Eveline Charmeux dresse la liste de ses passions (livre)
Paru dans Scolaire le mercredi 12 août 2015.
Ceux qui n'aiment pas Eveline Charmeux la détesteront encore davantage, et ceux qui apprécient la pédagogue passionnée, et sans cesse indignée, comprendront mieux l'affection qu'ils lui portent. Elle publie un "drôle de livre", un "patchwork plus ou moins bien cousu", où cette femme de 83 ans donne l'essentiel du travail d'une vie, mais aussi le récit de cette vie même... Le lecteur peut s'agacer, s'il attend un exposé clair et synthétique des conclusions des travaux de l'une des pionnières des recherches-actions et de ses thèses sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture ou de l'orthographe et de la grammaire. Il peut à l'inverse penser que la révolte contre un père aimant mais autoritaire jusqu'à l'absurde, l'amour passionné d'un époux combiné à une soif inextinguible d'indépendance et de justice, un combat permanent contre "les fausses valeurs, dangereuses et immorales, que la bourgeoisie imposait", et la conviction "qu'il fallait commencer par apprendre à comprendre pour pouvoir déchiffrer, le contraire de ce qu'on fait croire aux petits", s'inscrivent dans une seule et même logique, un même souffle.
Voici quelques unes des formules à l'emporte-pièce qui émaillent ce texte :
"La sanction ne résout rien, elle crée une surenchère infiniment dangereuse et destructrice."
"Eduquer un enfant à l'obéissance de ceux qui 'savent' est un déni d'éducation."
Les visites de classe lui "furent l'occasion de constituer une collection d'exemples ridicules et dangereux de méthodes le lecture" (E. Charmeux est à peine plus indulgente envers les "méthodes globales" qu'envers les "méthodes syllabiques", elle combat l'idée même d'une méthode extérieure à la vie de la classe, ndlr).
"Il est nécessaire en pédagogie de se méfier des habitudes."
"L'action pédagogique (est) une action politique. Si le discours ambiant est qu'en classe, on ne fait pas de politique, le contraire paraît évident, on en fait, et, qui plus est, une très dangereuse, puisqu'elle n'est pas consciente."
"La rencontre avec la recherche pédagogique a fait de ma révolte personnelle, une action collective, positive, de construction de pratiques nouvelles, conçues à partir de travaux rigoureux."
Elle défend "une pédagogie de l'amour des enfants, une manière de faire la classe pour faire découvrir 'le plaisir d'apprendre'."
La recherche pédagogique suppose une "sorte de va et vient entre la Classe et la Recherche (...) sans que l'une soit subordonnée à l'autre."
"La pédagogie ne peut pas être le lieu d'application des théories scientifiques."
"Les enfants sont toujours au-dessus de ce qu'on croit."
Souvent considérée comme "une iconoclaste" et accusée d'avoir voulu "démolir l'école", Eveline Charmeux ne publie pas un livre-testament, mais une nouvelle invitation au débat. Que ceux qui ne sont pas d'accord avec elle lui disent pourquoi, sereinement et sans anathème ! Mais peut-on parler de pédagogie sans que les passions n'envahissent la raison ? C'est la question que l'auteur pose tout au long de son récit, et qui justifie qu'elle mêle le récit de sa vie privée et son parcours professionnel.
"Une vie d'école, rêves et révoltes d'une pédagogue", Az'art ateliers éditions, 318 p., 20 €
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