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"Faire évoluer les pratiques pédagogiques suppose un travail discret, sur le long terme" (P. Devin, réélu à la tête du syndicat FSU de l'inspection)

Paru dans Scolaire le mercredi 01 avril 2015.

Paul Devin a été réélu secrétaire général du SNPI, le syndicat FSU qui regroupe essentiellement des inspecteurs du premier degré et de l'ensiegnement professionnel, les IEN, à l'issue du congrès de l'organisation syndicale les 25, 26 et 27 mars.

ToutEduc : Les inspecteurs jouent un rôle essentiel dans la gestion des enseignants du premier degré. La GRH est un sujet sensible. Interrogée sur les dysfonctionnements qui ont permis à un homme condamné pour recel d'images pédopornographiques d'exercer des fonctions de directeur d'école, Najat Vallaud-Belkacem déclare au Parisien-Aujourd'hui en France : "notre responsabilité est d'améliorer notre politique de ressources humaines, de passer d'une gestion de postes à une gestion de personnes, pour être davantage capables de détecter les raisons d'un turnover aussi important que le sien, ou des difficultés relationnelles (...)". Qu'en pensez-vous ?

Paul Devin : Il faut cesser d'imaginer que des modifications structurelles nous mettraient à l'abri de tels drames et je doute qu'un entretien aurait permis d'identifier les causes du turnover de cet individu. Mais sur le fond, rien de nouveau dans la déclaration de la ministre de l'Education nationale. L'institution voudrait développer les recrutements sur profil. L'académie de Bordeaux par exemple vient de décider que tous les professeurs des écoles enseignant en REP ou REP+ seraient choisis sur profil. Mais sur quels critères ? Au terme d'entretiens de 10 minutes ? On assiste à des tentatives similaires pour le recrutement des inspecteurs, et finalement, on a une forme de cooptation, sans aucune garantie que ceux qui sont ainsi recrutés soient réellement plus performants, et avec tous les défauts d'un traitement inégalitaire. Vu de l'extérieur, cela pourrait paraître séduisant, mais nous avons constaté des erreurs manifestes, liées à des éléments purement conjoncturels. La question de la gestion des ressources humaines est évidemment très complexe, mais notre organisation syndicale reste attachée aux règles du barème, même s'il peut y avoir de rares exceptions.

ToutEduc : Cette question de la gestion des ressources humaines a-t-elle été centrale lors de votre congrès ?

Paul Devin : Au-delà, c'est la détérioration de nos conditions de travail, la souffrance au travail qui est revenue fréquemment dans nos débats. Nos collègues éprouvent de grandes difficultés à exercer leurs missions, du fait du mode de management de l'Education nationale. C'est un immense paradoxe : nous entendons constamment des discours sur l'autonomie pédagogique, sur le respect du travail des personnels, et nous recevons de plus en plus d'injonctions qui s'inscrivent dans une politique de communication. Nous avons dû, par exemple, organiser précipitamment des moments formalisés de réflexion sur les valeurs de la République et sur la laïcité sans que soit pris en compte l'existant. Un certain nombre de nos collègues font déjà sur ces sujets un travail discret, réel, inscrit dans le long terme. Ils ont parfois dû réunir des conseils d'école très compliquées à gérer et n'ont servi qu'à mettre en évidence les divergences, avec les parents notamment. Autre exemple, un de nos collègues qui travaille depuis longtemps sur l'apprentissage de la lecture se voit intimer l'ordre de mettre en place une action d'initiative académique, sans prise en compte du travail déjà fait. Ce n'est pas inintéressant en soi, mais pour lui, c'est un retour en arrière. Même si nous refusons une posture victimaire, c'est le sens même du métier qui est en cause.

ToutEduc : C'est donc bien un problème de management, d'organisation... Comment le caractériser ?

Paul Devin : Il faut reconnaître qu'au ministère, que ce soit avec les trois ministres qui se sont succédé depuis 2012 ou avec l'administration, le dialogue est réel sur la quasi totalité des sujets, même si nous nous heurtons vite aux contraintes budgétaires. Mais se rend-on compte, vu de l'extérieur, à quel point le pouvoir est déconcentré ? Avec le "décret Chatel" de 2012, les rectorats sont devenus des lieux de décision essentiels, qui se sont très fortement affranchis de la tutelle. Nous sommes également inquiets du recours croissant à des enseignants contractuels. C'est une modalité souple de recrutement, c'est tentant d'un point de vue gestionnaire, mais c'est une catastrophe pédagogique, avec des personnels non formés, et qui n'inscrivent pas toujours l'enseignement dans leur projet professionnel.

ToutEduc : N'est-ce pas une nécessité, en attendant que soient recrutés et formés les 54 000 enseignants supplémentaires promis ?

