les établissements attractifs, ils préconisent des options spécifiques – des "modules d'excellence" - et "une forte discrimination positive", sans utiliser le label "éducation prioritaire" qui s'avère selon eux stigmatisant.

Sur ce terrain, François Dubet et Marie Duru-Bellat ne manquent pas de critiquer le mode d'affection des enseignants dans les établissements des quartiers les plus pauvres : "il n'est pas juste, pour les élèves en tout cas, de les réserver aux débuts de carrière". Tout en reconnaissant que "cette question est tenue pour un casus belli par les syndicats majoritaires", ils recommandent "une affectation choisie ou relativement choisie par l'enseignant et l'établissement" dans le cadre d'une concertation entre eux. Ils préconisent aussi une professionnalisation de la formation des enseignants, ainsi qu'un nouveau statut pour élargir leur service à d'autres tâches que les heures de cours (aide aux élèves en petits groupes, travaux pluridisciplinaires, relations avec les parents...). Une mutation incontournable aux yeux des deux sociologues : "Cette définition du statut par les exigences du métier règne dans la plupart des pays dont nous envions l'efficacité et l'équité en matière d'école".

10 propositions pour changer d'école, François Dubet et Marie Duru-Bellat, Seuil, 2015.

Diane Galbaud

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