Comment l'innovation fait-elle, ou ne fait-elle pas "tache d'huile" dans une école ? (thèse)
Paru dans Scolaire le mardi 05 mai 2015.
"Pour influencer (ses collègues), il ne faut pas vouloir le faire." Cette formule est tirée de la thèse soutenue par Lucile Boncompain sur "la propagation du projet de classe au sein de l'école primaire". Elle se fonde notamment sur l'expérience d'un enseignant directeur d'école et "féru de projets" qui parvient à influencer deux de ses collègues qui "commencent à travailler avec lui". Il souhaite propager son projet au reste de l'école. Les quatre autres enseignants s'inscrivent dans sa démarche, puis font "un retour en arrière", le directeur "n'arrive plus à travailler avec les quatre enseignants qui ont refusé le projet et capitule. Il quitte l’école et son poste de directeur." En revanche, dans une autre école, deux jeunes enseignants conçoivent ensemble un projet "autour de l’accès à la lecture" des élèves. Le projet a abouti "et son évaluation auprès des élèves et des familles a été telle qu’un an plus tard, le projet était adopté pour toute l’école".
Toutefois, prévient l'auteure, ce phénomène "reste très rare". Cela tient pour une part à la personnalité des enseignants "engagés" : "Ils pratiquent le projet par intime conviction pédagogique et par recherche de sens et d’intérêt professionnel (...) ils n’attendent pas que des collègues les suivent" et ils "n’attendent pas de reconnaissance". Or il est difficile "de faire se côtoyer des enseignants engagés et d’autres qui ne le sont pas" car ils ne partagent pas les mêmes valeurs". Et "l’efficacité professionnelle des enseignants vient davantage de valeurs partagées que d’une organisation formelle ou d’un climat de bonne entente (...) Les affinités sont certes un socle mais l ’influence entre les classes va se faire à partir de valeurs telles que l’ouverture aux autres et l’écoute."
Des enseignants qui préservent leur spécificité
Il y a de plus "comme un double comportement chez les enseignants : publiquement ils s’ouvrent, vont vers les autres, réclament des échanges, montrent qu’ils ont besoin de leurs collègues, pour ensuite faire leur classe , comme ils l’entendent." Ils affichent "une sorte de conformité publique", évitent les conflits, et préservent leur spécificité.
Autre variable, la personnalité du directeur. Il arrive qu'il ait un fort leadership, et les enseignants travaillent ensemble" pour lui "faire plaisir". Ils se conforment "dans le sens du groupe". Mais "cela conduit à la perte d’expressions individuelles qui ne survivent pas à cette fusion". Résultat, "les initiatives individuelles sont tues" et les enseignants minoritaires sont des "initiateurs déçus".
Les instructions officielles en cause
Lucile Boncompain rappelle "que l’esprit des instructions officielles à travers le projet d’école était à l’origine le développement d’initiatives pédagogiques originales, d’innovations", alors que, "par l’effet de phénomènes de groupe, les initiatives innovantes individuelles ne (trouvent) pas toutes leur place, seules les actions groupées (sont) assurées d’exister" (...) Décréter que les enseignants doivent travailler en équipe et rejeter ceux qui ne le feraient pas comme des déviants incompétents revient à laisser pour compte des innovations pédagogiques." Il faut donc que "le directeur d’école souhaite que les enseignants de son école initient" qu'il soit "un révélateur d’initiatives", qu'il soit "ouvert au leadership distribué".
"La propagation du projet de classe au sein de l'école primaire : une question d'influences sociales entre enseignants ?", Lucile Boncompain, Bordeaux. La thèse est signalé par l'IFE ici, elle est téléchargeable ici