Rencontres de l'ORME : manuels numériques et collectivités, l'incompréhension et un marché très réduit...
Paru dans Scolaire le samedi 23 mai 2015.
Les rencontres de l'ORME, qui se sont achevées jeudi 21 mai à Marseille, ont été l'occasion d'une rencontre houleuse entre des éditeurs de manuels numériques, Hatier, Hachette, BrainPop, le livre scolaire.fr et les représentants de deux Départements, les Bouches-du-Rhône et les Alpes-maritimes. Les débats, publics, prolongeaient à l'évidence des débats privés antérieurs. Deux points faisaient pourtant consensus, le numérique ne remplace pas le papier, et l'allègement du poids des cartables ne suffit pas justifier une politique d'équipement.
Pour les collectivités se posent des questions techniques et de coût, mais aussi des problèmes pédagogiques. Elles voient mal pourquoi ces manuels, qui ne nécessitent ni impression, ni stockage, ni transports, sont à peine moins cher que leurs équivalents papier, entre 4 et 6 € par an et par élève, alors que les Bouches-du-Rhône disposent de 3 € par an et par élève, et encore, parce que l'ancienne majorité avait bien voulu voter un budget dans un domaine qui n'est pas de sa compétence, l'équipement des collégiens étant du ressort de l'Etat. Mais surtout, les représentants des deux départements s'interrogent, les éditeurs ont-ils vraiment envie de vendre leurs manuels ? Il est impossible pour un établissement de les télécharger sans l'aide d'un technicien. Chaque éditeur, même au sein d'un même groupe, a son format, son "lecteur". Il faut donc en installer une trentaine avant de pouvoir télécharger les manuels eux-mêmes, autant d'opérations complexes et longues.
Autre difficulté, l'élève pour avoir accès au manuel, doit utiliser autant de codes qu'il y a d'éditeurs. Enfin ces manuels, enrichis de multiples ressources, sont souvent lourds, de l'ordre du giga, trop pour qu'on puisse installer tous ceux dont un élève a besoin pour l'année sur une tablette. Pour limiter leur poids, on peut certes se contenter d'une reproduction, type PDF, du manuel papier, et aller chercher les ressources sur internet, ce qui pose le double problème des aléas de la connexion, difficiles à gérer en cours, et des codes d'accès. D'ailleurs, a-t-on vraiment besoin d'autant de ressources ?
Un format "eduPub"
Mais pour les éditeurs, il faut qu'ils aient une réelle plus-value pédagogique. En ce qui concerne les lecteurs, ils reconnaissent la difficulté, mais ne peuvent adopter, comme le suggèrent les collectivités, le format ePub, universel et parfait pour des livres sur liseuses. Il n'offre pas toutes les fonctionnalités nécessaires. Un format "eduPub" est en cours de discussion au sein d'un consortium international. Quant aux codes d'accès, des simplifications sont possibles via les ENT, mais pas question de changer de modèle économique : le droit d'auteur suppose une identification de l'acheteur.
De même pour le prix du manuel. Le coût marginal d'un exemplaire est certes infiniment plus faible que pour un livre papier, avec ses frais d'impression, mais l'investissement de base, le travail de conception, est le même, voire plus lourd. "La vraie question, c'est le financement de la création", et personne n'envisage qu'il puisse être indépendant du nombre de licences achetées. Mais en dernière analyse, le vrai problème est ailleurs. "Il n'y a pas de marché", s'exclame la représentante de Hatier. Les éditeurs investissent énormément dans le numérique, mais "les usages sont microscopiques". Faute d'équipements ? Lourdeur des usages ? Faible appétence des enseignants ? La table ronde n'a pas permis de trancher...
A noter que, selon le SNE (syndicat national de l'édition), "la part du numérique se stabilise à 4,1% du chiffre d’affaires net des éditeurs", mais que "l’édition numérique grand public (hors Scolaire, Sciences, Technique, Médecine et Droit) connaît une augmentation significative de 1% à 2,3% du chiffre d’affaires des éditeurs", ce qui semble signifier a contrario, une baisse du chiffre d'affaires de l'édition spécialisée, dont le scolaire (le SNE ici)