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Les neuromythes, idées fausses sur les liens entre cerveau et enseignement (revue de l'ANAE)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le dimanche 31 mai 2015.

Le dossier "La Neuroéducation" de la revue de l'ANAE comporte notamment un article du professeur Steve Masson (université du Québec), coordonnateur de ce dossier, sur "les apports de la neuroéducation à l’enseignement" et sur les "neuromythes". Les découvertes récentes ont en effet donné naissance à un domaine de recherche appelé neuroeducation. Ce domaine étudie certaines problématiques éducatives à un niveau d’analyse qui était difficilement accessible auparavant: le niveau cérébral. Ce même domaine cherche non seulement à identifier les mécanismes liés aux apprentissages scolaires et à l’enseignement, mais aussi à comprendre comment la connaissance de ces mécanismes peut nous donner des indices pour faciliter l’apprentissage et mieux enseigner aux élèves.

L’article a pour objectif de mettre en évidence les apports des recherches pour l’éducation et, plus spécifiquement, pour l’enseignement. La plupart des intuitions ou hypothèses initiales sur les liens entre cerveau et enseignement sont en totalité ou en partie fausses et constituent des neuromythes. Ainsi en est-il de l’idée que certains élèves auraient un cerveau optimisé pour traiter plus efficacement les informations de nature visuelle alors que d’autres intégreraient plus aisément les informations auditives ou kinesthésiques. Ainsi en est-il également de l’idée qu’un enseignement adapté au fonctionnement particulier du cerveau de chaque élève devrait favoriser les apprentissages. Or, très peu d’études empiriques ont tenté de vérifier expérimentalement si le fait d’adapter l’enseignement au style d’apprentissage des élèves pouvait faciliter leurs apprentissages et celles qui l’ont fait avec une méthodologie appropriée sont arrivées à des résultats contredisant l’hypothèse selon laquelle un enseignement adapté au style d’apprentissage des élèves favorisait leurs apprentissages. Autre neuromythe: les élèves posséderaient un hémisphère cérébral dominant. Les élèves "cerveau gauche" seraient ainsi plus compétents dans les tâches logicomathématiques que dans celles de créativité, alors que ce serait l’inverse pour les élèves "cerveau droit". Se fondant sur les données cérébrales de 1011 sujets, les chercheurs concluent que leurs données ne supportent pas l’hypothèse de l’existence d’une dominance "cerveau gauche" vs "cerveau droit". Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas des élèves plus compétents au niveau logicomathématique que créatif, ni que l’hémisphère gauche accomplisse le même travail que hémisphère droit. En fait, de nombreuses études rapportent que les compétences langagières, par exemple, se situent principalement dans l’hémisphère gauche du cerveau chez la majorité des individus. Cela signifie plutôt qu’il n’existe pas deux type de cerveau, qui auraient chacun leur mode de fonctionnement et qui appelleraient à des approches pédagogiques différentes.

La preuve que les recherches en éducation progressent

L’auteur de l’article s’efforce de repérer quelques causes possibles à l’existence de neuromythes en éducation, sachant qu’il en souligne l’existence et l’importante prévalence à partir d’études qu’il mentionne auprès d’enseignants du Royaume Uni, des Pays Bas, de Turquie, de Grèce et de Chine. D’abord, rappelle-t-il, les sciences de l’éducation constituent un domaine relativement jeune comparativement à la médecine ou même à la psychologie et, comme toute autre nouvelle science, les connaissances scientifiques dans ce domaine ne peuvent que progressivement s’élaborer. Il est donc tout à fait prévisible, voire inévitable, que les recherches en éducation et les enseignants eux-mêmes aient initialement adopté des hypothèses intuitives, quoique erronées, comme celles associées aux styles d’apprentissage ou à la dominance hémisphérique. Ce n’est que récemment que les connaissances sur l’éducation et le cerveau sont devenues suffisamment claires pour permettre de distinguer assez nettement les approches pédagogiques efficaces et compatibles avec le fonctionnement cérébral, de celles qui le sont moins. Ainsi, la découverte de l’existence de neuromythes dans le domaine de l’éducation doit être perçue de façon positive comme étant la preuve que les recherches en éducation progressent et que les faiblesses des premiers modèles d’apprentissage et d’enseignement commencent à être dévoilées et comprises.

