"L’éducation en Asie". Entre tradition et modernité. (Revue internationale de Sèvres)
Paru dans Scolaire le mardi 09 juin 2015.
"Même en Corée du Sud, malgré les scores élevés des élèves aux enquêtes internationales, des dispositifs visant à conforter la qualité et l’efficacité du système ont été récemment mis en œuvre…", constate Odile Luginbühl, IPR-IA honoraire, dans le dossier de la Revue internationale de Sèvres du mois d’avril consacré à l’éducation en Asie. Suite du colloque qui s’est tenu au CIEP, du 12 au 14 juin 2014, intitulé "L’éducation en Asie en 2014 : quels enjeux mondiaux ?", ce dossier correspond, selon ses auteurs, à "un besoin de connaître - et de connaître mieux - les réalités éducatives d’une région majeure et diverse, en se demandant s’il était possible de les lire en synthèse et si la façon dont l’Asie – ou divers pays qui la composent – répondra à ses propres défis en matière d’éducation est d’importance mondiale".
Pour Nathalie Mons, la présidente du CNESCO (le Conseil national de l'évaluation du système scolaire), "le miracle asiatique en éducation n’existe pas". D’abord, "il existe bien des Asies et non une Asie. (…) On observe des décalages très importants en ce qui concerne l’économie ; il existe une dynamique générale mais qui n’a pas la même intensité selon les régions". Ensuite, "en ce qui concerne l’éducation, cet imaginaire du miracle asiatique n’existe pas non plus. (…) Les résultats de PISA ont été examinés et on s’est interrogé sur les territoires censés représenter l’Asie : que représente le cas de Shanghai à l’échelle du pays ou une cité-Etat telle que Singapour, par exemple ? (…) Un constat qui n’exclut pas qu’on puisse se nourrir des réflexions des Asies".
Maître et élève
Même si le développement économique de la région Asie-Pacifique est considérable (21% du PIB mondial en 1990, 30% en 2014 et, selon les prévisions, 51% en 2050), les moyennes nationales du taux de scolarisation masquent des disparités, à la fois entre pays et à l’intérieur de chaque pays. Gwang-jo Kim, membre du bureau de l’Unesco à Bangkok, remarque, par exemple, que le taux de scolarisation des jeunes enfants "tombe à 9% au Bhoutan et au Tadjikistan et dépasse à peine 50% aux Philippines, au Kazakhstan et en Inde, alors qu’il est de 100% aux îles Cook, aux Maldives, en Corée du Sud et en Thaïlande".
Difficile de globaliser les résultats et tout aussi difficile de globaliser les méthodes d’enseignement. Lê Huu Khoa, un universitaire Lillois, rappelle : "On peut diviser l’Asie en grandes aires d’influence : celle de l’influence chinoise (Chine, Corée du Sud, Japon, Vietnam, etc.), où règnent le bouddhisme Mahayana, le confucianisme, le culte des ancêtres, le taoïsme ; celle de l’influence indienne (Inde, Cambodge, Laos, Thaïlande, etc.), où l’on trouve le bouddhisme Theravada, l’hindouisme ; sans oublier l’islam en Indonésie, en Malaisie et le christianisme aux Philippines". Et d’ajouter : "Dans le monde indianisé, l’enseignement des dieux nombreux et aux représentations très diverses se fonde souvent sur la révélation. En revanche, dans le monde sinisé, l’homme se trouve au centre - ou au cœur - de l’interaction entre la terre (…) et le ciel". Pour illustrer son propos, Lê Huu Khoa donne l’exemple du maître confucéen dans la culture populaire vietnamienne : "Entre le maître et le disciple, l’obéissance et la soumission favorisent un conditionnement scolaire propice à la gestion du savoir, qui doit être d’ordre éthique et rituel avant d’être d’ordre technique et opérationnel."
Le développement de la personne
Entre tradition et modernité, Odile Luginbühl s’interroge sur "les évolutions des organisations scolaires face aux mutations socioéconomiques" notamment en Chine, en Corée du Sud et au Laos. Elle observe "une constante, et souvent difficile, recherche d’ajustement des politiques éducatives aux transformations qui bousculent les systèmes traditionnels". Suite à l’enquête PISA 2012 qui classait la Corée du Sud parmi les meilleurs en mathématiques mais au dernier rang pour "le pourcentage d’élèves déclarant se sentir bien à l’école", les autorités coréennes prêtent dorénavant attention au "développement de la personne". Au Laos, la même démarche a été entreprise "notamment avec la possibilité de consacrer 20% du programme à des adaptations au contexte local, permettant ainsi de favoriser la participation active et les méthodes de découverte" et en Chine, c’est à Shanghai que l’expérimentation d’une "éducation nouvelle visant le développement intégral des élèves" a été entreprise. "Même si ces démarches innovantes sont encore limitées par l’enjeu des examens", reconnaît Odile Luginbühl, "elles n’en constituent pas moins une transformation considérable, qui implique une véritable subversion de l’autorité de l’enseignant qui, selon l’idée traditionnelle et orthodoxe détient la vérité absolue et a donc toujours raison".
L’éducation en Asie, Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°68, avril 2015, www.ciep.fr