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La généralisation d'AFFELNET officialise le marché scolaire (C. Ben Ayed, colloque de la FSU)

Paru dans Scolaire le vendredi 03 avril 2015.

Le colloque que la FSU organisait le 1er avril, sur les dynamiques territoriales excédait de beaucoup les questions éducatives. Il a toutefois été l'occasion pour Choukri Ben Ayed d'expliquer comment le logiciel AFFELNET entérine de facto, quels que soient les discours de l'Etat, la disparition de la sectorisation et le renoncement à une plus grande mixité sociale dans les collèges. Le sociologue constate d'abord que la mixité sociale dans les collèges et les lycées a longtemps été "un non-objet", personne n'en parlait ni ne souhaitait que des recherches soient menées sur le sujet, et maintenant, les mêmes "n'ont plus que ce mot à la bouche". L'auteur de "La Mixité sociale à l'école" (en librairie le 8 avril, voir ToutEduc ici) ressent d'ailleurs "une certaine gêne" face à une "insistance suspecte".

Il ajoute que notre école, de nature méritocratique, hiérarchise et cloisonne et que la mixité sociale est "un objet qui n'a pas été posé", qui "n'a pas bonne presse", mais qui produit un "zonage disqualifiant" et des "bricolages ethniques". La notion est apparue pour la première fois dans une circulaire de Claude Allègre qui invitait "les acteurs locaux" à "limiter les ségrégations". Il s'agissait d'une "incitation à la bonne volonté locale", l'Etat se donnait le beau rôle. Mais, de 1997 à 2013, l'Education nationale n'a inscrit ces mots dans aucun article du code de l'éducation, alors qu'ils sont présents, à plusieurs reprises, dans le code de l'urbanisme et la loi SRU. Le sociologue constate de plus que nous n'avons aucun outil de mesure de la mixité sociale dans les établissements scolaires.

Un transfert de problèmes

Historiquement, l'assouplissement de la carte scolaire commence avec Alain Savary, mais Nicolas Sarkozy a été le premier à adosser cette politique au souci de plus de mixité sociale. Jusque là, il s'agissait uniquement de permettre, comme avec Gilles de Robien, aux élèves ayant une mention bien au brevet de quitter leur quartier. La carte scolaire a été transférée aux conseils généraux en 2004. Pour Choukri Ben Ayed, il s'agit plutôt d' "un transfert de problèmes", les Départements ne gèrent ni les affectations, ni les dérogations, les services de l'Education nationale ne leur transmettent pas les données qui leur permettraient d'agir, refusent parfois de siéger dans les commissions mises en place, les parents et les maires s'insurgent s'ils touchent à la sectorisation, l'Etat se garde bien d'arbitrer les conflits... Les situations sont "ubuesques".

Que penser de la nouvelle définition des secteurs, qui regrouperaient plusieurs collèges ? "On pourrait penser que c'est une bonne idée", répond à ToutEduc Choukri Ben Ayed. Sur des zones géographiques plus larges, la base serait plus mixte. Mais il ajoute aussitôt qu'il n'existe aucune carte des secteurs de recrutement des collèges, aucun outil de pilotage. "Je pense qu'en fait l'Etat a abandonné la sectorisation. Nous assistons, à des soubresauts. La généralisation d'AFFELNET (affectation des élèves par le net) en témoigne, selon lui. Ce logiciel est fondé sur une théorie économique d'appariement de l'offre et de la demande. Est-ce le collège qui choisit ses élèves ou les élèves qui choisissent le collège ? Ce sont deux modèles, deux formes du marché scolaire que cette procédure informatisée tente de concilier, mais qui entérine la disparition de la sectorisation.

Une brèche dans le système AFFELNET

"J'essaie de tirer les alarmes, on est en train de passer à ce que font les pays anglo-saxons, ou plutôt ce qu'ils faisaient, car ça ne fonctionne pas, les Américains en reviennent d'ailleurs." A noter pourtant que la circulaire relative à la sectorisation prévoit la possibilité de renoncer à AFFELNET si, localement, les parties considèrent qu'il est préférable d'utiliser un autre procédé d'affectation des élèves. C'est peut-être une brèche dans le système.

Interrogé sur le rôle des écoles privées qui seraient un obstacle à la mixité sociale, le sociologue fait remarquer que la loi Debré contient deux articles importants. On ne peut en créer une sans "faire la preuve d'un besoin scolaire reconnu" et à la condition de "ne pas déséquilibrer" le service public. Il est donc "complexe d'ouvrir un établissement privé", mais une fois qu'il est créé, "plus personne ne s'en occupe" ni ne se soucie de savoir si ces deux conditions sont encore remplies. Il serait pourtant possible de vérifier, avec des techniques de "testing" l'absence de discriminations, et d'agir en cas d'infraction à la loi, de délit. L'enseignement privé lui-même affirme vouloir participer au service public, et à une plus grande mixité sociale, mais les politiques n'ont pas envie d'y toucher...

Un processus de fragmentation

Au-delà de la question scolaire, ce colloque a été l'occasion pour la FSU de s'interroger sur le sens des politiques de décentralisation et de déconcentration, sur les réalités de la démocratie locale, sur le choix qui a été fait, dès la Révolution, de calquer le découpage des communes sur celui des paroisses, sur la politique actuelle de métropolitisation, sur le rôle de l'Etat keynésien, mais aussi sur "les logiques ségrégatives" à l'oeuvre dans le champ des entreprises, sur le rôle des syndicats dans des conflits comme celui des bonnets rouges en Bretagne, sur l'importance des réseaux sociaux, sur le rôle de l'Etat et des forces sociales face à un "processus de fragmentation" et de mise en compétition des territoires...

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