En plus de contribuer à l’identification et à la compréhension des neuromythes en éducation, la neuroéducation a développé au cours des dernières années différents champs d’exploration qui s’avèrent susceptibles d’intéresser le domaine de l’éducation générale. Tout comme la médecine et la psychologie l’on fait il y a quelques années, l’éducation entre aujourd’hui dans une nouvelle ère où les intuitions pédagogiques, quoique toujours nécessaires, ne peuvent plus avoir préséance sur les savoirs pédagogiques découlant de la recherche.

Bien qu’elle s’intéresse plus particulièrement au lien entre le cerveau et l’éducation, la neuro éducation est fortement influencée par l’ensemble du développement des sciences cognitives. En fait, la réalisation d’une recherche en neuroéducation s’appuie sur des concepts, des théories et des méthodes provenant non seulement des neurosciences et de l’éducation, mais également d’autres domaines comme la psychologie cognitive et la psychologie du développement. Cette influence des disciplines les unes sur les autres a pour effet d’atténuer considérablement les frontières disciplinaires qui deviennent de plus en plus diffuses avec l’avancement des connaissances. Par exemple, de nos jours, la distinction entre la psychologie cognitive et la neuroscience cognitive est de moins en moins soulignée. Pour preuve, la plupart des manuels récents de psychologie cognitive intègre des données issues de la neuroscience cognitive et, à l’inverse, les manuels en neuroscience cognitive intègrent la psychologie cognitive. Il en découle que la neuroéducation n’est ni un domaine en opposition aux autres domaines ni un domaine qui se suffit à lui-même ; c’est un domaine qui apporte un éclairage particulier sur différentes problématiques éducatives et qui se veut complémentaire aux autres approches de recherche en éducation. Ce n’est que par un travail rigoureux et multidisciplinaire que le vaste domaine de l’éducation pourra avancer vers une pédagogie fondée sur des données probantes.

Le cerveau impose des contraintes importantes sur certains apprentissages

Cela dit, pour l’auteur, il y a plusieurs raisons de s’intéresser spécifiquement à la relation entre le cerveau et l’éducation. D’abord, les recherches en neuroéducation mènent souvent aux mêmes conclusions que les recherches menées selon d’autres approches, qu’elles soient constructivistes, cognitivistes ou autres. Comme les méthodes et les sources de données en neuroéducation sont sensiblement différentes de celles d’autres approches (puisqu’elles impliquent un niveau d’analyse différent : le niveau cérébral), le fait que la neuroéducation arrive aux mêmes conclusions que d’autres approches renforce considérablement leur valeur scientifique et constitue une certaine forme de triangulation des connaissances scientifiques. Ensuite, pour qu’une pédagogie se construise sur des bases solides, il faut non seulement identifier les approches pédagogiques les plus efficaces, mais également comprendre pourquoi certaines approches pédagogiques sont plus efficaces que d’autres. Évidemment, cette compréhension peut se faire à différents niveaux d’analyse, mais elle peut aussi se faire au niveau cérébral, d’où l’apport spécifique de la neuro éducation. Finalement, et c’est sans doute la plus importante raison de s’intéresser spécifiquement à la relation entre cerveau et éducation, les recherches des dernières années laissent entendre que le cerveau, de par ses mécanismes de fonctionnement et sa structure, impose des contraintes importantes sur la façon dont certains apprentissages peuvent se réaliser. Mieux connaître ces contraintes pourrait nous aider à comprendre pourquoi certains apprentissages sont particulièrement difficiles et à envisager des pistes pédagogiques pour surmonter ces difficultés.

"Les apports de la neuroéducation à l’enseignement : des neuromythes aux découvertes actuelles", dans lenuméro 134 de mars 2015 de la revue "Approche neuropsychologique des apprentissages chez l’enfant-A.N.A.E.-" (ici)

Arnold Bac

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