Paul Devin : Dans le second degré, c'est devenu une composante du système. Dans le premier degré, nous connaissons la situation de la Seine-Saint-Denis, avec 450 contractuels. On verra ce que va donner le concours spécial, pour l'instant, c'est plutôt un succès, on verra combien de candidats seront effectivement présents... Mais nous voyons des départements ruraux qui commencent à recruter des contractuels. Pour certains, dans l'académie d'Amiens, c'était prévisible. Ca ne l'était pas dans l'académie d'Orléans-Tours où ça commence. Nous craignons que ça devienne un mode de gestion, et non pas un moyen d'assurer la transition.

ToutEduc : Si vous le voulez bien, passons en revue un certain nombre de questions d'actualité. Où en est votre réflexion sur les rythmes scolaires ?

Paul Devin : Nous n'en avons pas beaucoup parlé. Elle est en place partout. Nous ne sommes pas convaincus qu'elle apporte de réelles améliorations pour les apprentissages, et surtout, certaines organisations n'auraient jamais dû être acceptées, comme la concentration sur le vendredi après-midi. Dans certaines communes, ça se passe très bien, mais dans d'autres, il n'a pas été facile de recruter des personnels compétents, et les enseignants retrouvent leurs classes dans un grand désordre après les activités périscolaires.

ToutEduc : Ce qui pose évidemment la question de la cohérence des politiques départementales ...

Paul Devin : Oui, et nous demandons que le conseil des IEN ne soit pas la chambre d'enregistrement des décisions du DASEN, mais que le directeur s'appuie sur l'expertise du terrain pour construire les politiques départementales.

ToutEduc : Comment ont été reçus les programmes de maternelle ?

Paul Devin : Notre jugement est plutôt positif. C'était une erreur que de vouloir faire de la maternelle un entraînement aux apprentissages de l'école élémentaire. En ce qui concerne les programmes des autres cycles, nous n'en avons vu pour l'instant que des fragments, et ils sont encore amenés à évoluer. Nous l'espérons du moins.

ToutEduc : Le cycle III et la liaison école-collège sont-ils des sujets de préoccupation ?

Paul Devin : On ne peut que soutenir l'idée d'une cohérence renforcée entre 1er et second degré, mais la mise en oeuvre est compliquée. Quand, en milieu rural, un collège reçoit des élèves de 12 écoles, la simple tenue d'une réunion commune est difficile, et elle ne suffit pas. Comment organiser le travail concret, jour après jour ? Notre expérience, c'est que seuls des moments de formation continue communs permettent un rapprochement des cultures professionnelles, et l'élaboration de progressions des apprentissages. Mais la formation continue est réduite au point de disparaître pratiquement. Or c'est le vecteur de l'évolution des pratiques qui passe par un travail de long terme, parfois ingrat, moins spectaculaires que les injonctions venues du sommet, les préconisations distantes, qui ne marchent pas. Ce n'est pas, de notre part, l'éternelle revendication de plus de moyens, c'est une nécessité.

ToutEduc : Où en êtes-vous sur l'inclusion des élèves handicapés ?

Paul Devin : Là encore, nous défendons complètement le principe d'une école inclusive. Mais parfois, nous sommes confrontés à des situations paradoxales. La scolarisation en milieu ordinaire est, pour certains enfants, incapable d'apporter les moyens de faire de réels progrès, et l'inclusion produit alors de l'exclusion. C'est un gros chantier que nous ouvrons.

ToutEduc : Et sur l'évaluation ?

Paul Devin : Le SNPI a décidé d'apporter son soutien à l'appel contre "la constante macabre". Nous ne sommes pas forcément d'accord avec tout, mais il nous faut réfléchir à ces questions-là, comme le font déjà le SNESUP et le SNUIPP, et comme l'envisage le SNES qui entretient avec André Antibi des relations de proximité.

ToutEduc : Le Front national l'a emporté l'an dernier dans un certain nombre de communes. Vos adhérents ont-ils constaté des changements importants ? Pour l'instant, il semble que ces élus évitent les conflits...

Paul Devin : Effectivement, nous constatons plutôt un abandon de l'école. Mais nous devons outiller nos collègues qui sont dans ces communes et leur donner les moyens de réagir de manière très ajustée. Je pense à un maire qui a fait décrocher certains travaux de calligraphie des élèves d'une école sous prétexte qu'ils étaient en arabe et qu'on ne comprenait pas ce qui était écrit... Les élus n'ont pas à s'ingérer dans la pédagogie et le représentant de l'Etat doit poser des limites. Mais ce sont des situations compliquées !

ToutEduc : Comment voyez-vous les évolutions du statut des inspecteurs ?

Paul Devin : Pour l'instant, le sujet n'est pas évoqué par le cabinet de la ministre, mais l'inspection générale s'interroge manifestement manifestement sur nos missions. Si se mettent en place des établissements du premier degré, ou des écoles du socle qui seraient dirigées par les principaux de collèges, nous perdrions la gestion administrative des enseignants et le pilotage d’une circonscription. Certains d'entre nous peuvent être tentés, mais cela nous priverait d'un outil de gestion des situations sur le terrain et d’une proximité qui constitue le vecteur essentiel d’un accompagnement des pratiques enseignantes pour une meilleure réussite de tous les élèves.

Propos recueillis par P. Bouchard

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